AID Association Initiatives Dionysiennes

Ouv zot zié !

Accueil > Politique > L’Arabie Saoudite, nouveau défenseur du climat ?

Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2021-125

L’Arabie Saoudite, nouveau défenseur du climat ?

Par Byline Times Team, traduit par Jocelyne le Boulicaut

vendredi 17 décembre 2021, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

L’Arabie Saoudite, nouveau défenseur du climat ?

Le 29 novembre 2021 par Byline Times Team

Des journaux britanniques ont accepté de l’argent pour publier des articles environnementaux positifs sur l’Arabie saoudite dans le cadre de la COP26

Capture d’écran des articles et vidéos de l’Evening Standard sur la Saudi Green Initiative.

Une enquête spéciale de Byline Times soulève des questions préoccupantes concernant l’indépendance éditoriale et la transparence des journaux The Independent et Evening Standard.

Les journaux The Independent et Evening Standard ont été accusés d’écoblanchiment après avoir accepté de l’Arabie saoudite une somme d’argent dont le montant n’a pas été divulgué afin de publier des dizaines d’articles positifs sur l’environnement dans le pays avant, pendant et après le sommet des Nations Unies sur le changement climatique COP26 à Glasgow.

Dans les jours qui ont précédé le sommet et pendant ses premiers jours, The Independent a publié pas moins de 50 articles et vidéos dans le cadre d’un accord commercial avec l’Arabie saoudite, révèle une enquête de Byline Times. La plupart des articles publiés dans le cadre de cet accord mettaient en avant des actions environnementales positives liées au pays et omettaient de mentionner des détails contextuels négatifs – comme le fait que l’Arabie saoudite est le plus grand exportateur de pétrole au monde et que ses émissions domestiques sont près de trois fois supérieures à celles de la moyenne du G20.

80 % des articles présentaient soit le ministère saoudien de l’Énergie soit un projet environnemental dans le pays sous un jour positif. Seuls trois des 50 articles identifiés dans le cadre de l’accord commercial ont fourni des détails contextuels sur la production pétrolière de l’Arabie saoudite. Aucun d’entre eux ne mentionnait ses plans pour augmenter sa capacité de production de pétrole pour passer de 12 millions de barils par jour à 13 millions d’ici 2027.

Un article avait pour titre : « L’Arabie saoudite est le fer de lance d’une nouvelle ère d’action en faveur du climat ». D’autres étaient intitulés : « L’Arabie saoudite se réoriente vers un avenir plus durable » et « La princesse Reema appelle les dirigeants mondiaux à agir pour le climat. »

Après la conclusion de la COP26, des dizaines d’autres articles et vidéos ont été publiés sur les sites web de The Independent et de l’Evening Standard, dans le cadre d’accords commerciaux avec l’Arabie saoudite.

« Contenus partenaires »

Les contenus des journaux qui ont été payés sont réglementés par l’Advertising Standards Authority et sont soumis à la loi sur la protection des consommateurs. En vertu de la législation en vigueur, les journaux sont tenus d’indiquer clairement que les contenus ont été achetés.

Alors que la plupart des articles couverts par les accords commerciaux étaient labellisés « Contenu de partenaire », Byline Times a identifié sur le site Web de l’Evening Standard 12 articles qui ne comportaient aucune mention informant le lecteur que le contenu avait été payé par l’Arabie saoudite.

Il s’agissait notamment d’un article et d’une vidéo intitulés : « Saudi Leaders Are Embracing « Unappreciated » Ways of Facing Climate Crisis, Says Researcher » (Les dirigeants saoudiens envisagent des moyens " inattendus " pour faire face à la crise climatique, NdT). Un autre article faisait l’éloge d’une conférence organisée par l’Arabie saoudite à Londres, la qualifiant de « COP de décideurs. »

Les articles qui faisaient partie de l’accord commercial entre The Independent et l’Arabie saoudite ont également été reproduits sur les sites web d’autres organismes de presse, tels que Yahoo News, où on ne trouvait aucune mention informant le lecteur que l’Arabie saoudite avait payé pour leur rédaction.

Les accords commerciaux conclus par The Independent et l’Evening Standard avec l’Arabie saoudite soulèvent des questions quant à l’indépendance éditoriale.

Jamie Peters, directeur par intérim de l’organisation environnementale Friends of the Earth (Amis de la Terre), a déclaré à Byline Times que les organes de presse qui reçoivent de l’argent des exportateurs de pétrole doivent faire preuve d’une plus grande transparence dans leurs transactions.

Pourquoi le Guardian accepte-t-il une subvention douteuse du gouvernement de Boris Johnson ? Brian Cathcart (Murdoch:Byline Times)

« Si les organes de presse sont prêts à accepter de recevoir de l’argent d’entités qui tirent profit d’activités polluantes, telles que les exportations de pétrole, il semble juste et éthique qu’ils fassent savoir à leurs lecteurs combien ils ont été payés pour sortir cette publication », a-t-il déclaré.

Le groupe environnemental Fossil Free London a qualifié les accords de « grandement problématiques. » Un porte-parole a déclaré : « Les gens devraient être très inquiets de l’argent saoudien déversé dans des publications comme l’Evening Standard et The Independent et de l’impact potentiel sur l’impartialité éditoriale. »

The Independent a confirmé à Byline Times qu’il a été payé par l’Arabie saoudite pour publier des articles et des vidéos avant la COP26, dans le cadre d’un partenariat avec la Saudi Green Initiative (SGI) – une entité du gouvernement saoudien qui se concentre sur le changement climatique et la durabilité. Cependant, le journal a refusé de révéler le nombre d’articles publiés dans le cadre de l’accord et le montant de la contrepartie, déclarant qu’il n’était « pas obligé de partager les détails des relations commerciales. »

Un porte-parole a ajouté : « The Independent était un partenaire de la SGI. Dans le cadre de ce partenariat, la SGI a payé pour que le contenu soit publié sur son site par The Independent. Conformément au protocole de l’industrie, tant le site que le contenu étaient clairement marqués comme étant du contenu sponsorisé ou en partenariat. »

L’Evening Standard quant à lui n’a pas répondu à la demande de commentaire de Byline Times.

Des accords « non conventionnels, complexes et clandestins. »

Ce n’est pas la première fois que le groupe de presse est accusé de brouiller la frontière entre contenu sponsorisé et contenu éditorial. En 2018, l’Evening Standard a conclu un accord de 3 millions de livres Sterling avec des entreprises, dont Google et Uber, en leur promettant un contenu style « ça ne s’achète pas », selon une enquête d’openDemocracy. Un initié a déclaré au site d’investigation que « ce qui était offert était clair – des nouvelles construites de manière théâtrale, montrant toutes les bonnes mesures prises. »

L’ancien rédacteur en chef de la publication londonienne – l’ancien chancelier et député conservateur George Osborne – a également été accusé d’un grave conflit d’intérêts en lien avec sa couverture souvent positive de la société de taxis privés Uber. En 2017, initiative extrêmement inhabituelle, le syndicat national des journalistes a demandé publiquement à Osborne de déclarer à ses lecteurs son emploi personnel rétribué à hauteur de 650 000 livres Sterling auprès du gestionnaire de fonds Blackrock, qui détenait une participation importante dans Uber.

Les dernières révélations de Byline Times soulèvent également de nouvelles questions sur la structure de propriété des deux titres. En juillet 2019, The Independent et l’Evening Standard ont été explicitement accusés par le gouvernement d’être en partie détenus par l’État saoudien, avec une série d’accords « non conventionnels, complexes et clandestins » utilisés pour cacher la prise de participations d’une banque du gouvernement saoudien dans les organes de presse.

Evgeny Lebedev, qui contrôle les deux publications, a vendu des participations de 30 % dans les deux journaux à des sociétés offshore dirigées par un homme d’affaires saoudien, Sultan Mohamed Abuljadayel, en 2017 et 2018. The Independent et l’Evening Standard ont déclaré qu’ils étaient incapables de savoir qui était finalement l’employeur de l’homme d’affaires.

David Scannell, le représentant légal du gouvernement, a déclaré au tribunal que le gouvernement saoudien pouvait désormais potentiellement exercer une influence éditoriale sur les organes de presse. Il a déclaré que la vente des actions avait été faite dans un cadre de « considérations d’intérêt public », citant « la liberté d’expression et l’exactitude des informations » comme étant « pertinentes pour cette fusion. » Il a également accusé Lebedev de faire des pieds et des mains pour éviter de répondre aux questions sur les transactions.

L’éducation du public aux médias

Fossil Free London demande aux journaux de fournir plus d’informations sur les contenus pour lesquels ils ont été payés. « Dans cet écosystème, la transparence est essentielle, a déclaré un porte-parole à Byline Times. Le fait que le Standard et The Independent refusent de révéler combien ils sont payés pour publier des articles de greenwashing est très inquiétant.

Si le public est informé des sommes d’argent qui changent de mains, il sera en mesure de se faire une opinion éclairée sur l’influence de l’Arabie saoudite auprès de ces institutions et de déterminer si le contenu éditorial est influencé ou dilué en raison des accords de partenariat . »

« Comme c’est souvent le cas lorsqu’il s’agit du financement des combustibles fossiles, il y a très peu de transparence ici et nous sommes obligés de faire des rapprochements pour essayer de faire la lumière sur des transactions obscures.

Si nous savons sans aucun doute qu’un journal a pour politique de refuser le mécénat d’entités qui tirent d’énormes profits des combustibles fossiles, alors nous pouvons lui accorder beaucoup plus de confiance en tant que source d’information indépendante concernant le changement climatique. »

Byline Times Novembre 2021

« Il est vraiment triste que, quelques semaines seulement après la COP26, les chefs d’entreprise et les rédacteurs en chef de journaux continuent à faire comme si de rien n’était. » Le groupe de pression estime également qu’un affichage plus clair est nécessaire pour identifier le contenu lorsqu’il relève d’un paiement aux journaux.

« Le système tel qu’il existe aujourd’hui fait des hypothèses bien hasardeuses en ce qui concerne l’éducation du grand public aux médias, a déclaré le porte-parole. La façon dont ces journaux utilisent les mentions « Partenaire de » et « Contenu partenaire » crée une ambiguïté et pour beaucoup de gens ordinaires le fait que ce contenu est directement payé par l’Arabie saoudite ne sera pas une évidence. »

Duncan Meisel, directeur de Clean Creatives – un groupe américain qui fait campagne contre les messages publicitaires des entreprises de combustibles fossiles – estime que le contenu des journaux financé par l’Arabie saoudite est mauvais pour la société.

« Il est évident que les publicités diffusées par les pays liés au pétrole et l’industrie pétrolière elle-même sont conçues pour se prévaloir d’une caution sociale, et ainsi tromper le public sur leur engagement en matière d’action climatique, a-t-il déclaré à ce journal. C’est bien là le but de ces publicités – et le fait que vous en voyiez tant aux alentours de la date de la COP26 démontre que le rôle est de duper le public à ces moments où prévaut une plus grande focalisation sur la capacité à agir. »

« Il s’agit ici d’un exemple parfait de la fonction que revêt la publicité pour les entreprises de combustibles fossiles, qui est non seulement mensongère, mais dont les mensonges ont un ordre du jour très précis à l’esprit, il s’agit de retarder l’action en faveur du climat. Pour l’Arabie saoudite, le grand avantage de ces publicités est qu’elles ressemblent à des articles de presse impartiaux et ordinaires – et c’est bien pour cela qu’ils les ont achetés. »

Version imprimable :