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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2024-090

Le Parlement européen durcit les lignes vis à vis de l’Iran

Par Eldar Mamedov, traduction par Jocelyne Le Boulicaut

samedi 31 août 2024, par JMT

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Le Parlement européen durcit les lignes vis à vis de l’Iran

Le 16 Juillet 2024 par Eldar Mamedov

Eldar Mamedov, expert en politique étrangère, vit à Bruxelles.

France, Strasbourg, 2023-12-13. Hannah Neumann, membre du groupe des Verts/Alliance libre européenne au Parlement européen lors de la réunion de la session plénière du Parlement européen (Photographie de Genevieve Engel via REUTERS)

Alors que le président de l’Iran, Massoud Pezeshkian, envoie des messages pour faire savoir qu’il est prêt à renouer avec l’Occident, le Parlement européen nouvellement élu semble s’orienter de plus en plus vers une politique belliciste de la corde raide.

[La politique de la corde raide (ou stratégie du bord de l’abîme, en anglais brinkmanship) est l’approche diplomatique qui consiste à maintenir un équilibre précaire et fragile entre les parties en conflit, sans jamais abandonner ni céder sur les principaux points de tensions, NdT].

C’est ce que l’on peut conclure de la nomination de Hannah Neumann, législatrice allemande appartenant au groupe des Verts, à la présidence de la délégation du Parlement européen pour les relations avec l’Iran au sein de l’assemblée.

À moins d’un improbable coup de théâtre majeur, elle sera officiellement confirmée à ce poste lorsque l’assemblée se réunira après la pause estivale.

Selon les règles du Parlement européen, les délégations parlementaires ont pour mission d’entretenir et d’approfondir les relations avec les parlements des pays non membres de l’UE.

Elles ne sont pas les organes les plus influents de l’UE. Néanmoins, elles peuvent constituer un canal de communication précieux avec les pays tiers, en particulier lorsque les relations officielles sont tendues, comme c’est le cas avec l’Iran.

Mais elles peuvent aussi devenir un espace de revendications à l’encontre de ces pays, contribuant ainsi à façonner des narratifs défavorables et à forger un contexte politique préjudiciable à une diplomatie fructueuse.

Neumann n’est pas une nouvelle venue en ce qui concerne le dossier iranien. Il reste à voir comment elle appréhendera son nouveau poste, mais si l’on se fie à ses activités passées, il faut s’attendre à une attitude plutôt hostile.

Membre des Verts allemands, qui est aussi le parti auquel appartient la ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, Neumann n’a pas ménagé ses critiques à l’égard du gouvernement iranien.

Elle a systématiquement milité pour que le Corps des Gardiens de la Révolution Islamique (CGRI) [organisation paramilitaire iranienne créée en 1979 qui a pour mission de défendre le système de la République islamique, NdT] soit inscrit sur la liste des organisations terroristes de l’UE .

Une mesure à laquelle s’est opposé l’ancien haut représentant de l’UE pour la politique étrangère, Josep Borrell, pour des raisons juridiques.

Sur le plan politique, l’inscription sur la liste noire d’une force de sécurité officielle de l’Iran risque de provoquer davantage de tensions dans les relations de l’UE avec Téhéran.

Lorsque Kaja Kallas, ancienne première ministre estonienne, a succédé à Borrell, Neumann l’a vivement encouragée à prendre cette mesure, même si celle-ci devra être approuvée à l’unanimité de tous les États membres pour être effective.

Lors d’une intervention particulièrement virulente, dans la foulée de la campagne du mouvement « Femme. Vie. Liberté » êlen Iran [mouvement de protestation qui a émergé en Iran après la mort de Mahsa Amini en 2022, NdT], Neumann a dénoncé l’an dernier l’engagement diplomatique de Borrell auprès de Téhéran en l’appelant à « cesser de soutenir un régime politique brutal alors même que le peuple iranien est prêt à mourir pour le faire tomber ».

Lors d’un débat en avril, à la suite d’échanges de frappes entre Israël et l’Iran, elle a évoqué la nécessité de construire une architecture de sécurité régionale pour mettre fin au cycle de l’escalade, tout en semblant blâmer principalement l’Iran et ses alliés pour celui-ci.

Bien qu’elle ait condamné, à juste titre, la frappe iranienne sur Israël, elle n’a pas mentionné la frappe meurtrière d’ Israël sur le complexe diplomatique de Téhéran situé à Damas, lequel avait provoqué la riposte de l’Iran en premier lieu.

Alors que Hannah Neumann a fustigé le manque de représentation démocratique de la République islamique, son zèle pro-démocratique a été nettement moins manifeste lors de son mandat à la présidence de la délégation du Parlement européen pour les relations avec la péninsule arabique (2019-2024), qui régit les liens avec tous les pays du golfe Persique.

En 2021, le Parlement européen a adopté une résolution condamnant les violations des droits humains aux Émirats arabes unis (EAU), dont une clause invitait l’UE à boycotter l’Expo 2020 [Exposition universelle, NdT] à Dubaï pour exprimer la désapprobation à l’égard de la politique répressive d’Abou Dhabi.

Néanmoins, Neumann s’est rendue à l’Expo, ce qui constituait une violation flagrante de la position du Parlement, soutenue à une écrasante majorité par son propre groupe politique.

Neumann a fait l’éloge du défunt président des Emirats Arabes Unis, Cheikh Khalifa bin Zayed al-Nahyan, pour avoir fait entrer les EAU dans « une ère de croissance et de modernisation sans précédent » sans mentionner d’aucune façon le bilan du pays en matière de droits humains.

Dans le même temps,elle s’en prenait à Josep Borrell , au président du Conseil de l’UE Charles Michel et au commissaire à l’aide humanitaire Janez Lenarcic pour avoir respecté le protocole diplomatique habituel voulant qu’ils présentent leurs condoléances pour la mort du président iranien Ebrahim Raisi tué dans un accident d’hélicoptère, il y a deux mois.

Neumann a comparé la collaboration avec les pays arabes du Golfe à un exercice d’équilibriste diplomatique, soulignant la nécessité de trouver un équilibre entre les préoccupations relatives aux droits humains et les autres intérêts, tels que le changement climatique, les droits des femmes, la coopération économique, etc.

C’est une démarche sensée. Toutefois, il ne semble pas qu’elle soit prête à adopter le même état d’esprit dans les relations avec l’Iran. De fait, elle a accueilli sa nomination en tant que présidente de la délégation pour l’Iran en mettant l’accent sur la « lutte pour un Iran démocratique et libre ».

Une telle rhétorique risque à tout le moins de transformer la délégation en une véritable caisse de résonance où l’on ressasse en permanence les même arguments sur la nocivité du régime iranien et sur la nécessité de le renverser.

Cela peut fonctionner sur les médias sociaux et offrir un sentiment de satisfaction morale, mais il est peu probable que cela permette une compréhension plus nuancée des réalités iraniennes.

Concrètement, la délégation ne serait probablement pas la bienvenue à Téhéran pour y rencontrer ses homologues du Majlis iranien, ce qui est l’une de ses missions principales.

Dans le passé, de telles visites ont eu lieu de manière assez régulière, ce qui n’a jamais empêché les eurodéputés y participants d’exprimer des opinions tranchées sur les droits humains et sur d’autres aspects de la politique iranienne. Hannah Neumann a toutefois semblé dénier toute légitimité au parlement iranien actuel, élu au printemps dernier.

En tant qu’organisateur et participant de nombreuses initiatives de ce type dans le passé, je peux affirmer sans hésiter que ces visites mutuelles contribuent à instaurer la confiance, à mieux comprendre les points de vue de l’autre partie - sans nécessairement être en accord avec ceux-ci - et, en fin de compte, à élargir l’espace diplomatique.

Contrairement aux critiques de Neumann et de nombreux autres eurodéputés quant à une ouverture diplomatique vers l’Iran, la vérité est qu’au cours des 45 dernières années, il n’y a jamais eu trop de diplomatie, mais plutôt pas assez.

Fermer l’un des canaux existants, à un moment où Téhéran fait preuve de plus de souplesse à l’égard de l’Occident, en particulier de l’Europe, ne serait pas judicieux et contribuerait à affaiblir le poids diplomatique de l’UE.

Eldar Mamedov

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