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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2022-028

Perdre du temps c’est périr

Par Rachel Ramirez, traduit par Jocelyne le Boulicaut

mercredi 9 mars 2022, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Perdre du temps c’est périr

Le 28 février 2022 par Rachel Ramirez, CNN

Angela Dewan de CNN a contribué à cet article.

"Abdication de leadership criminelle" a déclaré Antonio Guterres

« Perdre du temps c’est mourir » : Un nouveau rapport montre que nous sommes en voie d’épuiser les moyens pour nous adapter à la crise climatique. Voici les principales conclusions de ce rapport

Le changement climatique est en passe de transformer la vie sur Terre telle que nous la connaissons, et à moins que le réchauffement de la planète ne soit considérablement ralenti, des milliards de personnes et d’autres espèces vont arriver à un stade où elles ne pourront plus s’adapter à la nouvelle normalité, selon un rapport majeur publié lundi.

Le rapport soutenu par les Nations unies, qui s’appuie sur des années de recherches menées par des centaines de scientifiques, révèle que les effets du changement climatique causé par l’homme sont plus importants qu’on ne le pensait. Selon les auteurs du rapport, ces effets se produisent beaucoup plus rapidement et sont plus perturbateurs et plus étendus que ce que les scientifiques avaient prévu il y a 20 ans.

Les auteurs soulignent d’énormes inégalités dans la crise climatique, constatant que ceux qui contribuent le moins au problème sont les plus touchés, et mettent en garde contre des impacts irréversibles si le monde dépasse 1,5 degré Celsius de réchauffement planétaire.

Récifs coralliens blanchis autour de la Polynésie française en 2019 (CNN)

Selon le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, le rapport « est un recueil de la souffrance humaine et une accusation accablante envers l’échec des dirigeants dans la lutte contre les changements climatiques », et il a averti que « perdre du temps c’est mourir ».

« Les faits sont indéniables. Cette abdication du leadership est criminelle », a déclaré Antonio Guterres dans un communiqué. « Les coupables sont les plus grands pollueurs du monde, et ils mettent le feu à la seule maison que nous ayons ».

Il a également déclaré que les « événements actuels » montraient que le monde était trop dépendant des combustibles fossiles, les qualifiant « d’impasse », faisant ainsi une claire référence au conflit et à la crise de l’énergie en Ukraine.

Cinq scénarios (Source : Rapport du groupe de travail I du GIEC AR6 Graphique : John Keefe, CNN)

Voici les principales conclusions du rapport :

Un réchauffement supérieur à 1,5 degré pourrait avoir des conséquences irréversibles
Depuis des décennies, les scientifiques tirent la sonnette d’alarme, le réchauffement doit rester en deçà de 1,5 degré Celsius par rapport aux niveaux préindustriels.

Le rapport publié lundi par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) des Nations unies montre que si cette limite est franchie, certains changements seront irréversibles pendant des centaines – voire des milliers – d’années. Et certains de ces changements pourraient être définitifs, même si la planète se refroidit à nouveau.

Le monde est déjà 1,1 degré Celsius plus chaud qu’avant l’industrialisation, selon l’estimation du GIEC, qui est considérée comme prudente. Nous nous dirigeons maintenant rapidement vers 1,5 degré.

Les émissions de gaz à effet de serre porteront le réchauffement à 1,5 °C
Dans les cinq scénarios envisagés dans le rapport du GIEC, le monde est en passe de se réchauffer d’au moins 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels. Seul le scénario d’émissions les plus faibles, dans lequel les émissions de dioxyde de carbone diminuent jusqu’à un niveau net nul vers 2050, permettrait éventuellement à la planète de passer sous ce seuil.

Selon le rapport, chaque événement extrême conduit les écosystèmes à se rapprocher plus encore des points dits de basculement au-delà desquels des changements irréversibles peuvent se produire.

Selon le rapport aussi, dans le cas d’un réchauffement de 2 degrés, par exemple, pas moins de 18 % de toutes les espèces terrestres seront exposées à un risque élevé d’extinction. À 4 degrés, 50 % des espèces sont menacées.

« Concernant plusieurs systèmes que nous connaissons, les défis sont déjà nombreux si la hausse est de 1,5 degré », a déclaré Hans-Otto Pörtner, coprésident du rapport et scientifique au Centre Helmholtz de l’Institut Alfred Wegener pour la recherche polaire et marine.

Un homme à l’œuvre dans les Alpes suisses sur le glacier du Rhône en octobre 2021, ce dernier est partiellement recouvert de mousse isolante pour l’empêcher de fondre en raison du réchauffement climatique (CNN)

« Il est clair qu’en ce qui concerne les récifs coralliens, il nous faut admettre que dans de nombreux endroits, ils ont déjà dépassé les points de basculement. Ils sont sur la pente descendante. »

Selon les auteurs, les écosystèmes très vulnérables de l’Arctique, des montagnes et des côtes sont les plus menacés par ces changements. La fonte des calottes glaciaires et des glaciers entraînera une élévation accélérée du niveau de la mer, et celle-ci sera irréversible pendant des siècles.

Les forêts, les tourbières et le pergélisol – des endroits qui absorbent et stockent naturellement les gaz à effet de serre – risquent d’être amenés à rejeter ces gaz dans l’atmosphère, provoquant un réchauffement encore plus important.

Nous arrivons au bout de nos capacités d’adaptation
« L’ Adaptation » cela veut dire trouver des moyens pour vivre en accompagnant le changement — par exemple en érigeant des digues pour contrer l’élévation du niveau de la mer ou en appliquant de nouveaux critères de construction pour que les maisons puissent résister à des conditions météorologiques plus extrêmes.

Construction d’un mur de protection anti-inondations dans l’est de Manhattan, à New York, le 11 décembre 2021 (CNN)

Les scientifiques notent que certaines des adaptations que nous avons mises en œuvre ont jusqu’à présent atténué l’impact de la crise climatique, mais celles-ci se révéleront insuffisantes sur le long terme. A partir d’une hausse de 1,5 degré, nos capacités d’adaptation seront encore plus réduites.

Et bien que le monde naturel se soit adapté aux divers changements de climat tout au long de millions d’années, le rythme du réchauffement planétaire causé par l’homme accule au bord du gouffre bon nombre des systèmes les plus fragiles de la planète – comme les forêts tropicales, les récifs coralliens et l’Arctique. Des conditions météorologiques plus extrêmes n’affectent pas seulement les humains, elles provoquent aussi des extinctions massives de plantes et d’animaux.

La croissance démographique et le développement, qui n’ont pas été gérés dans une optique d’adaptation à long terme, mettent également les populations en danger. Pas moins de 3,6 milliards de personnes vivent dans des endroits déjà très vulnérables aux risques climatiques dont une partie ne pourra plus s’adapter lorsque la planète aura atteint le seuil de 1,5 degré.

Une grande partie des ressources mondiales, notamment la finance internationale, est consacrée à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, ce que l’on appelle l’atténuation. Lors de la conférence COP26 sur le climat qui s’est tenue à Glasgow, en Écosse, l’année dernière, les pays en développement ont déploré le refus des pays riches de contribuer au financement de leur adaptation.

« Nous avons constaté que la grande majorité du financement climatique va à l’atténuation plutôt qu’à l’adaptation », a déclaré Adelle Thomas, une des autrices du rapport qui est climatologue à l’Université des Bahamas. « Ainsi, bien que le processus d’adaptation soit engagé, il n’y a pas assez de financement et ce n’est pas une priorité de premier ordre, ce qui explique pourquoi il y a un tel retard. »

Près de 3 milliards de personnes seront confrontées à une « pénurie hydrique aiguë. »
Selon le rapport, près de la moitié de la population mondiale connaît chaque année une grave pénurie d’eau, en partie due à des facteurs liés au climat. L’eau deviendra encore plus rare si les températures mondiales augmentent.

À 2 degrés de réchauffement de la planète – hausse prévue par les scientifiques d’ici le milieu du siècle – près de trois milliards de personnes dans le monde connaîtront une « pénurie hydrique aiguë », selon le rapport. Ce chiffre passe à quatre milliards de personnes si la hausse atteint 4 degrés.

Habitants remplissant des récipients d’eau pendant une pénurie à Nairobi, au Kenya, en janvier 2022 (CNN)

Les pénuries d’eau exerceront une pression énorme sur la production alimentaire et aggraveront les problèmes de sécurité alimentaire déjà très graves dans le monde.

Une crise de l’eau se prépare déjà dans l’ouest des États-Unis. Une sécheresse de plusieurs années a vidé les réservoirs et provoqué des coupures d’eau sans précédent dans la région. Le lac Mead, le plus grand réservoir du pays, est descendu à des niveaux records ces derniers mois, menaçant l’approvisionnement en eau de dizaines de millions de personnes.

Amandiers morts dans un champ après avoir été arrachés par un agriculteur en raison du manque d’eau pour irriguer, à Huron, en Californie, en juillet 2021. Selon les auteurs, la sécheresse a imposé une limite stricte à l’adaptation de la culture des amandiers (CNN)

La majeure partie du Moyen-Orient connaît des niveaux élevés de stress hydrique, qui devraient s’aggraver avec le réchauffement de la planète, ce qui soulève la question de savoir combien de temps ces parties de la région continueront d’être habitables. Ces dernières années, de vastes étendues en Afrique ont également souffert d’une sécheresse prolongée.

Le rapport se concentre sur l’interdépendance entre les écosystèmes de la Terre et les humains, et notamment sur la manière dont la crise climatique modifie les ressources en eau.

« Ce que nous voulions vraiment montrer, c’est que les écosystèmes et tous les secteurs de la société humaine et du bien-être humain dépendent fondamentalement de l’eau », a déclaré à CNN Tabea Lissner, scientifique chez Climate Analytics et co-autrice du rapport. « Et ce n’est pas seulement la ressource en eau elle-même qui joue un rôle important dans la sécurité de l’eau, mais aussi la forme et la qualité de celle à laquelle nous pouvons avoir accès, et nous voulons montrer réellement le grand nombre de façons différentes dont le changement climatique affecte réellement les humains et les écosystèmes à travers divers mécanismes. »

Inondations dans la capitale soudanaise de Khartoum, le 7 septembre 2021 (CNN)

Les personnes les plus touchées sont celles qui sont le moins responsables de la situation
Selon le rapport, les pays qui émettent le moins de gaz à effet de serre, principalement les pays du Sud et les territoires insulaires, sont généralement ceux qui subissent de façon disproportionnée les effets des risques climatiques.

« Nous vivons dans un monde inégalitaire », a déclaré à CNN Eric Chu, co-auteur du rapport et scientifique à Davis, Université de Californie. « Les pertes se répartissent de manière inéquitable entre les communautés, en particulier les communautés qui ont été historiquement écartées de la prise de décision, et maintenant nous voyons que certaines de ces inégalités se manifestent également dans les choix que nous faisons pour nous adapter. »

Camille Parmesan, écologiste à la station d’écologie du CNRS et co-autrice du rapport, a déclaré qu’avec l’aggravation du changement climatique, un nombre croissant d’autochtones perdront les terres, l’eau et la biodiversité dont ils dépendent.

« Il est de plus en plus évident que de nombreuses communautés autochtones qui, en fait, dépendent beaucoup plus des systèmes naturels pour leur alimentation et leurs moyens de subsistance, sont non seulement les plus exposées, parce que ces systèmes naturels sont très fortement touchés, mais elles sont aussi les plus vulnérables, parce qu’elles se trouvent souvent dans des zones où la pauvreté est d’un niveau élevé ou l’accès aux soins de santé limité », a déclaré Parmesan.

À mesure que la crise climatique progresse, de plus en plus de gens seront contraints de se déplacer, ce qui accroîtra le stress et la vulnérabilité d’autres régions.

Vue aérienne d’Ejit dans les îles Marshall, qui sont de plus en plus inondées par la montée du niveau de la mer (CNN)

« Lorsque la Terre devient non cultivable, la dépendance des communautés à l’égard de l’agriculture ou de la production alimentaire entraîne non seulement une perte de revenus, mais aussi une perte de sécurité alimentaire », a déclaré Vivek Shandas, professeur d’adaptation climatique et de politique urbaine à l’Université d’État de Portland, qui n’a pas participé au rapport. « Cette capacité à survivre au quotidien est perdue. En tant qu’humains, tout au long de l’histoire, nous nous sommes déplacés de lieux moins habitables vers des lieux plus accessibles et habitables. »

Nous pouvons encore éviter le pire
Alors que de nombreuses régions du monde en développement sont incapables de s’adapter en raison d’un manque de financement et de capacités, le GIEC désigne l’Amérique du Nord comme une région où la désinformation et la politisation constituent un obstacle.

Cela a conduit à une méconnaissance de l’ampleur du risque et a polarisé la réponse à la crise, ce qui a finalement « retardé la planification et la mise en œuvre pourtant urgentes de l’adaptation », selon les auteurs du rapport.

En Europe, ils notent que le manque de leadership politique et un piètre sens de l’urgence font partie des obstacles à surmonter.

Des employés de la centrale éolienne de Canakkale du groupe Akfen Renewable Energy, en Turquie, procèdent à une vérification de routine de l’équipement au sommet d’une éolienne en décembre 2021 (CNN)

Mais il s’agit d’obstacles qui peuvent être surmontés, et les auteurs affirment qu’il existe encore une fenêtre d’opportunité pour mettre en œuvre des actions significatives – bien qu’elle se referme rapidement.

« Il existe des possibilités d’adaptation entre aujourd’hui et 1,5 [degrés] », en plus des réductions importantes des émissions de combustibles fossiles qui piègent la chaleur, a déclaré Chu. « Mais plus nous allons au-delà des 1,5 degré, plus l’espace d’opportunité devient nettement contraignant et réduit l’efficacité. »

Selon Lissner, le rapport lance « un appel urgent à l’action » pour que les dirigeants mondiaux s’orientent vers un développement résilient au changement climatique : réduire les émissions au plus bas niveau possible tout en investissant dans l’adaptation pour faire face aux changements que nous observons déjà.

Les décideurs doivent également s’efforcer d’aider les communautés et les pays les plus défavorisés, afin que personne ne soit laissé pour compte dans le processus.

« Il est important que cela soit également fait de manière inclusive ou équitable, a déclaré Lissner, en examinant comment les régions les plus vulnérables peuvent réellement être soutenues pour leur adaptation. »

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