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D’après Alternatives économiques

Le bouclier tarifaire répond-il à la crise énergétique ?

Par Bruno Bourgeon

mercredi 13 octobre 2021, par JMT

Le bouclier tarifaire répond-il à la crise énergétique ?

Il fallait arrêter l’incendie. Face à la flambée du prix des énergies, le gouvernement a sorti l’extincteur et décidé de bloquer les prix. Le Premier ministre a annoncé fin septembre un « bouclier tarifaire » pour lisser la hausse du prix du gaz et contenir celle de l’électricité.

Ville illuminée la nuit

Concernant le gaz, le gouvernement a réagi à la hausse des prix provoquée par la reprise économique mondiale et par le jeu de la Russie, qui vient d’inaugurer son gazoduc Nord Stream 2. Le pays en profite pour ne pas trop ouvrir le robinet à destination de l’Europe, histoire de faire monter les enchères. Sacré Poutine !

Résultat : le tarif réglementé de vente dont s’acquittent les consommateurs, recalculé chaque mois, enregistre hausse sur hausse : + 12 % en octobre, après + 8 % en septembre et + 5,5 % en août. Au total, ce tarif qu’applique le fournisseur Engie mais qui a un effet d’entraînement sur les autres, a progressé de 57 % depuis le printemps. Et cela ne devrait être qu’un début, car avec la venue de l’hiver boréal, les chaudières vont se mettre à tourner, faisant augmenter la demande et donc le prix.

Il faut différencier le prix du marché de gros, sur lequel les énergéticiens se fournissent en gaz et électricité et en vendent, qui a progressé de 300 % depuis le début de l’année, tandis que le tarif de vente, décidé par la Commission de régulation de l’énergie, englobe taxes et coûts de réseau. Le prix de l’énergie ne représente qu’un tiers de notre facture.

Mais pour éviter que cette dépense n’explose le budget des ménages, le gouvernement a donc bloqué le tarif du gaz jusqu’en avril. C’est un lissage. En effet, le tarif du gaz restera identique jusqu’à cette date, mais quand les prix baisseront, au printemps, comme le prévoit le gouvernement et que les températures remonteront, le tarif, lui, ne changera pas. Ainsi, la « non-hausse » de cet hiver sera rattrapée par une « non-baisse » au printemps et à l’été prochain. Ce lissage des tarifs permettra de mieux répartir l’effort.

Quant à l’électricité, les mesures ne sont pas les mêmes. D’une part, le tarif n’est pas recalculé tous les mois, mais tous les semestres. La prochaine évolution est donc attendue pour février 2022. D’autre part, si les prix augmentent, c’est également la faute du gaz. Car, en Europe, un électron sur cinq provient d’une centrale à gaz. Ce qu’a promis le gouvernement concernant l’électricité est de limiter la hausse qui sera annoncée en février à 4 %. Sans ce geste, elle aurait pu être de près de 15 %.

Afin de contenir cette augmentation du tarif, le gouvernement compte diminuer une taxe de la facture (TICFE). Mais il estime aussi que l’opération sera neutre pour les finances publiques. Cette baisse de la fiscalité, d’environ 4 milliards d’euros, sera financée d’une part par la hausse des rentrées fiscales de la TVA sur l’énergie, puisque le tarif augmente tout de même, et aussi par un allègement du soutien aux énergies renouvelables.

Le gouvernement veut également s’appuyer sur les meilleurs résultats d’EDF. Comme les prix de l’électricité augmentent, logiquement l’entreprise qui est l’un des plus grands producteurs du continent va voir ses bénéfices progresser. L’Etat compte sur le montant d’impôt plus important dont va s’acquitter l’entreprise mais aussi sur la hausse des dividendes de la société.

Au-delà de l’enjeu de son financement, se pose surtout la question de l’efficacité de ces dispositifs. Le gel des tarifs n’empêche nullement la précarité énergétique, mais limite son ampleur. Il peut avoir des effets pervers. Ces mesures vont s’appliquer à toutes et tous, peu importe leur situation, y compris donc aux ménages dont la facture énergétique représente une faible part du budget.

Mais surtout ce bouclier tarifaire s’ancre dans une logique qui ne prend pas ou très peu en compte le levier des économies d’énergie, pourtant bien plus efficaces.
Les ménages paient donc aujourd’hui la trop faible action des gouvernements passés pour réduire la consommation énergétique, comme l’isolation des logements.

A côté du bouclier tarifaire, le gouvernement français s’attaque aussi au marché européen de l’électricité. Les centrales à gaz ne produisent en effet que 7 % des électrons français, mais le marché tricolore de gros est très lié au marché européen, donc au mix électrique du continent. Or, ce dernier fait encore la part belle au gaz (19 %) ou au charbon (13 %).

Le marché européen est-il à blâmer ? Rappelons comment il fonctionne. Tout d’abord, le marché de l’électricité se base sur les coûts marginaux. Cela signifie que le prix de l’électricité sur le marché est fixé par la dernière centrale appelée à fonctionner pour répondre aux besoins.

Dès lors que la demande de courant augmente, il s’agit donc de recourir au moyen de production qui présente le coût marginal, c’est-à-dire le coût de production d’un mégawattheure supplémentaire, le plus faible. Les éoliennes et panneaux photovoltaïques sont donc sollicités en premier, suivis par les réacteurs nucléaires, et enfin par les centrales à gaz et à charbon, quand la demande augmente encore.

Ce fonctionnement est une des conséquences de la spécificité de l’électricité, énergie qui ne se stocke pas et dont la production doit toujours être égale à la demande sur le réseau. A supposer qu’un consommateur n’ait pas assez de courant pour allumer sa télé, c’est tout le réseau qui dysfonctionne. L’ensemble des usagers se trouve alors pénalisé.

A cela se conjugue l’interconnexion des réseaux nationaux. Chaque pays possède son réseau électrique, mais ils sont tous reliés entre eux sur la plaque ouest-européenne. Les électrons circulent continuellement entre les différents pays, les rendant donc interdépendants. Si l’on prend l’exemple d’Annecy, à 19 heures au moment où la demande de courant est élevée, l’électricité provient régulièrement du voisin suisse, qui possède beaucoup de barrages.

La France possède une capacité de production d’électricité conséquente pour faire face à ces besoins et les électrons qui arrivent dans nos compteurs sont très majoritairement issus de l’Hexagone. Mais, rappelons-le, il ne s’agit pas de produire sur une année tout le courant dont nous avons besoin, mais de pouvoir à tout moment en produire suffisamment pour satisfaire la demande.
La thermosensibilité française fait qu’en hiver la France est importatrice nette d’électricité : c’est notre forte dépendance au chauffage électrique. La France n’a de cesse d’encourager le chauffage électrique, ce qui nous rend donc davantage tributaires de cette énergie dans les moments de forte demande.

L’une des faiblesses du marché européen de l’électricité est également d’avoir rapproché des mix électriques très différents. La France est très axée sur le nucléaire et continue à miser sur ses centrales ; l’Allemagne n’aura plus l’atome dans quelques mois et a fortement développé l’éolien, mais reste encore assez dépendante du charbon ; la Pologne dispose d’énormément de charbon, mais envisage de le remplacer par du nucléaire ; les Pays-Bas, enfin, dépendent très fortement du gaz...

Les choix technologiques et politiques d’un pays ont ainsi des conséquences directes sur un Etat voisin qui a pu faire des choix différents. Conséquence, environ ¼ du temps, le prix de l’électricité sur le marché de gros en France est fixé par le coût d’une centrale à l’étranger. Cela peut être une éolienne allemande ou une centrale à gaz hollandaise. Apparaît donc aujourd’hui au grand jour le manque de politique énergétique européenne.

Ce fonctionnement de marché est critiquable, mais la question est surtout : faut-il changer le fait que la dernière centrale appelée fixe le prix sur le marché, ou faut-il modifier la façon dont ce prix affecte le tarif payé par le consommateur ?

L’autre enjeu du modèle insufflé par Bruxelles, mais moins critiqué par le gouvernement, est la mise en place de la concurrence. Un client peut se fournir en électricité aussi bien auprès de l’opérateur historique EDF, que des fournisseurs dits alternatifs comme Total Energies ou Alpiq. Cette concurrence est en grande partie artificielle, puisque la quasi-totalité de la production d’électricité reste en France du fait de l’entreprise publique. Si bien que les fournisseurs alternatifs achètent en grande partie auprès d’EDF le courant délivré aux particuliers.

Pour faire exister tout de même cette concurrence, la France a instauré le principe d’une « contestabilité » dans le calcul du tarif réglementé, le fameux tarif bleu d’EDF dont le gouvernement entend limiter la hausse. Ce tarif est légèrement supérieur au coût d’approvisionnement de ses concurrents, afin que ceux-ci puissent contester sa position dominante.

Si bien que le tarif d’EDF n’est plus basé sur ses coûts de production, mais se retrouve lié au marché de gros et donc au mix européen. En somme, pour permettre à une concurrence d’exister, alors même qu’elle reste largement artificielle, a été mis sur pied un système qui pousse les tarifs vers le haut.

Changer le calcul du tarif réglementé d’EDF et le baser sur les coûts de production réduirait la facture, mais ce serait dire adieu à la concurrence. Et par ailleurs redonner dans la transition énergétique plus de poids à EDF, dont on connaît la tendance pronucléaire.

L’autre solution pourrait être d’augmenter le plafond d’énergie nucléaire dont peuvent bénéficier les fournisseurs alternatifs à un tarif reflétant les coûts de production et non ceux du marché. Mais déterminer ce prix et ce plafond revient à jouer entre la facture des consommateurs et la rémunération d’EDF, et donc de ses capacités à investir.

Plus largement, cette crise devrait rappeler à tous les acteurs que l’énergie va tendanciellement coûter plus cher. Plus notre mix dépendra des énergies fossiles, plus nous serons fragiles. Car si l’on blâme le marché européen, la cause de la flambée des prix est aujourd’hui liée au gaz, un carburant dont nous sommes dépendants et qui aggrave le réchauffement climatique. Or, comme le disait Isabelle Kocher, l’ancienne patronne d’Engie : « La meilleure énergie est celle qu’on ne consomme pas. »

Bruno Bourgeon, http://aid97400.re

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