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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2022-040

Je travaille pour Spoutnik News

Par John Kiriakou, traduit par Jocelyne le Boulicaut

lundi 4 avril 2022, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Je travaille pour Spoutnik News

Le 9 mars 2022 Par John Kiriakou, Exclusivité Consortium News

John Kiriakou est un ancien agent de la CIA chargé de la lutte contre le terrorisme et un ancien enquêteur principal de la commission sénatoriale des Affaires étrangères. John est devenu le sixième lanceur d’alertes inculpé par l’administration Obama en vertu de l’Espionage Act – une loi conçue pour punir les espions. Il a purgé 23 mois de prison suite à ses tentatives de s’opposer au programme de torture de l’administration Bush.

John Kiriakou (Greek media group)

Torture, dénonciations, extraditions, prisons secrètes, isolement cellulaire et corruption du système judiciaire. Ce sont là les sujets qui intéressent Kiriakou et il les aborde volontiers en toute occasion.

Je travaille pour Spoutnik News. Voilà, c’est fait. Je l’ai dit. Je ne ressens ni gêne ni honte. Je ne suis pas non plus un propagandiste russe, en dépit de ce que vous avez pu lire dans les médias « grand public ».Spoutnik m’a approché en 2017 et m’a proposé un poste d’animateur de talk-show à la radio. J’ai refusé. Des amis m’ont dit que ce serait une erreur de travailler pour l’Ours russe. Ils ont dit que j’attirerais l’attention du gouvernement, peut-être même du FBI. Est-ce vraiment là ce que je voulais faire ?

Environ huit mois ont passé, et Spoutnik m’a de nouveau proposé un travail. Je venais juste d’être libéré de prison après avoir dénoncé le programme de torture de la CIA, mais personne ne frappait à ma porte pour me proposer un emploi, et je venais de me séparer de mon épouse. Je me suis donc présenté pour un entretien. Le rédacteur en chef de la chaîne m’a dit qu’il voulait m’offrir mon propre talk-show.

J’ai dit que j’étais intéressé, mais que je devais avoir une liberté éditoriale totale. « Marché conclus », m’a-t-il répondu. J’ai dit que je voulais pouvoir parler de tout ce que je voulais, pouvoir critiquer qui je voulais, y compris le président russe Vladimir Poutine. « Marché conclus », a encore dit le rédacteur en chef. J’ai demandé s’il était prêt préciser cela par écrit dans mon contrat. C’est ce qu’il a fait, et j’ai commencé à travailler pour Sputnik en août 2017.

Pendant les deux premières années et demie, j’ai co-animé une émission avec Brian Becker, un militant progressiste bien connu et le cofondateur de la coalition ANSWER. J’ai un profond respect pour Brian, qui se trouve politiquement plus à gauche que moi, et l’émission Loud & Clear, a été un franc succès.

Plus tard, j’ai co-animé une émission avec Lee Stranahan, un populiste/libertarien conservateur et ancien journaliste de Breitbart. Nous n’étions d’accord sur presque rien pendant l’année où nous avons travaillé ensemble. Et comme c’était le cas pour moi, personne n’a jamais dit à Lee ce qu’il devait dire ou ne pas dire ou quelle position politique il devait assumer. Nous étions libres de dire ce que nous pensions. Depuis le début de l’année, je coanime une émission progressiste grand public avec Michelle Witte, une professionnelle de l’information accomplie et très intelligente. J’aime beaucoup aller au travail tous les jours. Honnêtement, je ne vois même pas cela comme du travail, car c’est tellement amusant.

Le guide des initiés de la CIA sur la crise Iranienne (Co-écrit par John Kiriakou)

Mais à entendre le Washington Post (ou The New Republic, ou le Center for Strategic and International Studies), je suis un dangereux propagandiste de Vladimir Poutine. La vérité est que quiconque dit cela est soit un propagandiste lui-même, soit n’a tout simplement jamais écouté mon émission.

J’ai réalisé pour la première fois qu’il y avait des gens qui n’aimaient pas ou n’appréciaient pas les points de vue alternatifs en 2018, lorsque j’ai reçu un courriel d’une journaliste de The New Republic. (Elle était en fait une photographe de mariage qui travaillait comme journaliste indépendante). Elle m’a dit qu’elle voulait faire un article sur ma nouvelle carrière à Spoutnik. J’ai refusé, lui disant qu’être « le scoop de l’histoire » ne m’intéressait pas. Elle m’a répondu : « Écoutez, cet article va de toutes façons être écrit que ce soit avec ou sans vous. » Je lui ai accordé une interview pour tenter d’atténuer le choc, mais le résultat a été « L’espion qui est devenu un propagandiste russe. »

« Affaiblissement de notre démocratie »

La même chose s’est produite de nouveau peu après la publication de l’article de The New Republic. Au début de 2020, CBS News s’est apparemment rendu compte que Spoutnik était diffusé sur une petite station de Kansas City. Ils ont écouté mon émission Loud & Clear et, réagissant spécifiquement à une chronique que je faisais tous les jeudis intitulé « Injustice criminelle », ont déclaré que j’étais en train « d’affaiblir notre démocratie ».

Comment pouvais-je accomplir cet incroyable exploit ? Dans cette émission particulière, je parlais de la déclaration des Nations unies affirmant que la pratique de l’isolement cellulaire dans les prisons américaines était une forme de torture. Et je défendais la cause de Julian Assange.

11 janvier 2012 : Manifestant devant la Maison Blanche lors d’une mobilisation pour dénoncer le centre de détention de Guantanamo Bay ouvert il y a 10 ans (Justin Norman, Flickr, CC BY-NC-SA 2.0)

Plus tard en 2020, un rapport du Centre néolibéral d’études stratégiques et internationales s’est montré plus direct. Il affirmait : « Le volet hebdomadaire de Spoutnik, Criminal Injustice, diffusé dans le cadre du podcast Loud & Clear, se veut un moyen d’attirer l’attention sur le déni de justice dont sont victimes les citoyens, et mêle pour cela des griefs légitimes à des informations déformées. L’objectif de la Russie, avec ces programmes, n’est pas de rendre le système juridique américain plus juste, mais de raconter une histoire totalement partiale pour amener les Américains à penser que le système est aussi corrompu et défaillant que le système judiciaire russe. Poutine espère ainsi que les Américains renonceront à leurs institutions démocratiques, tout comme une si grande partie de sa propre population en est arrivée à accepter la corruption en Russie. »

Waouh ! Il ne m’étais jamais venu à l’idée que j’avais autant d’influence, que j’étais aussi cynique lorsque j’ai créé Injustice criminelle, ou que j’avais élaboré une stratégie avec Vladimir Poutine pour affaiblir les institutions démocratiques. Si seulement je pouvais monétiser tout ça ! La vérité est que, après avoir passé 23 mois en prison, j’ai une vision de première main concernant la dureté et la corruption de nos « institutions démocratiques. »

Site Spoutnik International (Capture d’écran)

J’ai donc décidé que chaque jeudi, je réaliserais les interviews de deux de mes amis : Paul Wright, directeur exécutif du Human Rights Defense Center et rédacteur en chef des magazines Prison Legal News et Criminal Legal News ; et Kevin Gosztola, un journaliste exceptionnel de Shadowproof.com qui s’intéresse aux questions de justice pénale. Ils n’ont absolument rien à voir avec la « propagande » russe. Ils se soucient simplement des droits humains – bien plus que ne le fait le Center for Strategic and International Studies.

Les choses sont devenues plutôt rudes pour Spoutnik au cours des deux dernières semaines. Notre antenne sœur, la chaîne d’information télévisée RT America, a été définitivement retirée des ondes il y a une semaine. Des membres du Congrès, de l’Association nationale des radiodiffuseurs et des groupes de réflexion néolibéraux de Washington appellent le gouvernement à en faire de même avec Spoutnik.

Ils pourraient bien réussir. Mais leur allégation, qui voudrait que Spoutnik fait valoir « le point de vue russe » n’a aucune valeur. Et même si c’est le cas ? La BBC diffuse le point de vue britannique. DW transmet le point de vue allemand. Al Jazeera transmet le point de vue qatari. Devons-nous les interdire toutes parce que Washington s’oppose à un sujet ? Et ensuite, devrons-nous rester les bras croisés pendant que les Russes interdiront CNN, Fox, Voice of America et Radio Free Europe/Radio Liberty, qui sont toutes disponibles en Russie ? On est là sur une pente glissante.

En tout cas, je serai heureux d’aller sur CNN, Fox et MSNBC pour parler de mes domaines d’intérêt, mais ils ne m’ont jamais invité. Spoutnik m’a donné cette plateforme. Si cela ne plaît pas aux pontes de Washington, tant pis pour eux.

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