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D’après Alternatives Economiques du 3 novembre 2021

La justice climatique est-elle efficace pour lutter contre le réchauffement ?

Par Bruno Bourgeon

mardi 30 novembre 2021, par JMT

La justice climatique est-elle efficace pour lutter contre le réchauffement ?

Jean Francois Julliard, directeur général de Greenpeace France et Cécile Duflot, directrice d’Oxfam France, lors de la première audience devant le tribunal administratif de l’affaire du siècle, qui oppose quatre ONG contre l’Etat francais pour inaction climatique, le 14 janvier 2021. PHOTO : Eric TSCHAEN/REA

Victoire historique ou décision symbolique ? Les deux. Le 14/10/2021, le tribunal administratif de Paris ordonne au gouvernement français de faire cesser le préjudice écologique du dépassement du premier « budget carbone » de 2015 et 2018. Un dépassement de 62 millions de tonnes de CO2 de plus que prévu par la stratégie nationale bas carbone du gouvernement. D’ici au 31/12/2022, le gouvernement devra donc prendre « toutes les mesures utiles » pour compenser l’émission de 15 millions de tonnes de CO2, une partie du dépassement.

En février, le juge administratif avait déjà reconnu dans un premier jugement une carence fautive de l’État dans ce dossier. La procédure a été initiée par un recours du collectif d’ONG « l’Affaire du Siècle », qui a réuni le nombre record de 2,3 millions de signatures sur une pétition en soutien de leur action.

Quelques mois plus tôt, le 1er juillet, le Conseil d’Etat a contraint le gouvernement à prendre « toutes mesures utiles » d’ici le 31/03/2022 pour parvenir à ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, après un recours de la ville de Grande-Synthe (Nord), menacée par la montée des eaux. Auparavant, c’est la Cour constitutionnelle allemande, saisie par des citoyens et des ONG, qui jugeait que la Loi Climat de décembre 2019 « violait les droits des générations futures ». Elle oblige le législateur allemand à revoir « leur objectif de réduction d’émissions de gaz à effet de serre pour la période allant de décembre 2022 à 2030 ».

Ces décisions interviennent dans un contexte de fort développement des contentieux climat. « En 2017, 884 poursuites judiciaires avaient été déposées dans 24 pays. En 2020, les poursuites avaient presque doublé, avec au moins 1.550 affaires liées au changement climatique déposées dans 38 pays », indique un rapport du programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) publié début 2021.

Le phénomène débute vers 2015, année de la signature de l’accord de Paris mais surtout d’une décision de justice historique : celle de l’affaire Urgenda, aux Pays-Bas. En 2015, la fondation Urgenda a en effet réussi à faire condamner en première instance l’Etat Néerlandais devant le tribunal de La Haye, qui a ordonné au gouvernement de réduire ses émissions annuelles de gaz à effet de serre de 25% d’ici fin 2020 par rapport à leur niveau de 1990. Une décision définitivement confirmée en 2019 après le rejet du pourvoi en cassation de l’Etat néerlandais.

« La décision de 2015 dans l’affaire Urgenda a eu un effet boule de neige, car elle a permis d’envisager la responsabilité de l’Etat pour inaction », explique Christel Cournil, professeure de droit public à Sciences Po Toulouse et membre de l’équipe de juristes de Notre affaire à tous. « On a dépassé le fait de considérer les gaz à effet de serre comme une question simplement politique et non une question juridique », analyse-t-elle. Depuis, « l’argument du climat est utilisé dans beaucoup plus de recours contre certaines installations ».

En août 2021, un juge fédéral américain a par exemple utilisé l’argument climatique pour rejeter un permis de forage pétrolier accordé à l’entreprise ConocoPhillips en Alaska. Et fin octobre, des autochtones habitant les îles australiennes de Boigu et Saibai, menacées de submersion, ont poursuivi leur propre gouvernement.

« Les activistes se disent désormais qu’il y a plus de chances que les contentieux aboutissent », note la juriste Marta Torre-Schaub, directrice de recherche au CNRS et fondatrice du réseau Droit et climat, qui note un double effet « Urgenda-Accord de Paris ». Une majorité des contentieux ont été lancés contre les gouvernements.

Pourtant, « la proportion de recours qui aboutit est largement inférieure au nombre de contentieux, et le nombre de décisions favorables aux requérants est encore moins important », explique-t-elle. « Il faut admettre qu’on ne voit pas tellement les effets de ce phénomène, car beaucoup de décisions ont été prises en première instance, comme celle du recours de Grande-Synthe ou de l’affaire du siècle. Les voies de recours ne sont pas épuisées, et les affaires peuvent aboutir dans quelques années. »

Les entreprises, poursuivies moins fréquemment, sont généralement « visées pour ne pas avoir intégré le changement climatique dans leur processus décisionnel, ni divulgué les risques liés au climat », selon le rapport du PNUE. En France, Total est par exemple poursuivie par « notre affaire à tous », sur la base dela Loi de 2017 sur le devoir de vigilance des entreprises. « Attaquer les entreprises en justice est plus complexe, mais la loi sur le devoir de vigilance permet aux juges d’avoir une forte liberté d’interprétation », explique-t-elle encore.

Pourtant, jusqu’ici, « la plupart des contentieux contre les entreprises ont été perdus : c’est le cas des demandes de réparations de villes américaines contre des majors pétrolières, ou des poursuites de celles-ci par des procureurs sur des affaires de mensonge et de lobbying », nuance Christel Cournil.

Exception récente : la condamnation en première instance de Shell par le tribunal de La Haye, en mai 2021, dans laquelle le juge a ordonné pour la première fois à une entreprise de réduire ses émissions de CO2 (de 45% d’ici à 2030). Shell a cependant fait appel. Et comme l’indique le rapport du PNUE, à ce jour, « aucun tribunal n’a condamné un défendeur à payer des dommages et intérêts pour avoir contribué au changement climatique ».

Jusqu’ici, l’essentiel des décisions de justice climatique favorables aux requérants ont donc été prises par la justice administrative à l’encontre d’Etats. Les autres branches de la justice semblent plus timorées. Par exemple, la plainte déposée devant la Cour de justice de la République contre le Premier ministre Jean Castex et quatre ministres pour inaction climatique a été jugée irrecevable le 11 octobre 2021. Alors, la justice administrative peut-elle avoir une réelle influence sur la politique climatique de l’Etat ?

Dans une analyse publiée sur Twitter, l’avocat spécialiste en droit de l’environnement Arnaud Gossement estime que les deux jugements de l’affaire du siècle « sont intéressants s’agissant de la faute mais moins à propos de la réparation effective du préjudice né de cette faute ».

Surtout, il juge que « les conséquences réellement concrètes de ces jugements pour l’action de l’Etat sont limitées ». En effet, l’avocat note que l’Etat est tenu responsable d’un tiers seulement du dépassement d’émissions pour la période 2015-2018 et que, s’il doit faire cesser ce préjudice écologique, il n’est cependant pas condamné à le réparer en nature ou en espèces. Contrairement à ce qu’ont demandé les ONG, il n’est pas non plus tenu de payer une astreinte en cas de retard dans son action pour faire cesser ce préjudice.

Enfin, séparation des pouvoirs oblige, le juge administratif ne s’est pas risqué à dire à l’Etat comment agir pour faire cesser le préjudice. Faut-il en conclure, comme le président de France Nature Environnement, Arnaud Schwartz, que « notre souci en matière de climat ne se réglera pas au tribunal » ? Ces décisions de justice ont malgré tout un « effet politique et symbolique fort », tempère Marta Torre-Schaub. Dans le cas de l’affaire du siècle, le succès de la pétition a entraîné une réponse officielle du gouvernement avant la décision de justice.

Quant à l’absence de sanction envers l’Etat, elle est interprétée par l’universitaire comme un premier pas : « Dans les premières décisions du juge administratif sur le dossier de la pollution de l’air, il n’y avait d’abord pas eu de sanction non plus », rappelle-t-elle.

Et puis, en juillet 2020, trois ans après les premières décisions de justice dans ce dossier, le Conseil d’Etat a condamné l’Etat à payer 10 millions d’euros d’astreinte par semestre. « Oui, les victoires devant la justice administrative sont symboliques, mais pas que », estime Christel Cournil. « Elles représentent plus qu’un risque d’image pour le gouvernement. »

Alors que le gouvernement a jusqu’à 2023 pour réduire les émissions de gaz à effet de serre avant d’être éventuellement sanctionné par un juge, ce risque réel semble cependant en décalage avec l’urgence climatique.

Bruno Bourgeon http://aid97400.re

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