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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2022-017

La fabrique des putschistes et des terroristes

Par Alastair Crooke, traduit par Jocelyne le Boulicaut

jeudi 10 février 2022, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

La fabrique des putschistes et des terroristes

Le 31 janvier 2022 par Nick Turse

Le colonel Assimi Goita, leader de deux coups d’État militaires et nouveau président par intérim, pose avec les avocats lors de sa cérémonie d’investiture à Bamako, au Mali, le 7 juin 2021. (REUTERS/Amadou Keita)

Sommes-nous en train de former de futurs responsables de coups d’État et de fabriquer de nouveaux terroristes en Afrique de l’Ouest ?

Neuf protégés des États Unis ont renversé des gouvernements depuis 2008, dont l’un la semaine dernière. Pendant ce temps, les attaques extrémistes ont augmenté de 70 %. La semaine dernière a été difficile pour la mission militaire américaine au Sahel.

Pendant la majeure partie de deux décennies, les États-Unis ont mis en place une pléthore de programmes de lutte contre le terrorisme et de coopération en matière de sécurité, fournissant un flux constant de fonds, d’armes, d’équipements et de conseillers, déployant même des commandos pour des missions de combat discrètes afin de contrecarrer la montée des groupes islamistes militants en Afrique de l’Ouest.

Lundi dernier, le Centre d’études stratégiques pour l’Afrique du ministère de la Défense, une institution de recherche du Pentagone, a présenté une évaluation en ce qui concerne ces activités. Son sous-titre ne pouvait guère être plus sinistre. Selon le rapport, « Une augmentation annuelle de 70 % des événements violents liés à des groupes islamistes militants au Sahel a entraîné un nouveau record de violence extrémiste en Afrique en 2021. »

L’année dernière, les attaques partout dans la région ont bondi, passant de 1 180 à 2 005. « Ce pic a constitué le changement le plus marquant enregistré dans tous les théâtres de violence quand il s’agit des groupes islamistes militants en Afrique, a annoncé l’Africa Center. Cela prolonge une escalade ininterrompue de la violence impliquant des groupes islamistes militants dans la région, et cela depuis 2015. Bien qu’ayant pris naissance et restant largement centrée au Mali, la propension à cette violence s’est maintenant déplacée vers le Burkina Faso, qui concentre 58 % de tous les événements au Sahel. »

Ce sombre bilan a toutefois été éclipsé par des informations en provenance du Burkina Faso. Le jour même où l’Africa Center a publié son rapport, un jeune officier militaire est apparu à la télévision d’État pour annoncer que les militaires burkinabés avaient suspendu la constitution et dissous le gouvernement, remplaçant le président démocratiquement élu du pays, Roch Marc Christian Kaboré, par le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, le commandant de l’une des trois régions militaires du pays.

Si l’effort américain de lutte contre le terrorisme n’a pas réussi à endiguer la vague de militantisme islamiste en Afrique de l’Ouest, il a produit un nombre surprenant de putschistes. Damiba a pris part à pas moins d’une demi-douzaine de séances formation américaines, selon le commandement américain pour l’Afrique, ou AFRICOM. 

En 2010 et 2020, par exemple, il a participé à Flintlock, un exercice annuel du Commandement des opérations spéciales en Afrique axé sur le renforcement des capacités de lutte contre le terrorisme des nations d’Afrique de l’Ouest, notamment le Burkina Faso, la Guinée, le Mali, la Mauritanie et le Niger.

Le contre-terrorisme au Sahel fait payer un lourd tribut aux civils (Photo ISS Institute for Security Studies)

En 2013, Damiba a été accueilli dans un cours de formation et d’assistance aux opérations de contingence en Afrique. En 2013 et 2014, il a suivi un cours élémentaire d’officier du renseignement militaire-Afrique financé par les États-Unis. Et en 2018 et 2019, Damiba a participé à des missions avec le U.S. Civil Military Support Element (CMSE) au Burkina Faso.

« Les prises de pouvoir militaires sont incompatibles avec la formation et l’éducation militaires américaines », a déclaré Kelly Cahalan, porte-parole de l’AFRICOM, à Responsible Statecraft. Mais Damiba est le troisième officier burkinabé formé par les États-Unis qui renverse son propre gouvernement depuis 2014 et l’un des quelques neuf protégés de l’armée américaine en Afrique de l’Ouest qui organise un coup d’État depuis 2008. Ces mutineries concernent également trois coups d’état au Mali – dont deux par le même officier – et un dans chacun des pays suivants : Guinée, Mauritanie et Gambie.

Le rapport de l’Africa Center de la semaine dernière et le coup d’État burkinabé sont survenus après l’attaque – le samedi 22 février – d’une base militaire française à Gao, au Mali, qui a tué un soldat français et blessé un militaire américain. Ce militaire non identifié n’était que la dernière victime en date de la quasi-guerre américaine discrète au Sahel.

En 2018, au moins quatre soldats américains ont été blessés dans une attaque menée par des militants contre un « super camp » des Nations Unies à Tombouctou, au Mali. Un an plus tôt, quatre soldats américains ont été tués et deux autres ont été blessés lors d’une embuscade tendue par des militants de l’État islamique au Niger voisin. Au cours de la dernière décennie, les forces américaines ont essuyé des tirs hostiles ailleurs dans la région, notamment au Burkina Faso, au Cameroun et en Mauritanie.

Si des troupes américaines ont été tuées et blessées lors de combats en Afrique de l’Ouest, les principales victimes de la violence dans la région ont été les populations mêmes, que les efforts antiterroristes américains étaient censés protéger. Et le bilan de cette effusion de sang est peut-être le constat le plus accusateur de l’Africa Center.

Selon le nouveau rapport, on estime que les 4 839 décès liés à la violence islamiste dans le Sahel l’année dernière représentent une augmentation de 17 % par rapport à l’année précédente. Et cette envolée faisait suite à une augmentation de 57 pour cent entre 2019 et 2020.

« La violence des groupes islamistes militants à l’encontre des civils au Sahel représente 60 % de l’ensemble de ces violences en Afrique, note l’Africa Center. Il y a maintenant plus de victimes dues aux groupes islamistes militants au Sahel que dans toute autre région d’Afrique. »

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