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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2021-60

Farce dans les glaces arctiques : la menace russe !

Par Danny Sjursen, traduit par Jocelyne le Boulicaut

lundi 7 juin 2021, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Farce dans les glaces arctiques : la menace russe !

Publié le 16 avril 2021par Danny Sjursen, USA (Major en retraite)

Danny Sjursen, officier de l’armée américaine en retraite est chargé de recherche au Center for International Policy (CIP), collaborateur d’Antiwar.com et directeur du nouveau Eisenhower Media Network (EMN). Ses travaux ont entre autres été publiés dans le NY Times, le LA Times, The Nation, le Huff Post, The Hill, Salon, The American Conservative, Mother Jones, Scheer Post et Tom Dispatch. Il a effectué des missions de combat en Irak et en Afghanistan et a ensuite enseigné l’histoire à West Point. Il est l’auteur d’un mémoire et d’une analyse critique de la guerre d’Irak, Ghostriders of Baghdad : Soldiers, Civilians, and the Myth of the Surge et Patriotic Dissent : America in the Age of Endless War. Avec un autre vétéran, Chris "Henri" Henriksen, il co-anime le podcast "Fortress on a Hill". Suivez-le sur Twitter @SkepticalVet et sur son site Web pour les demandes de médias et les publications passées.

L’hypocrisie de Washington et les contours de sa nouvelle Guerre Froide (celle-ci étant voulue) semblent ne pas avoir de limites. L’Europe de l’Est en est le théâtre habituel, mais le nouveau mot d’ordre à la mode au Pentagone -la « concurrence entre grandes puissances » ("great power competition" - GPC), gravé dans le marbre insensé de la Stratégie de Défense Nationale de 2018 (2018 National Defense Strategy), est largement utilisé pour justifier les interventions militaires au Moyen-Orient, en Asie centrale et en Extrême-Orient, partout en Afrique et maintenant jusque sur le « toit-même du monde » : les glaces de l’Arctique. Difficile de trouver meilleur décor pour une Guerre Froide, n’ai-je pas raison ? Assurément, si on aime à jouer à ce que les militants de Greenpeace, impressionnants et étonnamment hargneux, ont surnommé la « roulette style OTAN » ("NATO roulette") !

A Washington, la horde de va-t’en-guerre des deux bords, pour qui aucune guerre - fût-elle chaude ou froide, n’est déplaisante, du moment qu’ils peuvent la qualifier d’essentielle, appuyée par les meneurs de claque européens qui les soutiennent à Bruxelles, voudrait faire croire que les Ruskofs sont prêts à envahir le Pôle Nord, à mettre à sac les ateliers du Père Noël au passage pour faire bonne mesure, et à imposer à tous les patriotes américains à la virilité bien trempée (ou à leur offrir la chance de réaliser le rêve qu’ils peinent à cacher) de faire en vrai l’expérience de l’Aube rouge et de la rébellion contre leurs nouveaux maîtres moscovites.

C’est sûr que ça donnerait une matière incroyablement cinématographique pour un blockbuster, mais s’agit-il vraiment de cela ? Las ! Est-il réellement nécessaire de se poser la question au vu de l’absurdité de la politique étrangère des Etats-Unis ces vingt dernières années - et des omissions, des subterfuges et des contre-vérités qui ont permis de l’imposer ?

Non, non : une fois encore, ceux qui crient au loup à Washington se nourrissent des angoisses, de l’apathie et de l’ignorance des Américains pour leur faire avaler la stratégie, tout aussi charlatanesque que les précédentes, qui assurerait d’abondantes ventes aux grands patrons de l’industrie militaire.

Des militaires russes de la brigade d’infanterie mécanisée de l’Arctique de la Flotte du Nord participent à un exercice militaire sur la conduite de rennes et de chiens de traîneau près de la localité de Lovozero, à l’extérieur de Mourmansk, en Russie, le 23 janvier 2017. Crédit photo : Lev Fedoseyev/Ministère de la Défense de la Fédération de Russie/Handout via REUTERS.

Le mythe alarmiste de base sonne à peu près comme ceci : tout d’abord, Moscou est une entité malveillante, l’a toujours été et le sera toujours, c’est sa nature-même. Par ailleurs, depuis que Poutine s’est installé au Kremlin, les Russes ont attendu leur heure, avant de se lancer dans la bataille avec énergie à partir de 2014 (l’Ukraine, la Crimée, la Syrie, etc.), et ne se sont pas arrêté depuis lors.

Qui plus est, tel un Sauron slave dans son Moscou-Mordor, Vlad le Terrible a aussi les yeux rivés sur l’Arctique. C’est pourquoi, dès qu’un peu de glace polaire a commencé à fondre sous l’effet du réchauffement climatique, les Russes ont afflué dans la région avec des brise-glace à propulsion nucléaire pour en voler les minerais et y créer des voies d’approche militaires en vue d’une offensive extérieure assumée, et ils ont tout bonnement truffé le Grand Nord d’un nombre incroyable de troupes, de navires et d’avions afin de mener à bien cette machination de coup de force de conquête. Sinistre affaire, je le concède.

Rien de cela n’est vrai bien entendu. Tout ici n’est qu’exagération et mensonge grossier : c’est de la farce pure et simple. Mais il est certain que ça a du succès sur la scène du théâtre de la capitale américaine. Mais plus alarmant encore est le fait que ces inquiétudes arctiques sont susceptibles d’être relayées avec bien plus de force par le parti des impérialistes bienséants qui, à Washington, tiennent le trône bien au chaud.

Jugez en vous-mêmes : ce scénario présente tous les ingrédients propres à créer le cocktail glacé d’une (non-)crise des plus séduisantes aux yeux de l’establishment démocrate : « les impacts sécuritaires du changement climatique », la menace d’une ingérence de Moscou, des « solutions » technologiques dernier cri.

En d’autres termes, si les choses dégénèrent au Pôle Nord, on ne pourra plus tout mettre sur le dos des Républicains, ces méchants invétérés, ni placer nos espoirs dans le fait que les électeurs iront choisir un meilleur parti dans la liste du Père Noël.

Mettre fin au délire

A la fin de Tombstone, ce western moderne presque parfait, Val Kilmer - qui incarne à la perfection le célèbre desperado et débauché notoire Doc Holliday, assène une réplique magistrale au légendaire marshall Wyatt Earp. Après qu’un prêtre catholique lui a administré l’extrême-onction, Holliday (en bon sceptique) dit : « Il semblerait que mon hypocrisie n’ait pas de limites » .

Eh bien, quand on vit - à cause de ses péchés - la vie d’un observateur attentif de la politique étrangère des Etats-Unis, il est difficile de ne pas souhaiter que Washington ait ne serait-ce que la moitié de la lucidité et de l’esprit d’autodérision de l’anti-héros tuberculeux du film.

Malheureusement, dans la vraie vie, les analystes géopolitiques de la capitale du Pays d’Oz américain n’ont pas le moindre sens de l’ironie et se prennent, ainsi que leurs consciencieuses illusions, bien trop au sérieux. Cette vérité est peut-être plus troublante encore concernant le plus grand angle mort de l’Oncle Sam - un antagonisme irrationnel et obsessionnel vis à vis de la Russie - et cela s’applique certainement à l’Arctique.

Cependant, les faits - le passé, le contexte, et les antithèses - ont encore toute leur importance, du moins si le véritable objectif est toujours d’élaborer une stratégie lucide (mais ces derniers temps, cette condition est de plus en plus incertaine). Voici donc, dans un souci de simplicité et de clarté, un examen critique des prétendues agressions arctiques de la Russie, prises les unes après les autres.

La Russie a accru ses dépenses militaires, le nombre de ses bases actives, et son engagement en termes d’équipement et de ressources dans l’Arctique. Bon, à l’évidence, il semble que oui, mais... disons qu’il y a beaucoup de « mais » dans cette histoire.

Des « mais », ainsi que, de la part des États-Unis, assez d’hypocrisie pour constituer quelques flottes de brise-glaces arctiques. Par exemple, concernant la partie américaine de l’Arctique en l’Alaska, les Américains en ont depuis longtemps fait un des endroits les plus militarisés de ce pays militarisé : cet état non contigu, et c’est absurde, draine déjà une part assez significative des fonds du Pentagone, et abrite pas moins de neuf bases de l’US Army et de l’Air Force.

Qui plus est, alors qu’on s’est longuement alarmé quand la Russie a ré-occupé ses bases datant de la période de la Guerre Froide (sur leur propre territoire souverain) -« Ils sont en train d’ouvrir des installations militaires soviétiques dans l’Arctique », selon la déclaration sans contexte ni contrepoint du secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, en mars 2021 - les installations militaires glaciaires de l’Amérique s’étendent en réalité à l’intérieur d’un territoire étranger.

Nous vient à l’esprit, par exemple, la base militaire américaine la plus au nord, la Thule Air Base au Groenland, qui se trouve à 1 207 kilomètres au dessus du cercle arctique.

Nous vient aussi à l’esprit la Orland Air Base au coeur de la Norvège, où les États-Unis ont récemment placé un Bombardier-1B « expéditionnaire » -un nom pas particulièrement menaçant- et plus de 200 parachutistes.

De plus, en ce qui concerne le petit numéro alarmiste sur les conséquences, qui tombent des nues, de la remise en état et de la réouverture d’anciennes « installations militaires soviétiques » (sur leur territoire) par les Russes, il est tout aussi intéressant de noter que les Norvégiens ont eux aussi amélioré les installations portuaires à Tromso, à quelques 300 kilomètres au dessus du cercle arctique, pour ouvrir la voie à une augmentation des escales de sous-marins nucléaires américains, leur donnant/accordant ainsi un nouveau grand point de chute pour pouvoir observer la flotte nordique active de la Russie ».Ce n’est pas rien : étant donné que c’est la première fois que les bombardiers américains sont déployés en Norvège.

Oh, et pour compléter toute la composante terre-mer-air de la force conjointe « multidimensionnelle » dont se vante le Pentagone, rappelons que les membres de la Marine américaine s’y entraînent régulièrement depuis 2017. Un passage d’un article du Business Insider affirme que -« La Russie est susceptible d’envisager un déploiement prudent de bombardiers en Norvège » doit se classer en tête du meilleur euphémisme de l’année.

En 2020, Moscou « a largué des parachutistes sur un archipel au nord de l’Arctique pour simuler une bataille », selon le New York Times : Assez vraisemblable. Cette opération d’entraînement aérienne russe, oh mon dieu, tellement menaçante, s’est déroulée en avril 2020 et est bien loin d’avoir franchi un quelconque Rubicon stratégique - plutôt, elle s’est appuyée sur des missions similaires menées au cours des six années précédentes.

En outre, ce n’est pas comme si le Kremlin était le seul à se prêter au jeu de l’exercice de largage en Arctique - les fantassins aéroportés américains ont effectué leur premier saut comparable (dans le nord de l’Alaska) la même année (2014) que le saut inaugural russe, acte de foi glaciaire.

De plus, les États-Unis ont effectué des largages supplémentaires chaque année depuis. Et bien sûr, dans un sens beaucoup plus large, l’armée américaine fait pleuvoir - bien que rarement littéralement ces jours-ci - de façon largement pléthorique ses parachutistes dans de nombreuses zones de largage étrangères (généralement en Afrique et au Moyen-Orient), des endroits des gens vivent réellement (et en tuent souvent quelques-uns pour faire bonne mesure).

Des soldats norvégiens patrouillent près de la frontière russe, au-dessus du cercle polaire arctique.

La Russie a également créé un nouveau commandement militaire administratif et opérationnel pour l’Arctique et rédigé de nouveaux documents de stratégie régionale décrivant ses ambitions dans cette région. Et oui, ils ont fait ça. Mais, on ne peut s’empêcher de se demander - c’est une autre paire de manche - n’est-ce pas exactement ce que font les États-Unis et la façon qu’a le Pentagone d’organiser ses unités militaires ?

Seulement Washington ne se contente pas de faire cela sur son propre territoire - qui n’est couvert que par un seul (NORTHCOM) de ses six commandements de combat géographiques (enfin, sept si l’on inclut le nouveau commandement spatial, SPACECOM) - mais qui fait ça littéralement à chaque recoin de la planète.

Quant au supposé scandaleux document de Moscou concernant une stratégie arctique, il faut dire que les militaires américains en ont écrit quelques-uns eux aussi. L’été dernier, l’Air Force, qui compte la présence militaire la plus importante de la région, a publié son premier document.

Puis, en janvier dernier, la Navy a sorti un rapport intitulé « Un plan stratégique pour l’Arctique » ("A Strategic Blueprint for the Arctic") appelant à une « présence renforcée » de la flotte et des Marines dans les eaux du Grand Nord pour contrer la Russie et la Chine.

Enfin, le mois dernier, l’Armée de Terre, toujours à la traîne, a fermé la marche en sortant son propre rapport intitulé « Retrouver la domination en Arctique » ("Regaining Arctic Dominance") (Hmm, je me demande comment aurait été interprété le mot « domination » si c’était Moscou qui l’avait marmonné ?).

En parlant du rapport de ses services, le secrétaire de la Marine de l’époque, Kenneth Braithwaite, s’est même autorisé cette audacieuse analogie : « C’est un peu la même situation en mer de Chine méridionale... lorsque nous envisageons la liberté des opérations de navigation ».

Eh bien, ce type stupide n’a pas tout à fait tort : dans les deux scénarios, les États-Unis provoquent de puissants « adversaires » et risquent inutilement une guerre catastrophique à plusieurs milliers de kilomètres de chez eux - tout cela pour s’assurer qu’aucun autre pays n’a le droit d’avoir une primauté navale, même locale, dans le plus proche de leurs proches territoires étrangers. La stratégie militaire américaine : toujours aussi rusée !

Selon le même rapport du New York Times, la Russie a également « fait voler à de nombreuses reprises des bombardiers à la limite de l’espace aérien américain ». Ont-ils vraiment fait ça ? Quel genre de monstres sont-ils ? Eh bien, selon une analyse beaucoup plus fine de Michael Klare, de Tom Dispatch, ils appartiennent apparemment à la même espèce d’ogres que nous.

Klare a relaté quelques faits marquants d’un épisode récent où des bombardiers américains ont fait - vous l’avez deviné ! - exactement le même genre de choses. Dans un cas, à la fin du mois d’août 2020, il a noté que six bombardiers américains B-52H Stratofortress, soit un septième de la flotte américaine prête pour la guerre - chacun d’eux étant capable de transporter huit missiles de croisière AGM-86B à armement nucléaire et à lancement aérien (ALCM) - ont passé plusieurs semaines à voler pour des missions d’entraînement juste « à la limite du territoire Russe ».

En outre, le mois suivant, en septembre donc, deux Lanceurs B-1B ont volé au dessus du pôle nord jusqu’à atteindre le Groenland. Ensuite, fin février, les bombardiers B-1 que l’U.S. Air Force avait récemment stationnés en Norvège, ont effectué leurs premières missions au dessus de la mer de Norvège.

Mais pas de crainte chère Russie, car le Général Steven Basham, commandant-adjoint des forces aériennes en Europe et en Afrique, a annoncé : « ceci ne devrait pas être pris comme un message de menace » , puisque, « c’est comme ça que les militaires professionnels accroissent leur niveau d’expertise ». Je parie que voilà qui va grandement rassurer les Russes.

L’ensemble de la stratégie régionale américaine et la course à l’armement arctique qui en résulte risquent de se transformer en un dilemme de sécurité auto-réalisateur. Le dilemme de sécurité décrit un concept courant en sciences politiques, selon lequel les mesures prises par un État pour améliorer sa propre sécurité provoquent des réactions de la part d’autres États, ce qui entraîne, de manière contre-productive, une diminution de la sécurité de l’État initial.

Étant donné les erreurs d’interprétation mutuelles, ainsi que les réactions excessives opportunistes habituelles de l’Occident et de Washington, l’Arctique semble être un terrain d’essai parfait pour une telle spirale ( de la mort). Tout compte fait, un titre de Business Insider de juillet 2020 s’est avéré bien trop pertinent à mon goût : « Les armées tant de la Russie que de l’OTAN ont un regain d’activité dans l’Arctique, mais aucune des deux n’est sûre de ce que fait l’autre ». Qu’est-ce qui pourrait mal tourner ?

Faites ce qu’on vous dit, pas ce qu’on fait

L’ARCTIQUE EST A NOUS ! La Russie va envoyer la plus grande force militaire dans l’Arctique depuis la guerre froide, les craintes sont que Poutine ne cherche à s’emparer de toute la région et à s’approprier ses réserves de pétrole et de gaz. Photo The Sun

Comme toujours, les analystes critiques doivent se pencher sur le langage - dans ce cas, les adjectifs si facilement utilisés pour décrire les intentions de Moscou dans l’Arctique, qui bien sûr ne peuvent qu’être hostiles. Les points saillants sont les suivants : Le « comportement agressif » de la Russie (secrétaire à la défense, Lloyd Austin), la « position de plus en plus affirmée » (France 24 News), la « menace significative » (Center for Strategic and International Policy), le « défi militaire » (haut fonctionnaire du département d’État) et les « cliquetis de sabre » (d’après un document de recherche de la Carnegie Endowment for International Peace, financé par la Russia Strategic Initiative (RSI) - une organisation du département américain de la défense).

Mais qu’en est-il du point de vue de ( soupir !) Moscou - se pourrait-il que ce pays ait (double soupir !) de véritables intérêts et des revendications légitimes dans la région arctique ?

Et pourraient-il considérer que les diverses politiques et réactions des États-Unis et de l’OTAN constituent des menaces importantes pour sa sécurité ? La réponse, bien qu’il soit de plus en plus inconvenant - voire carrément anti-américain - d’oser le dire, est oui bien sûr et bien naturellement, respectivement.

Quelques-unes des plus essentielles sautent aux yeux : La Russie possède le plus long littoral arctique du monde (24 000 km) ; la région représente près d’un quart de son PIB (à titre de comparaison, moins d’un tiers de 1 % du PIB américain provient de l’Arctique) et environ 2 millions de citoyens russes y vivent. En outre, Moscou reste un membre actif du Conseil de l’Arctique, du Forum des garde-côtes de l’Arctique (ACGF) et signataire de divers traités scientifiques et environnementaux.

Vue d’ensemble de Nagurskoye le 16 mars 2021. La Russie se dote d’une puissance militaire sans précédent dans l’Arctique et teste ses armes les plus récentes dans une région fraîchement libérée des glaces par le changement climatique, dans le but de sécuriser sa côte nord et d’ouvrir une route maritime essentielle entre l’Asie et l’Europe (CNN) .Image satellite ©2021 Maxar Technologies

Sur le plan militaire, Moscou ressent naturellement le besoin de protéger sa capacité nucléaire de frappe de rétorsion, qui repose principalement sur sa flotte de sous-marins nucléaires, dont la majeure partie est basée à proximité de la péninsule de Kola, qui borde le nord de la Norvège et de la Finlande.

Même une connaissance superficielle de cette particularité de la civilisation humaine, souvent absurde, mais toujours pertinente, connue sous le nom de « stratégie nucléaire », démontre l’importance que revêt la confiance qu’un pays peut percevoir grâce à cette option de frappe de rétorsion.

En d’autres termes, si une nation nucléaire pense que son adversaire peut anéantir sa contre-attaque de « deuxième frappe » - rendant ainsi impossibles toute représailles et donc la dissuasion suicidaire présumée de la « destruction mutuelle assurée » - l’État le plus faible des deux peut envisager une « première frappe » surprise comme étant son option stratégique la plus prudente, voire la seule. Tout cela est dingue, naturellement - mais cela a failli se produire plus d’une fois : et c’est alors qu’on se retrouve à l’heure du Dr Strangelove sur la planète Hollywood.

De plus, et c’est là que le bât blesse, quand on en vient à évoquer la présence de troupes russes plus conventionnelles autour de son périmètre arctique, comme l’a si bien dit Lyle Goldstein - professeur de recherche au US Naval War College : « On peut difficilement accuser le Kremlin d’ "agression" alors que ses petits déploiements ont tous eu lieu sur son propre territoire. »

Néanmoins, si l’on met de côté ces éléments gênants et ce vague sens des proportions, les professionnels du pouvoir qui aspirent à une hégémonie américaine entretiennent un monde irascible selon le mantra toxique : Faites ce que je dis, pas ce que je fais !

La rhétorique de Washington a longtemps égalé - ou dépassé - la présumée pugnacité de Moscou. Prenons l’exemple du secrétaire à la Marine de Trump (qui ne souffre pas d’une anémie de l’ironie ou surnommé Irony-Anemia) Braithwaite.

Début janvier, juste après la publication du « plan stratégique » de la marine pour l’Arctique, il a lâché cette bombe grandiloquente devant des journalistes non informés : le nouveau plan de ses services implique des patrouilles de surveillance ayant une liberté de navigation plus active à proximité du territoire russe, a-t-il déclaré, parce que « c’est la posture la plus audacieuse à laquelle nous pensons avoir droit, et elle est franchement de notre responsabilité, en tant que force navale prédominante dans le monde ».

Wow, ça c’est audacieux - brandir sans ambages des hyperboles comme celles de « notre droit » à être « prédominant » sur les mers du monde. Il admet, voire se vante, de la « posture » de sa marine - un terme que d’autres faucons utilisent pour décrier les actions hypothétiques de la Russie ! Faites ce que je dis, pas... et tout et tout, je suppose.

Après une seule des nombreuses manœuvres navales dans l’Arctique en août 2020, à savoir l’exercice anti-sous-marin conjoint américano-britannique Dynamic Mongoose - qui s’est justement déroulé près de la principale base de sous-marins nucléaires de Moscou sur la péninsule de Kola - le commandant de l’USS Ross s’est félicité que : « Les entraînements réalistes et appropriés que nous menons ici, dans la mer de Barents, prouvent que nous pouvons être opérationnels n’importe où dans la région avec nos alliés ».

Et les Russes seraient les seuls à être « provocateurs » ? Je veux dire, est-ce que ces gars là s’écoutent quelques fois parler ? OK, voici un truc pour pimenter les choses dans la piaule qui permet d’éviter les conflits : essayez un jeu de rôle et écoutez les chuchotements bellicistes de Washington en vous mettant à la place des oreilles russes (PS : "Hiver nucléaire" semble être le mot qui convient).

Cette photo publiée par le ministère russe de la Défense le 26 mars 2021 montre un sous-marin nucléaire russe traversant la glace de l’Arctique lors d’exercices militaires à un endroit non spécifié. (Service de presse du ministère russe de la Défense via AP)

Vous savez, de temps en temps, sans même s’en rendre compte, les plus grands généraux américains disent quelque chose de sensé. Prenons le lieutenant-général David Krumm, qui dirige le Commandement de la multi-force de l’Alaska et la 11e Force aérienne.

En 2020, lors d’une convention de la Fédération des autochtones d’Alaska - dont beaucoup résident dans les villages isolés de la région contestée - il a expliqué comment le réchauffement climatique, qui fait fondre des ceintures de glace autrefois infranchissables, supprime les zones tampons entre les États-Unis et la Russie, et il a bien sûr tenu le discours officiel du Pentagone demandant plus d’argent pour équiper et entraîner ses troupes.

Un discours classique, vraiment. Ce n’est qu’ensuite que, par inadvertance, il a commencé à dire la vérité, en se montrant nostalgique d’une époque pas trop révolue où l’Alaska était principalement considéré comme une base de projection de puissance mondiale, et en faisant remarquer que ce qu’il considère comme l’agression russe dans l’Arctique laisse présager un changement de mission pour son commandement.

« Ce qui est maintenant nécessaire, c’est d’être prêt à se battre ici et à se défendre ici », a fermement déclaré le bon général. Et le fait est qu’il a raison, même si ce n’est pas pour les bonnes raisons.

Oui, général : préparez-vous à combattre et à vous défendre (contre une attaque qui n’a pratiquement aucune chance de se produire) ici, chez vous, en Alaska, et non pas (comme vous semblez le préférer) à 5 000 km au-dessus de la calotte glaciaire de l’Arctique, dans l’arrière-cour russe de la mer de Barents, ou à « déployer la puissance » bon gré mal gré dans le monde entier. C’est de cette façon là que les États-Unis s’attirent - ainsi qu’à tout le monde - bien des ennuis .

Pour changer un peu, il serait grand temps de protéger nos propres glaciers !

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