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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2021-56

Occupation, division et Covid-19 : Gaza se bat contre l’effondrement

Par Ali Abdel-Wahab, traduit par Jocelyne le Boulicaut

vendredi 28 mai 2021, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Occupation, division et Covid-19 : Gaza se bat contre l’effondrement

Le 12 février 2021 Par Ali Abdel-Wahab, Al Shabaka

Ali Abdel-Wahab, membre d’Al-Shabaka, travaille comme analyste de données et assistant d’évaluation et de suivi à l’Institut Tamer pour l’éducation communautaire à Gaza. Il est titulaire d’une licence en informatique et s’intéresse au monde des données, aux big data et aux sciences sociales informatiques. Il a travaillé comme assistant de recherche dans plusieurs instituts palestiniens et européens et a écrit plusieurs articles et documents scientifiques. Il est également membre du forum politique de la jeunesse au centre Masarat de Gaza. Ses recherches portent sur les questions d’économie politique, de transformation numérique et de réseaux sociaux, avec un accent particulier sur la Palestine.

Un homme assis devant une fresque murale au camp de réfugiés Nusseirat, dans le centre de la bande de Gaza, en novembre 2020. (Ashraf Amra)

Les Palestiniens de la bande de Gaza sont confrontés à la misère sociale, la violence et la guerre à chaque seconde de leur vie, écrit Ali Abdel-Wahab.

Gaza s’étend sur 360 kilomètres carrés, soit 1,3 % de la superficie totale de la Palestine historique. Comptant une population d’environ 2,05 millions d’habitants en 2020, composée de 1,04 millions d’hommes et 1,01 million de femmes, Gaza est le territoire le plus peuplé du monde (en densité de population), avec 9373 habitants par kilomètre carré.

Les Palestiniens de Gaza vivent toujours dans des conditions catastrophiques en raison du blocus israélien qui en est à sa quatorzième année, de 3 guerres sanglantes : une en 2008, une autre en 2012 et une en 2014 dans lesquelles 3800 Palestiniens ont été tués, ainsi que d’attaques militaires israéliennes intermittentes et dévastatrices. En outre, les conditions économiques et de vie à Gaza sont à leur pire, avec un taux de chômage qui a dépassé 70 % pendant la crise de la COVID-19.

Les sanctions de l’Autorité Palestinienne (AP) à l’encontre de Gaza, l’augmentation des impôts par le gouvernement de-facto de Gaza, les crises de l’électricité et de l’eau, venues s’ajouter à l’insécurité alimentaire, ont mené à une baisse des investissements et du pouvoir d’achat à Gaza alors que le taux de pauvreté dépassait 53%.

Ces indicateurs reflètent les ravages causés par l’occupation israélienne et les divisions entre le Hamas et l’AP qui ont entravé le développement socio-politique. Cette réalité laisse augurer de sombres perspectives pour l’avenir de Gaza, un horizon marqué par le chaos et la destruction.

Carte de la très contrôlée bande de Gaza (Wikipédia)

En 2012, l’Unicef et l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) [programme de l’Organisation des Nations unies pour l’aide aux réfugiés palestiniens dans la Bande de Gaza, en Cisjordanie, en Jordanie, au Liban et en Syrie, datant de décembre 1949,NdT] ont publié un rapport intitulé « Gaza 2020, un endroit vivable ? » dans lequel ils ont anticipé une augmentation de la population passant de 1,6 millions à 2,1 millions d’habitants, et ce dès 2020, avec une densité de population de 5 800 habitants au kilomètre carré. Ce chiffre a été largement dépassé.

Le rapport indiquait que les structures fondamentales de l’électricité, de l’eau et de l’assainissement ainsi que des services municipaux et sociaux, peinaient à suivre le rythme des besoins de la population grandissante.Toutefois, le rapport n’avait prévu ni les catastrophes naturelles, ni les pandémies comme celle de la COVID-19, pas plus qu’il n’avait prévu la guerre sauvage de 2014. On en conclut donc, sans aucun doute, que Gaza est invivable depuis quelque temps déjà, et se trouve sans conteste dans une phase post-effondrement.

Le gouvernement israélien est parvenu non seulement à assiéger les Palestiniens à Gaza, mais aussi à faire en sorte qu’ils soient vus comme un peuple hostile et ce, sur la scène internationale. En effet, Israël a tué des centaines de manifestants palestiniens pacifiques pendant la Marche du retour [La Marche du retour de 2018-2019, aussi appelée la « Grande marche du retour », est originellement l’édition annuelle d’une manifestation organisée par les Palestiniens pour commémorer la Nakba, l’exode palestinien de 1948 lors de la première guerre israélo-arabe,NdT].

À ce jour, l’État d’Israël contrôle et restreint l’importation d’équipement médical vital et d’autres biens essentiels à de nombreux secteurs à Gaza. Il impose de strictes restrictions à la circulation des biens, et les bombardements militaires actuels, ont réussi à détruire des infrastructures vitales. En plus des restrictions matérielles, le gouvernement israélien restreint la liberté de circulation des Gazaouis, en les enfermant de fait dans un endroit qu’il continue de détruire activement.

Thomas Shannon représentant officiel du département d’état américain, s’est rendu au point d’entrée Kerem Shalom, afin de voir comment les biens entraient et sortaient de la bande de Gaza, ici en Août 2016. (U.S. Embassy Tel Aviv, CC BY 2.0, Wikimedia Commons)

L’actuelle division de la direction palestinienne entre le Hamas et l’AP a également eu de sérieuses conséquences pour les habitants de Gaza. Un des résultats de cette guerre des pouvoirs, a été la séparation complète entre les institutions gouvernementales de Gaza et celles de la Cisjordanie, avec la mise en place de 2 gouvernements et autorités bien distincts.

Dans ce cadre, cette scission a formellement institué une politique de factions et a de fait ruiné le projet national palestinien. En effet, cela a détruit la crédibilité du mouvement de libération, et affecté la confiance des Palestiniens - et tout particulièrement ceux de Gaza - dans l’efficacité et l’utilité de la lutte. Enfin, la division de la direction en deux camps autoritaires a érodé les libertés publiques et les droits politiques, civils, économiques, sociaux et culturels des Palestiniens de Gaza.

COVID-19

Le 22 mars 2020, le ministre palestinien de la santé de Gaza a enregistré les tout premiers cas de COVID-19 chez deux voyageurs revenant du Pakistan. En conséquence, le gouvernement a fermé les marchés populaires, les lieux de réunion, les mosquées, les restaurants, les cafés et la plupart des magasins. Près de deux mois plus tard, il a autorisé la réouverture de tous les établissements commerciaux à condition qu’ils prennent des mesures préventives et appliquent la distanciation physique.

Fin août 2020, le ministère a découvert quatre cas domestiques d’infections COVID-19, qu’il lui a été impossible de retracer, et a annoncé par la suite d’autres infections. En réponse aux infections dans le pays, le ministère de l’intérieur a déclaré l’état d’urgence et un couvre-feu de deux jours à Gaza, mettant en quarantaine tous les gouvernorats et imposant des fermetures complètes. Ces mesures ont ensuite été assouplies à la suite d’une escalade des attaques militaires israéliennes et d’une forte diminution de l’approvisionnement en électricité.

Le gouvernement de facto n’a pas tiré les leçons des répercussions du confinement précédent, en particulier sur les journaliers, ni proposé de mesures pour les aider financièrement. En outre, le régime israélien a restreint l’importation de kits de tests médicaux dans les territoires palestiniens.

Depuis la détection de la COVID-19 au début de 2020, le nombre d’infections a dépassé les 45 000. Selon Mahmoud Abdul-Hadi, un expert des institutions de la société civile, les efforts de lutte contre la COVID-19 à Gaza ont principalement consisté en la mise en place de centres de quarantaine dans les premiers mois de la pandémie, malgré de nombreuses initiatives d’aide humanitaire, en provenance notamment des campagnes communautaires décentralisées, des institutions de la société civile, des organisations internationales, des ministères du Hamas et du fonds Waqfat Ezz (Debouts dans la dignité).

Il a ajouté que l’aide a nettement diminué par rapport à ses niveaux de mars, aggravant encore la crise alors que les cas d’infection augmentent et dépassent les capacités médicales et les moyens de gestion de la crise, ce qui a conduit à de nouvelles fermetures générales qui continuent à avoir un impact négatif sur les Palestiniens de Gaza.

Les conséquences de l’effondrement

24 août 2014 : des Palestiniens de la ville de Gaza récupèrent leurs affaires sous les décombres d’une tour résidentielle, qui, selon des témoins, a été détruite par une frappe aérienne israélienne. (Photo ONU/Shareef Sarhan)

La réalité à Gaza est passée de la résistance ouverte à la désobéissance civile, car les stratégies de survie des Gazaouis se sont réduites à trois options : la fuite, la soumission ou la confrontation. Une personne renonce lorsqu’elle ne parvient pas à changer sa réalité et à faire valoir ses droits, et sa seule option est alors de vouloir partir après que ses moyens d’action ont été étouffés.

À Gaza, la fuite cela veut dire partir, ce qui est particulièrement fréquent parmi les jeunes. Se soumettre signifie apprivoiser sa réalité à contrecœur, un comportement qui engendre un sentiment de défaite, d’échec et de honte de soi. À en juger par les transformations qu’ils ont subies après l’échec de leurs tentatives d’innovation, on peut dire que de nombreux jeunes Palestiniens de Gaza ont perdu non seulement l’idée d’avoir un objectif mais aussi leur désir de vivre.

Ceux qui choisissent l’affrontement continuent de faire face au statu quo avec tous les moyens disponibles, qu’ils soient pacifiques ou violents, et avec beaucoup d’efforts déployés dans les activités d’éducation, de service communautaire et de secours. Ils alternent ainsi entre des moments d’inactivité temporaire et des moments d’action soutenue.

La pandémie de COVID-19 a compliqué les conditions économiques, politiques et sociales de Gaza et a révélé la fragilité de la société. Les tendances individualistes ont augmenté parmi les palestiniens de Gaza, tout comme l’anxiété, la confusion et l’incertitude. Leur participation politique et sociale a diminué et les valeurs sociales ont été fortement mises à mal. La pandémie a également créé un vide politique et un manque de transparence au niveau de la prise de décision.

Aujourd’hui, la bande de Gaza croule sous les difficultés et montre peu de signes de vitalité, manquant des bases qui permettraient résilience et détermination, que ce soit dans le contexte du mouvement de libération ou dans un autre. Il en résulte une spirale plongeante continue vers l’isolement social et individuel. Pour dire les choses simplement, les Palestiniens de Gaza sont hantés par la misère sociale, la violence et les guerres à chaque seconde de leur vie. Les inégalités sociales ont augmenté, tandis que les personnes marginalisées et défavorisées de la société n’ont plus de droits et vivent dans la précarité.

La Grande marche du retour

Près de la frontière entre Gaza et Israël en 2018. (Agence de presse Fars via Wikimedia Commons)

Les habitants de Gaza sont fiers de la Grande marche du retour qui a débuté en 2018, car certains la considèrent comme une nouvelle forme de lutte contre l’occupation. Et bien que l’organisme organisateur en charge de la Grande marche du retour ait décidé le 26 décembre 2019 de limiter les rassemblements aux occasions nationales, les grandes manifestations en cours ont représenté une activité populaire qui a mobilisé les individus et les familles, et ses effets sur la société de Gaza sont palpables.

Régulièrement, tous les vendredis, des milliers de Palestiniens de Gaza se dirigeaient vers l’est, vers les frontières avec la partie de la Palestine occupée en 1948, faisant valoir leur droit au retour et s’imaginant un retour possible vers la mère patrie. Après tout, environ 70 % de la population de Gaza est constituée de réfugiés déplacés à l’intérieur du territoire occupé par Israël en 1948. Voilà pourquoi, le vendredi, les habitants de Gaza marchaient pour rentrer chez eux.

Les rassemblements étaient pacifiques, populaires, non partisans et décentralisés, et étaient fondés sur le désir des Palestiniens de réclamer leurs droits sans se heurter directement à l’armée d’occupation. Cependant, le régime d’occupation n’a pas vu les choses comme ça. Au cours des années 2018 et 2019, 214 Palestiniens ont été tués, dont 46 enfants, et plus de 36.000 ont été blessés, dont 8.800 enfants. Beaucoup de ces blessés ont encore besoin de soins de rééducation.

D’un autre côté, les rassemblements sont passés d’un outil de lutte à un outil de négociation politique avec l’avènement du slogan « briser le siège », qui a donné au gouvernement israélien une excuse pour s’attaquer aux manifestants. En outre, cela a incité certaines forces politiques, dont le Fatah et le Front démocratique, à se retirer des rassemblements parce que les objectifs de ceux-ci avaient changé.

Politiquement, le Hamas a profité des rassemblements en engageant avec Israël des pourparlers inattendus afin de promouvoir la désescalade entre Israël et les factions palestiniennes.

En outre, l’ambassadeur du Qatar, Mohammad Al-Emadi, s’est rendu dans les camps des manifestants dans l’est de Gaza le 9 novembre 2018 et, avec l’accord d’Israël, a apporté une subvention qatarie de 15 millions de dollars afin de payer les salaires des employés du Hamas. Le lendemain, l’approvisionnement en carburant a repris à la centrale électrique de Gaza.

Les Palestiniens de Gaza comptaient sur leurs dirigeants pour rechercher une réconciliation politique et mettre fin à la division, pour s’abstenir de négocier avec les forces d’occupation et pour adopter la Grande marche du retour comme moyen de récupérer le droit au retour. Mais ils ont vite été déçus. Les actions du Hamas à l’égard des foules qui manifestaient ont illustré une perte du sens de l’identité nationale et des valeurs qui sous-tendent le droit au retour.

Le mouvement « We Want to Live » (Nous voulons vivre)

Leader de longue date du Hamas, dont il est devenu en avril dernier directeur international Khaled Meshaal en 2009. (Trango, CC BY 3.0, Wikimedia Commons)

Les Palestiniens de Gaza en ont vraiment plus qu’assez de leurs conditions de vie et du statu quo, et sont ainsi passés de la résistance à la désobéissance civile et à la rébellion. C’est dans ce contexte que le mouvement "Nous voulons vivre" (bidna n’eesh) a vu le jour le 14 mars 2019, exhortant les habitants de Gaza à prendre la rue pour manifester.

Le mouvement a appelé ses partisans à sortir avec des ustensiles de cuisine pour symbole, mais ils ont été surpris par la réaction violente des forces de sécurité du Hamas qui ont arrêté des familles, des journalistes et des défenseurs des droits humains. D’autres manifestations étaient simultanément organisées prenant pour prétexte la crise salariale et les sanctions de l’AP contre Gaza.

Les militants impliqués dans le mouvement ont déclaré avoir été choqués lors des interrogatoires, les forces de sécurité du Hamas ayant invoqué la « trahison » dans leurs questions et ayant prétendu que les manifestants de "Nous voulons vivre" « œuvraient contre la résistance ». Pourtant, les militants manifestaient contre le chômage, la hausse des prix et des impôts. Ils ne manifestaient pas contre le Hamas pas plus qu’ils ne se rangeaient du côté de l’AP ; c’était plutôt eux-mêmes qu’ils défendaient.

La réaction du Hamas face à ce mouvement donne une indication claire de l’ampleur de la répression visant les libertés publiques à Gaza, et de la façon dont les autorités politiques ont traité, et diffamé ceux qui luttent pour des améliorations fondamentales des conditions de vie les considérant comme des « collaborateurs contre la résistance ».

En fait, une telle accusation de trahison est si grave qu’elle justifie une comparution devant le tribunal militaire de Gaza, où l’accusé est exposé à un sort funeste et incertain. Les retombées mettent en évidence la crise de l’appareil de sécurité à Gaza, et le régime totalitaire du Hamas que ce dernier justifie par un soucis de protection à l’égard des citoyens. Et en fait, cela a érodé la stabilité de Gaza dans la mesure où cela a politisé la résistance et le Hamas s’efforce d’en faire le monopole d’un groupe particulier.

Les médias sociaux

Comme le reste du monde, les palestiniens de Gaza font circuler des informations sur des plateformes de médias sociaux tels que Facebook et Twitter, cela inclut des satires d’informations politiques sous forme de blagues et de mèmes. Il est en effet possible de considérer l’espace virtuel comme un espace que certains ont adopté comme un champ de critique spontanée, loin de toute allégeance partisane, et qui équivaut à un type particulier de mobilisation sociale.

Étant donné l’oppression croissante à l’encontre de leur droit à la liberté d’expression, les plateformes de médias sociaux sont également devenues un moyen pour les Palestiniens de Gaza de faire honte publiquement aux autorités de tout l’éventail politique.

Voilà comment la dénonciation publique est devenue une arme numérique que les Gazaouis utilisent fréquemment pour exprimer leur colère et sensibiliser les gens à des questions cruciales, comme dans les cas où les femmes sont victimes de violences infra familiales, et dans les cas de pressions politiques et sociales à l’égard de citoyens ordinaires.

Récemment, des militants palestiniens de Gaza ont lancé une campagne en ligne, « A bas Jawwal », contre la société palestinienne de communications cellulaires, Jawwal, pour protester contre ses prix abusifs, en particulier dans le contexte des conditions difficiles dans la bande de Gaza assiégée. L’activisme en ligne garantit une immunité sociale plutôt que formelle, exprime l’opinion publique et constitue une véritable expression des groupes marginalisés.

En tant que tel, il renforce l’équilibre structurel de la société, en imposant une visibilité du collectif et en contrecarrant les tendances individualistes. Alors que l’activisme social dans la rue a cessé et s’est déplacé vers les plate-formes en ligne comme seul moyen d’échapper à la répression, l’activisme sur les médias sociaux n’est ni aussi puissant ni aussi efficace. Il ne devrait pas remplacer l’activisme réel et concret, en particulier dans le contexte de l’occupation.

Le mouvement de protestation en ligne a créé un nouveau langage et installé une nouvelle forme d’expression politique à Gaza suite au vide politique et à la perte de confiance dans le changement politique. Néanmoins, il a institué une sorte de centre commercial numérique, pour ainsi dire, dans lequel le discours politique est embourbé dans une culture consumériste, et il est devenu le premier mode d’action pour beaucoup à Gaza.

Ce nouveau mode d’expression s’est traduit par une certaine paresse et a entraîné un manque de créativité. En effet, les valeurs consuméristes ont commencé à remplacer le travail social et bénévole, tout comme la productivité dans la société, ce qui aggrave à son tour le fait que la division politique existante continue de favoriser un environnement hostile à la créativité et à la productivité.

Quel peut être l’avenir de Gaza

Lors d’une journée de réflexion organisée le 27 novembre 2020 pour un groupe de jeunes gens, hommes et femmes nés après le tournant du millénaire afin de discuter des transformations des valeurs sociales et politiques palestiniennes, un participant a déclaré : « la patrie est trop étroite, et nous n’avons vraiment pas de chance. »

En d’autres termes, ce groupe était représentatif d’une génération qui a passé son enfance au milieu de guerres violentes, et qui a atteint sa majorité alors que la division au sein du leadership palestinien se durcissait. C’est la génération qui a vu le peu de libertés dont elle jouissait dans son enfance lui être enlevées. Leur présent est chaotique et leur avenir incertain, alors qu’ils voient un monde saturé de frustration, de dangers et de deuils.

Les Palestiniens de Gaza sont confrontés à la discrimination systématique du régime d’occupation, ainsi qu’aux pratiques discriminatoires de l’AP et du Hamas. La pandémie a renforcé le principe sioniste de « diviser pour mieux régner », tandis que la division au sein de la direction palestinienne a encore renforcé la fragmentation, l’état d’anomie et la fragilité sociale.

Les répercussions de la COVID-19 ont mis en évidence le rôle des trois variables (occupation, division, pandémie) pour forger la dualité ressentie par le peuple palestinien de Gaza entre ce qu’il vit dans une société qui a une mémoire historique et une identité nationale, et ce qu’il a réussi à créer pour vivre dans une paix précaire au milieu des incertitudes permanentes.

On ne peut pas considérer que Gaza traverse une phase de transition pleine d’agitation et d’ambiguïtés, puisque cet état dure depuis plus d’une décennie. On peut seulement prédire que Gaza passera d’une cause politique à une cause humanitaire, et que sa population se préoccupera de plus en plus de ses intérêts individuels, négligeant les questions d’importance collective.

Dans un tel avenir, la lutte se transformera en une lutte pour la survie entre les victimes elles-mêmes, rompant avec leur humanité commune. Les Palestiniens de Gaza continuent de se rêver un retour dans leur patrie, leurs foyers, surtout après la Grande marche du retour, et même si les générations actuelles – comme beaucoup de leurs parents et grands-parents – n’ont pas de véritables souvenirs de la patrie.

Comme l’a dit un jour l’éminent auteur palestinien Ghassan Kanafani : « Je cherche la Palestine de la réalité, la Palestine qui est plus qu’un souvenir. » Néanmoins, avec l’effondrement et les traumatismes actuels à Gaza, les Palestiniens d’ici sont devenus angoissés et craignent le lendemain car ils sont dans l’incapacité de préserver leurs moyens de subsistance et leur travail. Le droit au retour est devenu pour eux un simple rêve.

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