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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2021-63

La dangereuse chambre d’écho anti-Russe du Blob

Par Daniel Larison, traduit par Jocelyne le Boulicaut

lundi 14 juin 2021, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

La dangereuse chambre d’écho anti-Russe du Blob

Le 20 avril 2021 Par Daniel Larison

Bruits de bottes (Shutterstock/Goncharov_Artem)

[Ben Rhodes, le principal assistant du président Barack Obama de l’époque, a qualifié avec dérision l’establishment de la politique étrangère américaine de "Blob", zone informe, NdT]

La pensée collective conduit à la marginalisation des idées et des personnes qui appellent à une nouvelle approche vis à vis de Moscou. Et ça devient pénible.

Dix ans après la fin de la « re-dynamisation » (reset) quelque peu réussie de l’administration Obama vis à vis de la Russie, le débat concernant la politique vis à vis de ce pays est perverti à Washington par un extrémisme des faucons et une intolérance à toute opinion divergente.

L’hystérie anti-russe des années Trump a créé une ambiance qui conduit les faucons anti Russes à se sentir libres de dénoncer les propositions, même les plus anodines de dialogue constructif avec Moscou, et de lancer des campagnes de diffamation contre des universitaires éminemment qualifiés pour les intimider et imposer des limites étroites à la réflexion quant à la politique américaine vis à vis de la Russie. Cela empoisonne le débat et rend plus difficile l’élaboration des politiques bien plus intelligentes qui serviraient les intérêts des États-Unis et de leurs alliés.

L’administration Biden est la première de l’après-Guerre froide à entrer en fonction sans même se soucier de vouloir améliorer les relations américano-russes. À l’exception de l’extension du Nouveau Traité START par l’administration Biden au début de l’année, ces relations n’ont jamais été aussi mauvaises au cours des trente dernières années et, à la suite de la dernière série de sanctions américaines malavisées, il est pratiquement garanti qu’elles se détérioreront davantage.

Les États-Unis ont désespérément besoin d’un débat plus équilibré et plus sensé en ce qui concerne la politique russe, mais les pires tendances de l’establishment de la politique étrangère à la pensée de groupe et à l’exclusion rendent cela difficile, voire impossible. Peu de terrains politiques ont autant besoin de nouvelles idées et de perspectives différentes que la politique russe, mais les faucons anti-russes du « Blob » sont déterminés à empêcher que cela n’arrive.

Le dernier exemple en date est une campagne de dénigrement lancée contre Matthew Rojansky, directeur de l’Institut Kennan du Wilson Center et expert reconnu de la Russie et de la politique russe. À tous égards, cette campagne a fonctionné. L’administration Biden envisageait de nommer Rojansky au poste de directeur pour la Russie au sein du Conseil national de sécurité, un rôle de coordination et d’organisation qui contribue au processus d’élaboration des politiques.

Parce que Rojansky a soutenu un engagement constructif vis à vis de la Russie dans le passé et s’est fait l’avocat d’une « réinitialisation » (reset) les faucons anti-russes ont entrepris de le qualifier de « mollasson » vis-à-vis de la Russie et certains sont allés jusqu’à insinuer qu’il travaillait pour le Kremlin.

Matthew Rojansky

Comme personne ne peut contester les qualifications de Rojansky pour le poste, les faucons anti-russes ont choisi de mettre en doute son intégrité et même de remettre ouvertement en question sa loyauté. Malheureusement, les attaques ont eu l’effet escompté et ont effrayé l’administration Biden, cette dernière a renoncé à la nomination de Rojansky. Le succès de la campagne de dénigrement indique aux spécialistes plus jeunes qu’ils doivent suivre la ligne « faucon » standard s’ils veulent éviter des attaques similaires.

Cette campagne a également permis de mettre en lumière un problème qui va au-delà de la politique russe et qui concerne la totalité des débats de politique étrangère aux États-Unis. Chaque fois que quelqu’un plaide en faveur d’un dialogue diplomatique avec un régime rival ou paria, la réponse par défaut à Washington DC est d’insinuer que le fait d’être pro-diplomatie suppose une certaine sympathie ou collusion avec l’autre gouvernement. C’est toujours faux, mais cela n’empêche pas les accusateurs de balancer des accusations haineuses.

Dans la pratique, on accorde si peu de valeur à la diplomatie que ses partisans sont présumés être « faibles » concernant le gouvernement concerné. Biden affirme qu’il souhaite une désescalade avec la Russie et que « la voie à suivre passe par un dialogue mûrement réfléchi et un processus diplomatique » mais son administration a rapidement cédé devant la pression des faucons et écarté un expert remarquable. Pour éviter d’être accusée de « faiblesse » face à la Russie, l’administration Biden a fait preuve d’une réelle vulnérabilité.

Il existe un autre exemple extraordinaire de cette pensée de groupe agressive plus tôt ce printemps au Conseil atlantique. L’Atlantic Council a publié un rapport pertinent sur la politique russe rédigé par Emma Ashford et Mathew Burrows, puis, quelques jours plus tard, près de deux douzaines de leurs collègues du même groupe de réflexion ont dénoncé leur travail de façon brève et tranchante. La lettre signée par les think tankers était inexacte et déformait les arguments du rapport, mais ce qui était vraiment important, c’était de rejeter publiquement un rapport de leur propre institution, rapport qui faisait des recommandations très modérées sur l’ajustement de la politique russe à l’avenir.

À en juger par la réaction des faucons au rapport, on aurait pu croire que les auteurs appelaient à une nouvelle partition de la Pologne, mais rien dans ce rapport ne méritait une telle attaque. Ashford et Burrows recommandaient de reconnaître les limites de l’influence des États-Unis sur la politique intérieure de la Russie et de se concentrer plutôt sur les intérêts qui étaient communs, et ils ont exhorté l’administration Biden à reconnaître que de nouvelles sanctions seraient stériles au vu de l’échec total des sanctions existantes. Ashford et Burrows n’ont pas dit que les droits humains devaient être ignorés ou mis de côté, mais ils ont préconisé qu’ils ne deviennent pas le point central de la politique américaine à l’avenir. Pour ces quelques observations anodines et pleines de bon sens, ils ont été carrément traités de suppôts du Kremlin.

De plus, leurs collègues les ont ridiculisés publiquement et ont ensuite, dans un article ultérieur, publié des citations anonymes pour les salir de nouveau. À bien des égards, il s’agissait là de quelque chose d’insolite, mais dans sa façon de défendre une orthodoxie fragile, cet épisode n’était malheureusement que trop typique des débats de politique étrangère à Washington. En ce qui concerne la politique russe, l’orthodoxie est devenue si contraignante que le seul fait de dire que davantage de sanctions à l’encontre de la Russie ne mèneront à rien provoque une condamnation rageuse.

Ce n’est pas un hasard si les partisans « modérés » du dialogue comprennent généralement bien mieux l’autre pays et son gouvernement que les partisans de la ligne dure, car ces derniers se satisfont d’envisager le pire concernant un adversaire sans jamais vérifier si c’est vrai. Les partisans de la ligne dure partent du principe que la diplomatie ne sert à rien et ils ne veulent pas admettre que le dialogue et le compromis apportent souvent plus d’avantages aux États-Unis que le matraquage et les sanctions.

Au lieu de penser en termes rudimentaires pour savoir s’ils sont « durs » ou « mous », nous devrions vouloir de nos analystes et nos décideurs qu’ils fassent preuve d’intelligence et de pragmatisme plutôt que prendre des positions débiles et idéologiques. Depuis la fin de la Guerre froide, notre politique vis à vis de la Russie a été beaucoup plus fréquemment caractérisée par ces derniers traits que par les premiers. Les quelques succès limités enregistrés en matière de politique envers la Russie sont le fruit d’une recherche de solutions constructives aux différends en cours, mais en l’absence d’une réelle communication, les relations américano-russes resteront glaciales.

L’une des principales raisons pour lesquelles la politique étrangère américaine a connu un tel échec au cours des trente dernières années vient du fait que les opinions dissidentes qui questionnent la sagesse et le bien fondé des politiques actuelles sont – comme l’ont été Rojansky, Ashford et Burrows – systématiquement ridiculisées, marginalisées ou totalement rejetées. Et c’est cela qui conduit à ne pas assumer la responsabilité des politiques qui ont échoué, et aucune leçon n’est tirée de ces échecs.

Les États-Unis ont passé la majeure partie des trois dernières décennies à ignorer les préoccupations et les griefs de la Russie et à faire aveuglément tout ce que les faucons anti-russes veulent mettre en œuvre. Les États-Unis, la Russie et les voisins de la Russie en pâtissent. Si les deux pays veulent améliorer leurs relations et réduire les tensions, la politique américaine à l’égard de la Russie devra changer de manière substantielle pour se faire plus ouverte et modérée qu’elle ne l’a été. En attendant, il faut s’attendre à ce que les liens continuent de se distendre au détriment de la sécurité européenne et des intérêts américains.

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