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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2024-098
La réalité de la crise économique en Chine Partie 1
Par Zongyuan Zoe Liu, traduction par Jocelyne Le Boulicaut
mardi 24 septembre 2024, par
La réalité de la crise économique en Chine Partie 1
Pékin ne veut pas renoncer à un système pourtant défaillant
Le 6 août 2024 par Zongyuan Zoe Liu
ZONGYUAN ZOE LIU est titulaire de la bourse Maurice R. Greenberg pour les études sur la Chine au Council on Foreign Relations et auteur de Sovereign Funds : How the Communist Party of China Finances Its Global Ambitions (Fonds souverains : comment le parti communiste chinois finance ses ambitions mondiales).
Voitures électriques à Chongqing, Chine, juin 2024 (NurPhoto / Getty Images)
L’économie chinoise est bloquée. Après la décision de Pékin, fin 2022, de mettre brutalement fin à sa politique draconienne de « zéro COVID », de nombreux observateurs pensaient que le moteur de la croissance chinoise allait rapidement redémarrer.
Après les années de confinement pour cause de pandémie, qui ont pratiquement paralysé certains secteurs économiques, la réouverture du pays était censée déclencher un retour en force.
Au lieu de cela, la reprise s’est essoufflée, avec une performance médiocre du PIB, une baisse de la confiance des consommateurs, des conflits grandissants avec l’Occident et un effondrement des prix de l’immobilier qui a entraîné la défaillance de certaines des plus grandes entreprises chinoises.
En juillet 2024, les données officielles chinoises ont révélé que la croissance du PIB était inférieure à l’objectif d’environ 5 % fixé par le gouvernement. Celui-ci a enfin autorisé les Chinois de sortir de leurs maisons, mais il ne peut pas imposer à l’économie de retrouver sa vigueur d’antan.
Pour expliquer ce sombre tableau, les observateurs occidentaux ont avancé diverses explications. Parmi celles-ci : la crise immobilière persistante en Chine, le vieillissement rapide de la population et la mainmise de plus en plus ferme du dirigeant chinois Xi Jinping en matière d’économie, ainsi que sa réaction extrême à la pandémie.
Mais il existe un facteur plus permanent pour expliquer la stagnation actuelle, plus fondamental que l’autoritarisme croissant de Xi ou les effets de l’effondrement du marché immobilier : il s’agit tout simplement de la stratégie économique vieille de plusieurs décennies qui place la production industrielle au dessus de tout le reste, une approche qui, au fil du temps, s’est traduite par d’immenses surcapacités structurelles.
Pendant des années, les politiques industrielles de Pékin ont conduit à un surinvestissement dans les installations de production dans des secteurs allant des matières premières aux technologies émergentes telles que les batteries et les robots, accablant souvent les villes et les entreprises chinoises d’un énorme fardeau d’endettement.
En d’autres termes, dans de nombreux secteurs économiques cruciaux, la Chine produit bien plus qu’elle, ou que les marchés étrangers, ne peuvent durablement absorber. Résultat, l’économie chinoise risque d’être prise dans un cercle vicieux de chute des prix, d’insolvabilité, de fermetures d’usines et, à terme, de pertes d’emplois.
La contraction des bénéfices a contraint les producteurs à augmenter encore leur production et à pratiquer des rabais plus importants sur leurs produits afin de générer les liquidités nécessaires au remboursement de leurs dettes.
De plus, lorsque les usines sont contraintes de fermer et que les industries fusionnent, les entreprises qui restent ne sont pas nécessairement les plus efficaces ou les plus rentables.
Au contraire, les survivantes ont tendance à être celles qui ont le meilleur accès aux subventions publiques et aux financements à faible coût. Depuis le milieu des années 2010, le problème est également devenu un facteur de déstabilisation pour le commerce international.
En créant une surabondance d’offre sur le marché mondial de nombreux produits, les entreprises chinoises font baisser les prix sous le seuil de rentabilité pour les producteurs d’autres pays.
En décembre 2023, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a averti que l’excès de production chinoise provoquait des déséquilibres commerciaux « intenables » et a accusé Pékin de se livrer à des pratiques commerciales déloyales en écoulant des quantités toujours plus importantes de produits chinois sur le marché européen à des prix défiant toute concurrence.
En avril, la secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen, a prévenu que dans la mesure où la Chine surinvestit dans l’acier, les véhicules électriques et de nombreux autres produits menacent de provoquer des « bouleversements économiques » dans le monde entier.
« La Chine est désormais tout simplement trop grande pour que le reste du monde puisse absorber cette énorme capacité », a déclaré Yellen. En dépit des dénégations véhémentes de Pékin, la politique industrielle chinoise conduit depuis des décennies à des cycles récurrents de surcapacité.
À l’intérieur du pays, les usines des secteurs économiques désignés comme prioritaires par le gouvernement vendent régulièrement leurs produits à des prix inférieurs à leur coût de revient afin de satisfaire les objectifs politiques locaux et nationaux.
Pékin a régulièrement relevé les objectifs de production pour de nombreux produits, alors même que les niveaux actuels dépassent déjà la demande. Cette situation résulte en partie d’une longue tradition de planification économique qui a mis l’accent sur la production industrielle et le développement des infrastructures, tout en ignorant pratiquement la consommation des ménages.
Cette omission n’est pas due à l’ignorance ou à une erreur de calcul ; elle reflète plutôt la stratégie économique de longue date du parti communiste chinois. Pour le parti, la consommation est une source de distraction individualiste qui menace de détourner les ressources de la principale force économique de la Chine : sa base industrielle.
Selon l’orthodoxie du parti, le principal atout économique de la Chine tient à sa sobriété et à ses taux d’épargne élevés, qui génèrent des capitaux que le système bancaire contrôlé par l’État peut injecter dans les entreprises industrielles. Ce système renforce également la stabilité politique en intégrant la hiérarchie du parti dans chaque secteur économique.
Parce que la base industrielle hypertrophiée de la Chine dépend d’un financement bon marché pour survivre - financement que les dirigeants chinois peuvent restreindre à tout moment -, l’élite économique est étroitement liée, voire soumise, aux intérêts du parti. En Occident, l’argent influence la politique, mais en Chine, c’est l’inverse : la politique influence l’argent.
Il est clair que l’économie chinoise doit trouver un nouvel équilibre entre investissement et consommation, mais il est peu probable que Pékin opère ce changement parce que sa politique économique intensive en termes de production est tributaire du contrôle politique qu’elle obtient.
Pour l’Occident, le problème de la surcapacité de la Chine représente un défi à long terme qui ne peut être résolu simplement en érigeant de nouvelles barrières commerciales.
D’une part, même si les États-Unis et l’Europe parvenaient à limiter de manière significative la quantité de produits chinois arrivant sur les marchés occidentaux, cela ne permettrait pas pour autant de démanteler les inefficacités structurelles qui se sont accumulées en Chine au cours de décennies pendant lesquelles les investissements industriels et les objectifs de production ont été privilégiés.
Toute rectification de trajectoire risque de demander des années de politique chinoise constante pour porter ses fruits. Par ailleurs, l’accent mis par Xi sur l’autosuffisance économique de la Chine - une stratégie qui est elle-même une réponse au sentiment que l’Occident tente d’isoler le pays sur le plan économique - a accru, plutôt que diminué, les pressions qui conduisent à la surproduction.
Qui plus est, les efforts déployés par Washington pour empêcher Pékin d’inonder les États-Unis de produits bon marché dans des secteurs clés ne feront probablement que créer de nouvelles carences au sein de l’économie américaine, tout en déplaçant le problème de surproduction de la Chine vers d’autres marchés internationaux.
Pour élaborer une meilleure approche, les dirigeants et les décideurs politiques occidentaux feraient bien de comprendre les forces profondes à l’origine de la surcapacité de la Chine et de s’assurer que leurs propres politiques n’aggravent pas la situation.
Plutôt que de chercher à isoler davantage la Chine, l’Occident devrait prendre des mesures pour que Pékin reste fermement ancré au sein du système commercial mondial, en utilisant les mesures incitatives du marché mondial pour amener la Chine à adopter une croissance plus équilibrée et des politiques industrielles moins autoritaires.
En l’absence d’une telle stratégie, l’Occident pourrait être confronté à une Chine de plus en plus insensible aux relations économiques internationales et prête à redoubler d’efforts pour appliquer sa stratégie de production pilotée par l’État, même au risque de nuire à l’économie mondiale et de freiner sa propre prospérité.
Production des véhicules à énergie propre de la Chine de 2020 à 2024 (Source Association chinoise des véhicules légers ; Haver ; Bloombeerg) Les véhicules concernés sont les voitures électriques et les voitures hybrides
Défauts de fabrication
Les problèmes structurels qui sous-tendent la stagnation économique de la Chine ne sont pas le résultat de choix politiques récents. Ils découlent directement de la stratégie industrielle déséquilibrée qui a pris forme dans les premières années de l’ère de réforme de la Chine, il y a quarante ans.
Le sixième plan quinquennal de la Chine (1981-85) a été le premier à être institué après l’ouverture de l’économie chinoise par le dirigeant Deng Xiaoping.
Bien que le document compte plus de 100 pages, la quasi-totalité en est consacrée au développement du secteur industriel chinois, à l’expansion du commerce international et aux avancées technologiques ; seule une page est consacrée à l’augmentation des revenus et à la consommation.
Aujourd’hui, la priorité accordée par le parti au secteur industriel chinois reste étonnamment similaire, en dépit des vastes changements technologiques et d’un marché mondial presque méconnaissable.
Le 14e plan quinquennal (2021-25) fixe des objectifs détaillés en matière de croissance économique, d’investissement dans la recherche et le développement, de délivrance de brevets ou encore de production alimentaire et énergétique, mais à l’exception de quelques autres références éparses, la consommation des ménages est reléguée à un seul paragraphe.
En donnant la priorité à la production industrielle, les planificateurs économiques chinois partent du principe que les producteurs chinois seront toujours en mesure d’écouler l’offre excédentaire sur le marché mondial et d’engranger des liquidités grâce aux ventes à l’étranger.
Dans la pratique, cependant, ils ont engendré un considérable excès d’investissement dans des secteurs où le marché intérieur est déjà saturé et où les gouvernements étrangers se méfient de la domination de la chaîne d’approvisionnement chinoise.
Au début du XXIe siècle, cela a été le cas pour l’acier chinois, la capacité excédentaire du pays ayant fini par dépasser la totalité de la production d’acier de l’Allemagne, du Japon et des États-Unis réunis.
Plus récemment, la Chine s’est retrouvée avec des excédents similaires dans les domaines du charbon, de l’aluminium, du verre, du ciment, de l’équipement robotique, des batteries de véhicules électriques et d’autres matériaux.
Les usines chinoises sont désormais en mesure de produire chaque année deux fois plus de panneaux solaires que la planète ne peut en utiliser. La surcapacité chronique de la Chine a des répercussions considérables sur l’économie mondiale.
Dans le cas des véhicules électriques, par exemple, les constructeurs automobiles européens sont déjà confrontés à la concurrence acharnée des importations chinoises bon marché. Les usines de ce secteur et d’autres secteurs technologiques émergents en Occident risquent de fermer ou, pire, de ne jamais être construites.
En outre, les industries manufacturières à forte valeur ajoutée ont des incidences économiques qui vont bien au-delà de leurs propres activités ; elles génèrent des emplois dans le secteur des services et sont essentielles au maintien des viviers de talents locaux nécessaires pour stimuler l’innovation et les percées technologiques.
Sur le marché intérieur chinois, les problèmes de surcapacité ont provoqué une guerre des prix sans merci dans certaines industries, ce qui pèse sur les bénéfices et engloutit les capitaux.
Selon les statistiques gouvernementales, 27% des usines automobiles chinoises étaient déficitaires en mai ; à un moment donné l’année dernière, ce chiffre atteignait 32%.
La surproduction généralisée dans le domaine économique a également fait baisser les prix dans leur ensemble, entraînant une inflation quasi-nulle et un taux de service de la dette pour le secteur privé non financier - le rapport entre le total des paiements de la dette et le revenu disponible - qui a atteint un niveau record.
Ces deux évolutions ont érodé la confiance des consommateurs, entraînant de nouvelles baisses de la consommation intérieure et augmentant le risque de voir la Chine tomber dans un piège déflationniste. Lorsque les planificateurs économiques de Pékin parlent de consommation, ils tendent à le faire dans le cadre des objectifs industriels.
Dans son bref aperçu de cette question, le plan quinquennal actuel indique que la consommation devrait spécifiquement être orientée vers les biens conformes aux priorités industrielles de Pékin : automobiles, électronique, produits numériques et appareils électroménagers intelligents.
Parallèlement, bien que le secteur dynamique du commerce électronique en Chine puisse laisser croire à une pléthore de choix pour les consommateurs, en réalité, les grandes plateformes telles qu’Alibaba, Pinduoduo et Shein se livrent à une concurrence féroce pour vendre les mêmes produits de base.
En d’autres termes, l’illusion de la diversité des choix de consommation masque un marché intérieur largement déterminé par les priorités industrielles de l’État plutôt que par les préférences individuelles.
Ce constat se traduit également par des initiatives politiques visant à stimuler les dépenses de consommation. Prenons par exemple l’effort récent du gouvernement pour promouvoir le remplacement des biens.
Selon un plan d’action datant de mars 2024, le Ministère du Commerce, en collaboration avec d’autres agences gouvernementales chinoises, a offert des subventions aux consommateurs qui échangent leurs vieilles automobiles, leurs appareils électroménagers et leurs équipements contre de nouveaux modèles.
Sur le papier, ce plan ressemble vaguement au programme de « prime à la casse » que Washington a mis en place pendant la récession de 2008 pour aider l’industrie automobile américaine.
Mais il manque de détails précis et dépend des autorités locales pour sa mise en œuvre, ce qui le rend largement inefficace ; il a en particulier échoué pour ce qui est de faire grimper les prix des biens de consommation courants.
Bien que le gouvernement puisse influencer la dynamique de l’offre et de la demande sur les marchés de consommation chinois, il ne peut pas contraindre les gens à consommer ni les punir en cas contraire.
Lorsque la croissance des revenus ralentit, les gens serrent naturellement les cordons de leur bourse, retardent les achats importants et essaient de faire durer plus longtemps leurs équipements plus anciens.
Le paradoxe veut que le poids exercé par la surcapacité sur l’ensemble de l’économie explique que les efforts déployés par le gouvernement pour orienter la consommation rendent les gens encore moins enclins à dépenser.
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