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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2021-128

L’Australie a offert Julian Assange aux États-Unis en sacrifice

Par Saski Peachey, traduit par Jocelyne le Boulicaut

vendredi 24 décembre 2021, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

L’Australie a offert Julian Assange aux États-Unis en sacrifice

Le 12 Avril 2021 par Saski Peachey

Les États-Unis se battent bec et ongles pour obtenir l’extradition de Julian Assange vers une prison américaine. Le gouvernement australien, fidèle à son rôle d’allié dévoué, est en train de livrer Assange et de faire fi de tout engagement en faveur des droits humains, de la liberté de la presse et de la démocratie.

Le fondateur de Wikileaks, Julian Assange, à Londres, en 2019. (Alberto Pezzali / NurPhoto via Getty Images)

Les États-Unis ont repris avec un acharnement renouvelé leur campagne d’extradition contre le journaliste australien Julian Assange. En janvier dernier, la juge de district britannique Vanessa Baraitser avait bloqué une demande d’extradition américaine – non pas parce que l’extradition menaçait la liberté de la presse, mais parce que, compte tenu des conditions du système carcéral américain, Assange risquerait de se suicider s’il était transféré. Ne se laissant pas décourager, les États-Unis ont fait appel du jugement le 27 octobre, et la décision devrait être annoncée ce mois-ci.

Durant toute cette séquence, le gouvernement australien a fait preuve d’un silence inquiétant. Le fait qu’Assange soit un citoyen australien ne semble pas compter quand ce sont les États-Unis qui réclament du sang. En 2010 déjà, l’ancienne Première ministre australienne Julia Gillard était si désireuse de plaire à ceux qu’elle appelait « nos meilleurs amis » à Washington qu’elle a proposé que le passeport d’Assange lui soit retiré – jusqu’à ce qu’on lui fasse remarquer que cela serait illégal.

Interrogé sur l’arrestation d’Assange en 2019, l’actuel Premier ministre Scott Morrison a simplement déclaré qu’il « devrait faire face à la tempête. » De toute évidence, le gouvernement australien s’est affranchi de toute responsabilité quant à la protection d’un de ses citoyens contre une extradition illégale.

Complots

L’extrême violence de la campagne américaine contre Assange continue d’être mise en lumière. En septembre, un rapport explosif de Yahoo ! News a détaillé un complot de la CIA visant à kidnapper et à assassiner Assange pendant sa réclusion à l’ambassade d’Équateur en 2017.

Le complot décrit la riposte des services de renseignement américains à la publication de secrets d’État américains, notamment les crimes de guerre commis en Afghanistan et en Irak, le guide du camp de prisonniers de Guantanamo et les capacités des services de renseignement américains à pirater des biens de consommation à des fins d’espionnage.

Mike Pompeo, alors chef de la CIA, a publiquement qualifié WikiLeaks de « service de renseignement non étatique hostile », une qualification qui apportait un soutien tacite aux tactiques agressives envisagées par les services de renseignement à l’encontre de Julian Assange.

Ces mesures extrêmes ont été évoquées aux plus hauts niveaux du gouvernement américain, et n’ont été rejetées que par crainte de leur effet sur le procès d’extradition, selon l’article de Yahoo ! News.

En outre, le journal d’investigation islandais Stundin a publié en juin un témoignage au sujet d’un témoin clé de l’affaire, Sigurdur Ingi Thordarson. Ce dernier a publiquement admis avoir inventé de toutes pièces ses affirmations selon lesquelles Assange lui aurait demandé de pirater les systèmes du gouvernement islandais.

Il a également été reconnu coupable d’abus sexuels sur mineurs et de fraude financière. Dans l’interview qu’il a accordée à Stundin, il a admis avoir poursuivi ses crimes tout en travaillant pour le ministère américain de la Justice, en bénéficiant d’une promesse d’immunité contre toutes poursuites.

Sigurdur Thordarson est actuellement emprisonné à Litla Hraun en Islande (MYND : STUNDIN / SAMSETT)

Cela signifie que la véracité de l’acte d’accusation d’Assange présenté au tribunal de première instance du Royaume-Uni (qui, en cas de condamnation, ferait encourir à Assange une peine de 175 ans de prison) est directement contredite par le principal témoin concerné.

Les poursuites suédoises à son encontre concernant des allégations de viol ont également été abandonnées, suite à la réouverture de l’enquête en 2019, mais en raison du laps de temps important entre l’agression présumée en 2010 et l’enquête. Assange a toujours nié ces allégations.

Le caractère extrême du complot des agences de renseignement américaines à l’encontre Assange indique leur véritable motif : protéger les actions américaines de tout examen. À cet égard, le gouvernement australien a été entièrement complice, donnant en fait Assange aux Américains, tout en fermant les yeux sur ses droits en tant que citoyen australien.

Un silence assourdissant

En Australie, un silence manifeste règne. Un groupe parlementaire bipartite du nom de "Bring Julian Assange Home" a indiqué que seuls 29 des 226 sénateurs et députés actuels sont favorables à la libération de Julian Assange. Cela signifie qu’une écrasante majorité des politiciens australiens actuels estiment qu’une puissance étrangère peut poursuivre des journalistes australiens.

Une pétition en faveur de la libération d’Assange, l’une des plus importantes jamais déposées au Parlement, a recueilli plus de deux cent mille signatures, mais a été largement ignorée.

Dans leurs programmes fédéraux, les deux principaux partis défendent une « société au sein de laquelle les individus sont libres de poursuivre leurs objectifs individuels » (Parti libéral) et une « nation démocratique qui protège toujours la liberté et la vie privée de ses citoyens » (Parti travailliste).

Pourtant, la vacuité de ces paroles est démontrée par le silence concernant Assange lui-même. À part quelques voix isolées, il y a malheureusement peu d’Australiens qui soient prêts à défendre publiquement Assange et son droit fondamental à la protection.

Même le groupe parlementaire ’Bring Julian Assange Home’ refuse de prendre une position de principe. Au lieu de cela, leur campagne stipule que les fuites ne sont pas préoccupantes, notamment parce qu’elles n’ont pas « mis en danger les intérêts ou le personnel australiens ». Cela implique que si les fuites prouvaient un acte répréhensible de l’Australie (ou pour user d’un euphémisme l’« intérêt australien »), ce groupe parlementaire minoritaire chanterait une autre chanson.

Des mots vides de sens

Extradition d’Assange : on ne peut pas avoir confiance dans les assurances US (YouTube.com)

Étant donné que la décision de janvier contre l’extradition vers les États-Unis repose sur des inquiétudes quant à la santé mentale d’Assange dans le terrible système carcéral américain, plutôt que sur la protection de la liberté de la presse, les États-Unis ont déclaré qu’Assange pourrait purger sa peine de prison en Australie — cependant, seulement après une audience tenue aux États-Unis.

Le gouvernement australien n’a pas fait de commentaire à ce sujet, et il y a lieu de se méfier d’une telle démarche. Les avocats d’Assange eux-mêmes ont déclaré que cette proposition n’avait aucun sens, car Assange « sera très probablement mort » avant que tout transfert de prison puisse avoir lieu.

En effet, cette offre diplomatique, qui fait suite à l’intervention de la ministre des Affaires étrangères Marise Payne lors de sa visite à Washington DC en septembre, n’est en aucun cas contraignante.

Une porte-parole du ministère australien des Affaires étrangères a déclaré qu’on « s’attend à ce que M. Assange ait droit à une procédure régulière, à un traitement humain et équitable, à l’accès à des soins médicaux et autres appropriés et à l’accès à son équipe juridique ».

Cela intervient près d’un an après que le rapporteur des Nations Unies sur la torture a qualifié Assange de « prisonnier politique » et déclaré qu’il « présentait les signes typiques d’une exposition prolongée à une torture psychologique. »

Sans une intervention active en faveur d’Assange, l’engagement du ministère des Affaires étrangères en faveur d’un procès équitable (un droit humain fondamental) n’est qu’un vain mot. Il est clair que tout au long de la saga de la décennie de persécution d’Assange, ce droit n’a jamais été respecté.

L’alliance avant tout

Kylie MOORE-GILBERT soutient Assange /WikiLeaks Art Force

La passivité incroyable du gouvernement australien vis à vis du traitement illégal d’Assange montre jusqu’où il est prêt à aller pour protéger son alliance avec les États-Unis. En réalité, bon nombre des crimes exposés par WikiLeaks, notamment concernant les guerres au Moyen-Orient, risquent d’impliquer également l’Australie, un pays qui est lui aussi sous le coup d’accusations de crimes de guerre – l’Australie a emboîté le pas aux États-Unis dans une ribambelle de guerres pendant plus de soixante ans.

L’engagement inconditionnel de l’Australie envers l’alliance américaine a récemment été mis en évidence lorsque le gouvernement Morrison a dénoncé son contrat militaire préexistant avec la France pour conclure un accord avec les États-Unis, renforçant ainsi ses liens avec Washington au détriment de ses relations avec Paris.

Avec un sentiment anti-chinois en hausse dans le contexte d’une Nouvelle guerre froide, le gouvernement australien renforce sans cesse sa loyauté envers Washington. Il ne faut donc pas s’étonner que, dans ces circonstances, le gouvernement ne prenne pas de mesures contre les États-Unis, même s’ils outrepassent leur légitimité.

Pour le gouvernement australien, la protection de son alliance avec les États-Unis est primordiale. Assange a mis le gouvernement américain dans l’embarras en exposant le tissu de brutalités, surveillance illégale et violence qui caractérise les activités au quotidien des États-Unis. Pour avoir mis à nu cette réalité, Assange risque de passer sa vie entière en prison, de subir une torture psychologique et d’être soumis à une persécution incessante.

Tous ceux qui ont à cœur de défendre la transparence, la démocratie et la liberté de la presse devraient être solidaires d’Assange. Mais comme le montre cette affaire, aucun de ces principes n’est une priorité pour le gouvernement australien.

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Codicille de la traductrice :

Julian Assange a perdu dans le cadre de l’appel déposé par Washington : la Haute Cour britannique a accepté le 10 décembre 2021 la demande des États-Unis de l’extrader pour le juger.

Quelle que soit l’issue des procédures ultérieures dans cette affaire, cette décision signifie que les États-Unis ont réussi à faire en sorte qu’Assange reste emprisonné, caché et réduit au silence dans un avenir prévisible. S’ils ne l’ont pas encore brisé définitivement, ils sont sans doute sur le point de le faire. Ses propres médecins et les membres de sa famille l’ont annoncé à plusieurs reprises. Et pourtant, la Haute Cour du Royaume-Uni a répondu favorablement à l’attaque des États-Unis contre la liberté de la presse.