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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2024-096

Israël, un tremblement de terre juridique

Par Michael Sfard, traduction par Jocelyne Le Boulicaut

mardi 17 septembre 2024, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Israël, un tremblement de terre juridique

Le 23 juillet 2024 par Michael Sfard

Michael Sfard, avocat israélien spécialisé dans les droits humains et auteur de The Wall and the Gate : Israel, Palestine, and the Legal Battle for Human Rights, est boursier de DAWN (Democracy for the Arab World Now).

Le Juge Nawaf Salam, Président de la Cour Internationale de Justice, rend son arrêt concernant l’illégalité de l’occupation israélienne du territoire palestien. La Haye 19 juillet 2024. (Photo de Nick Gammon/AFP via Getty Images, Source Getty images)

L’arrêt de la CIJ contre l’occupation israélienne est un tremblement de terre à retardement. L’avis consultatif de 83 pages publié vendredi dernier par la Cour internationale de justice de La Haye concernant l’occupation du territoire palestinien par Israël est, comme le dit le cliché, un tremblement de terre juridique.

La Cour a explicitement déclaré que la présence israélienne dans les territoires palestiniens occupés et la domination qu’elle y exerce sont illégales - et cela inclut Jérusalem-Est, au cas où les Israéliens et d’autres gens auraient oublié que le bassin sacré est sous occupation [Le bassin sacré, ou bassin historique, est un terme israélien moderne désignant une zone géographique à Jérusalem qui comprend la vieille ville et ses territoires adjacents, NdT].

Israël a obligation légale de mettre fin à cette occupation prolongée, a statué la Cour. Ce faisant, la CIJ a mis fin au grand mensonge israélien, qui cherche à profiter des prérogatives d’un occupant militaire sans être soumis aux limitations et obligations imposées à un occupant par le droit international.

La CIJ a également établi qu’Israël procède à des transferts forcés de communautés et d’individus palestiniens dans les territoires occupés - un crime de guerre qui, lorsqu’il est commis de manière systématique ou généralisée, constitue un crime contre l’humanité, autrement dit, une catégorie de crimes encore plus grave.

La Cour a constaté qu’Israël n’empêche ni ne punit la violence des colons, qu’il exproprie des terres publiques et les colonise en les attribuant à des colons, qu’il a annexé Jérusalem-Est et qu’il annexe de grandes parties de la Cisjordanie - principalement la zone C selon les accords d’Oslo, laquelle constitue environ 60 % du territoire de la Cisjordanie - en violation directe d’une interdiction claire et fondamentale du droit international.

Plus grave encore, la Cour a établi qu’Israël pratique un système de ségrégation raciale, voire d’apartheid, dans les territoires occupés. En outre, la Cour a estimé qu’Israël devait réparer les torts causés aux victimes palestiniennes, notamment par la restitution de leurs terres et leurs biens lorsque cela est possible et en les indemnisant lorsque la restitution n’est pas possible.

Cette décision constitue bel et bien un tremblement de terre sur le plan juridique. Tout ce que les organisations de défense des droits humains et les juristes, tant en Israël-Palestine que dans le reste du monde, soutiennent depuis des années a maintenant été validé par la plus haute institution juridique internationale au monde.

Mais les tremblements de terre en droit international sont plutôt des tremblements de terre à retardement. Contrairement à un tribunal d’État dont les décisions ont un effet immédiat - quelqu’un va en prison ou une politique gouvernementale est stoppée net - un avis consultatif de la Cour internationale de justice s’infiltre dans la réalité politique et l’influence de manière rampante et par étapes.

En ce sens, peut-être que plutôt qu’un tremblement de terre, cela ressemble davantage à un nuage qui avance lentement et vient recouvrir le soleil. C’est la raison pour laquelle, au lendemain de la publication de l’avis, on peut avoir l’impression que, fondamentalement, rien n’a changé.

Que l’occupation n’a pas bougé d’un pouce, qu’elle est aussi bien ancrée et stable qu’avant la publication de cet avis consultatif à La Haye. Mais ce n’est pas vraiment le cas. L’impact de cet avis se manifestera par des répliques.

Cela se fera sentir au niveau des avocats, des conseillers juridiques et des autres personnes qui à partir de maintenant conseilleront et guideront les gouvernements, les agences internationales et les autres entités qu’ils représentent sur la base du droit international, en transposant les décisions de la CIJ concernant l’occupation israélienne en interdictions de mener certains actes et en obligations d’en mener d’autres dans la relation avec Israël.

La CIJ a ainsi clairement précisé que l’obligation des tiers - à savoir tous les pays du monde et les Nations Unies - dépasse le simple fait de ne pas reconnaître la présence illégale d’Israël dans les territoires palestiniens occupés.

Ils sont également tenus de s’abstenir de toute action susceptible d’aider Israël à poursuivre sa domination dans ce territoire - comme l’indique l’avis consultatif : « ne pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation créée par la présence illégale d’Israël dans le territoire palestinien occupé ».

Mur entre Israël et la Palestine (Source Dawnmena.org)

Les États devraient au contraire passer au crible toutes leurs relations avec Israël et s’assurer que leurs relations commerciales ou diplomatiques n’aident pas directement ou indirectement Israël dans ses efforts d’annexion et son projet de colonisation.

Dans le cas contraire, ils seraient en violation flagrante du droit international. C’est pourquoi l’avis de la CIJ constitue un séisme juridique. Dans les semaines et les mois à venir, plusieurs pays seront contraints de reconsidérer la nature de leurs relations avec Israël, qu’elles soient commerciales, militaires, économiques et/ou diplomatiques.

En apparence, leur devoir est de faire la distinction entre Israël aux frontières de la Ligne verte - les lignes d’armistice de 1949 - et les colonies dans les territoires palestiniens occupés. Mais lorsque le gouvernement israélien lui-même efface la Ligne verte, les bouleversements dans les relations pourraient également affecter Tel-Aviv.

Lorsque ce sont les mêmes institutions israéliennes qui opèrent en Cisjordanie et en Israël - qu’il s’agisse de l’armée israélienne, de l’autorité foncière israélienne ou de l’autorité des antiquités, lesquelles pourraient étendre le champ d’action de leur pouvoir pour y inclure la Cisjordanie en vertu d’un nouveau projet de loi proposé par le gouvernement actuel - il pourrait s’avérer difficile pour un autre pays de mener à bien un projet commun avec celles-ci.

Même si ce projet se limite géographiquement à la ligne verte, il pourrait être en violation de l’interdiction de la CIJ de prêter aide ou assistance au maintien de l’occupation illégale par Israël.

Et même si on peut couper les cheveux en quatre, certains pays préféreront sans doute éviter le casse-tête que représente le fait de s’assurer que les effets de leur coopération commerciale ou culturelle avec Israël restent bel et bien cantonnés à Israël.

Grâce à son pouvoir tout particulier, la loi peut parfois agir comme un atout face aux blocages créés par les intérêts politiques. Par sa clarté et sa portée, le droit est dans certains cas à même de provoquer une action, ou d’empêcher une action, qui autrement ne serait déterminée que par une volonté politique ténue, ou l’absence de volonté.

Dans le cas présent, le droit international relatif à l’occupation israélienne, tel qu’énoncé par la CIJ, devient un nouvel instrument puissant qui s’ajoute à la politique, à l’économie et à la puissance militaire, entre autres, dans la matrice des forces qui détermineront le sort de ce conflit.

Les dirigeants politiques du monde entier, y compris à Washington, qui trouvent difficile de critiquer la politique israélienne et qui, par leur action ou leur inaction, ont contribué à faire perdurer l’occupation israélienne, ont désormais une excellente raison de changer de cap. Ils peuvent tout simplement dire : « Je n’ai pas le choix, c’est une question de droit. C’est ce que la loi impose »

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