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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2024-013
Avec John Pilger, une voix essentielle s’est tue 2ème partie
Par John Pilger, traduction par Jocelyne Le Boulicaut
samedi 3 février 2024, par
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Avec John Pilger, une voix essentielle s’est tue 2ème partie
Le 1er janvier 2024 par John Pilger
Alliée au mouvement des droits civiques, elle représentait le défi le plus sérieux lancé au pouvoir de Washington depuis un siècle. Sur la couverture du livre de Reich, on peut lire ces mots : « Une révolution se prépare. Elle ne sera pas comme les révolutions du passé. Elle trouvera son origine dans l’individu ».
À l’époque, j’étais correspondant aux États-Unis et je me souviens que Reich, un jeune universitaire de Yale, avait été élevé du jour au lendemain au rang de gourou.
Le New Yorker avait fait paraître son livre sous forme de feuilleton, le message en était que « l’action politique et l’expression de la vérité » des années 60 avaient échoué et que seules « la culture et l’introspection » seraient à même de changer le monde.
On avait l’impression que le mouvement hippie s’emparait des consommateurs. Et dans un sens, c’était le cas. En l’espace de quelques années, le culte du « moi » a pratiquement supplanté le sens de l’action collective, de la justice sociale et de l’internationalisme de nombre de gens.
Les classes, les sexes et les races ont été séparés. Ce qui est personnel est devenu politique et les médias sont devenus le message.
Faites de l’argent, disait-on. Quant au « mouvement », à ses espoirs et à ses chansons, les années de Ronald Reagan et de Bill Clinton ont mis fin à tout cela.
La police était désormais en guerre ouverte contre les Noirs ; les fameuses lois sur l’aide sociale de Clinton ont battu des records mondiaux en ce qui concerne le nombre de gens qu’elles ont envoyés en prison, Noirs, pour la plupart.
En l’espace de quelques années, le culte du « moi » a pratiquement supplanté le sens de l’action collective, de la justice sociale et de l’internationalisme de nombre de gens.
Les classes, les sexes et les races ont été séparés. Le personnel est devenu politique, et les médias sont devenus le message.
Lorsque le 11 septembre est arrivé, la fabrication de nouvelles « menaces » à la « frontière de l’Amérique » (comme le Project for a New American Century appelait le monde) a achevé de désorienter politiquement ceux qui, 20 ans plus tôt, auraient constitué une opposition véhémente. Au cours des années qui ont suivi, l’Amérique est entrée en guerre contre le monde entier.
Fier de recevoir le prix de la paix de Sydney en 2009 dans sa ville natale, où il aimait tant revenir régulièrement. (Photo : Sydney Peace Foundation)
Selon un rapport largement ignoré de Physicians for Social Responsibility, Physicians for Global Survival et International Physicians for the Prevention of Nuclear War, lauréat du prix Nobel, le nombre de personnes tuées dans la « guerre contre le terrorisme » menée par les États-Unis s’élève à « au moins » 1,3 million en Afghanistan, en Irak et au Pakistan .
Ce chiffre ne compte pas les morts des guerres menées et alimentées par les États-Unis au Yémen, en Libye, en Syrie, en Somalie et ailleurs.
Le véritable chiffre, indique le rapport, « pourrait bien dépasser les 2 millions [ou] être environ 10 fois supérieur à celui dont le public, les experts et les décideurs ont connaissance et [est] véhiculé par les médias et les principales ONG ».
Blair et George W. Bush - ainsi que Dick Cheney, Colin Powell, Donald Rumsfeld, Jack Straw, John Howard et consorts - n’ont jamais été sous le coup de poursuites en justice. Le maître de la propagande de Blair, Alistair Campbell, est honoré comme « personnalité médiatique ».
Au moins un million de personnes ont été tuées en Irak, soit 5 % de la population. L’énormité de cette violence et de cette souffrance ne semble pas avoir de place dans la prise de conscience occidentale. Le refrain des médias est : « Personne ne sait combien ».
En 2003, j’ai filmé une interview à Washington avec Charles Lewis, le célèbre journaliste d’investigation. Nous discutions de l’invasion de l’Irak quelques mois plus tôt.
Je lui ai demandé : « Et si les médias les plus libres du monde sur le plan constitutionnel avaient sérieusement contesté George W. Bush et Donald Rumsfeld et enquêté sur leurs affirmations, au lieu de diffuser ce qui s’est avéré être de la propagande grossière ? »
Il a répondu : « Si nous, les journalistes, avions fait notre travail, il est fort probable que nous ne serions pas entrés en guerre en Irak ». J’ai posé la même question à Dan Rather, le célèbre présentateur de CBS, qui m’a fait la même réponse.
David Rose, de l’Observer, qui avait soutenu l’idée de la « menace » représentée par Saddam Hussein, et Rageh Omaar, alors correspondant de la BBC en Irak, m’ont donné la même réponse.
L’admirable contrition de Rose, qui a été « dupé », a été la voix de nombreux journalistes qui n’ont pas eu le courage de le dire. Leur point de vue mérite d’être répété.
Si les journalistes avaient fait leur travail, s’ils avaient mis en doute et enquêté sur la propagande au lieu de l’amplifier, un million d’hommes, de femmes et d’enfants irakiens seraient peut-être encore en vie aujourd’hui ; des millions de gens n’auraient peut-être pas fui leurs maisons ; la guerre sectaire entre sunnites et chiites n’aurait peut-être pas éclaté, et l’État islamique n’aurait peut-être pas existé.
Cette vérité s’applique aux guerres violentes déclenchées depuis 1945 par les États-Unis et leurs « alliés », et la conclusion est à couper le souffle. Cette question est-elle jamais abordée dans les écoles de journalisme ?
Aujourd’hui, la guerre par médias interposés est une tâche essentielle de ce que l’on appelle le journalisme grand public, qui rappelle celle décrite par un procureur de Nuremberg en 1945.
Avant chaque grande agression, à quelques exceptions près fondées sur l’opportunité, une campagne de presse a été lancée, destinée à affaiblir leurs victimes et à préparer psychologiquement le peuple allemand...
Dans le système de propagande... c’est la presse quotidienne et la radio qui ont été les armes les plus importantes. L’un des courants persistants de la vie politique américaine est un extrémisme sectaire qui se rapproche du fascisme.
Bien que Trump en ait été crédité, c’est pendant les deux mandats d’Obama que la politique étrangère américaine a flirté sérieusement avec le fascisme. Cela n’a pratiquement jamais fait l’objet de reportages.
« Je crois en l’exceptionnalisme américain de toutes les fibres de mon être », a déclaré Obama, qui a développé l’un des passe-temps présidentiels favoris, bombardements, et escadrons de la mort connus sous le nom d’ « opérations spéciales », comme aucun autre président ne l’avait fait depuis la première guerre froide.
Selon une étude du Council on Foreign Relations, en 2016, Obama a largué 26 171 bombes. Cela représente 72 bombes par jour.
Il a bombardé les populations les plus pauvres et les personnes de couleur : en Afghanistan, en Libye, au Yémen, en Somalie, en Syrie, en Irak, au Pakistan.
Chaque mardi, rapporte le New York Times, il choisissait personnellement les personnes qui seraient assassinées par des missiles Hellfire tirés par des drones.
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Les mariages, les enterrements, les bergers étaient attaqués, ainsi que ceux qui tentaient de ramasser les morceaux de corps qui venaient décorer la « cible terroriste ».
L’un des principaux sénateurs républicains, Lindsey Graham, a estimé, avec satisfaction, que les drones d’Obama avaient tué 4 700 personnes.
« Parfois, on frappe des innocents et je déteste cela, a-t-il déclaré, mais nous avons éliminé des membres très importants d’Al-Qaïda ».
En 2011, Obama a déclaré aux médias que le président libyen Mouammar Kadhafi préparait un « génocide » contre son propre peuple.
Nous savions [...] que si nous attendions un jour de plus, Benghazi, une ville de la taille de Charlotte [Caroline du Nord], pourrait être le théâtre d’un massacre qui aurait eu des répercussions dans toute la région et aurait entaché la conscience du monde entier.
C’était un mensonge. La seule « menace » était la défaite annoncée des islamistes fanatiques par les forces gouvernementales libyennes.
Avec ses projets de renaissance d’un panafricanisme indépendant, d’une banque africaine et d’une monnaie africaine, le tout financé par le pétrole libyen, Kadhafi a été présenté comme un ennemi du colonialisme occidental sur un continent où la Libye était le deuxième État le plus moderne.
L’objectif était de détruire la « menace » représentée par Kadhafi et son État moderne. Soutenue par les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France, l’OTAN a effectué 9 700 sorties contre la Libye.
Un tiers d’entre elles visaient des infrastructures et des cibles civiles, a rapporté l’ONU. Des ogives à tête d’uranium ont été utilisées ; les villes de Misurata et de Syrte ont été soumises à un déluge de bombes.
La Croix-Rouge a identifié des charniers et l’Unicef a indiqué que « la plupart [des enfants tués] avaient moins de dix ans ».
Lorsque Hillary Clinton, secrétaire d’État d’Obama, a appris que Kadhafi avait été capturé par les insurgés et sodomisé à l’aide d’un couteau, elle s’est esclaffée et a déclaré à la caméra : « Nous sommes venus, nous avons vu, il est mort ».
Le 14 septembre 2016, la commission des affaires étrangères de la Chambre des communes à Londres a présenté les conclusions d’une étudemenée pendant un an sur l’attaque de l’OTAN contre la Libye, qu’elle a décrite comme un « ensemble de mensonges », y compris l’histoire du massacre de Benghazi.
Les bombardements de l’OTAN ont plongé la Libye dans une catastrophe humanitaire, tuant des milliers de personnes et en déplaçant des centaines de milliers d’autres, transformant la Libye, pays africain au niveau de vie le plus élevé, en un État en déliquescence déchiré par la guerre.
Sous Obama, les États-Unis ont étendu les opérations secrètes des « forces spéciales » à 138 pays, soit 70% de la population mondiale. Le premier président afro-américain a lancé ce qui s’apparente à une véritable invasion de l’Afrique.
Rappelant la « ruée vers l’Afrique » du XIXe siècle, le commandement américain pour l’Afrique (Africom) a depuis lors mis en place un réseau de supplétifs parmi les régimes africains collaborateurs, avides de pots-de-vin et d’armements américains.
La doctrine « de soldat pour soldat » de l’Africom intègre des officiers américains à tous les niveaux de commandement, du général à l’adjudant. Seuls les casques de protection manquent à l’appel.
C’est comme si la fière histoire de la libération de l’Afrique, depuis Patrice Lumumba jusqu’à Nelson Mandela, avait été reléguée aux oubliettes par l’élite coloniale noire d’un nouveau maître blanc.
La « mission historique » de cette élite, a averti Frantz Fanon, est la promotion d’un « capitalisme rampant même si camouflé ». L’année où l’OTAN a envahi la Libye, en 2011, Obama a annoncé ce qui est devenu le « pivot vers l’Asie ».
Près des deux tiers des forces navales américaines seraient transférées en Asie-Pacifique pour « faire face à la menace chinoise », selon les termes de son ministre de la défense.
Il n’y avait aucune menace de la part de la Chine, par contre il existait bien une menace des États Unis à l’encontre de celle-ci ; quelque 400 bases militaires américaines formaient un arc de cercle le long des régions industrielles de la Chine, ce qu’un fonctionnaire du Pentagone a qualifié avec satisfaction de « nœud coulant ».
Dans le même temps, Obama a placé des missiles en Europe de l’Est en direction de la Russie. C’est le bienheureux lauréat du prix Nobel de la paix qui a augmenté les dépenses en ogives nucléaires à un niveau plus élevé que celui de toute autre administration américaine depuis la guerre froide, après avoir promis, dans un discours émouvant prononcé dans le centre de Prague en 2009, de « contribuer à débarrasser le monde des armes nucléaires ».
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Barack Obama et son administration savaient pertinemment que le coup d’État que sa secrétaire d’État adjointe, Victoria Nuland, avait été chargée de superviser contre le gouvernement ukrainien en 2014 provoquerait une réaction russe et mènerait probablement à la guerre. Et c’est ce qui s’est passé.
J’écris ces lignes le 30 avril, date anniversaire du dernier jour de la plus longue guerre du vingtième siècle, au Viêt Nam, dont j’ai été le reporter. J’étais très jeune lorsque je suis arrivé à Saigon et j’ai beaucoup appris.
J’ai appris à reconnaître le bourdonnement caractéristique des moteurs des B-52 géants, qui larguaient la mort depuis les nuages et n’épargnaient rien ni personne ; j’ai appris à ne pas détourner les yeux face à un arbre carbonisé décoré de restes humains ; j’ai appris à apprécier la gentillesse comme jamais auparavant ; j’ai appris que Joseph Heller avait raison dans son magistral Catch-22 : la guerre ne convient pas aux personnes saines d’esprit ; et j’ai appris ce qu’est « notre » propagande.
Si les propagandistes actuels obtiennent leur guerre contre la Chine, ce ne sera qu’une fraction de ce qui nous attend. Levez la voix.
Tout au long de cette guerre, la propagande a affirmé que si le Viêt Nam était victorieux sa lèpre communiste se propagerait au reste de l’Asie, permettant ainsi au Grand péril jaune, situé au nord, de s’abattre. Les pays tomberaient comme des « dominos ».
Le Vietnam de Ho Chi Minh a été victorieux et rien de tout cela ne s’est produit. Au contraire, la civilisation vietnamienne s’est épanouie, remarquablement, malgré le prix à payer : trois millions de morts. Sans oublier les mutilés, les infirmes, les drogués, les empoisonnés, les disparus.
Cet article est reproduit avec l’autorisation de la famille de John Pilger. Il a été écrit avant le début de l’actuelle guerre israélienne contre les Palestiniens de Gaza.
Le site web de John Pilger - www.johnpilger.co - contient cet article et bien d’autres encore, dans une immense collection de ses principaux ouvrages publiés, y compris des liens vers ses remarquables films qui peuvent être visionnés gratuitement ici .
John Pilger
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