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D’après Alternatives Economiques du 04 Septembre 2024

Sevrer l’agriculture de sa dépendance au pétrole et au gaz

mercredi 25 septembre 2024, par JMT

Sevrer l’agriculture de sa dépendance au pétrole et au gaz

Agrocarburants, biogaz, agrivoltaïsme… Si l’agriculture française est mobilisée à des fins de production d’énergie décarbonée, elle est elle-même loin d’une sortie des énergies fossiles.

L’agriculture a, historiquement, toujours produit l’énergie qu’elle consommait. Pour fabriquer leur pain qui était la base de leur énergie musculaire, les paysans utilisaient le bois des haies pour chauffer leurs fours (1). Leurs animaux de trait, chevaux et vaches, se nourrissaient sur une partie de leurs terres.

L’autoconsommation était très élevée, les produits peu transformés si ce n’est avec des pratiques peu consommatrices d’énergie (séchage, salaison, fermentation, pasteurisation…) et le transport de produits agricoles et alimentaires n’avait rien à voir à ce qu’il est aujourd’hui dans une économie mondialisée.

En France, l’agriculture a été énergétiquement autonome ou presque depuis le néolithique jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Mais les rendements n’étaient pas non plus ceux d’aujourd’hui et la population à nourrir moins nombreuse !

Le recours croissant aux énergies fossiles à partir des années 1950 a permis, au travers d’une mécanisation croissante, d’une consommation accrue d’engrais chimiques, de pesticides et d’un recours à l’irrigation, une très forte augmentation de la production agricole.

Ainsi le rendement du blé est passé de 25 quintaux par hectare en 1960 à 74 quintaux en 2023. Corollaire de ce progrès, pour produire 1 calorie alimentaire, une ferme a besoin aujourd’hui de 1,7 calorie d’énergie.

Or l’énergie utilisée en agriculture (hors photosynthèse et fixation symbiotique de l’azote) reste principalement d’origine fossile, malgré le déploiement des énergies renouvelables et l’électrification de certaines activités.

Certes, la production agricole n’est pas ce qu’il y a de plus énergivore dans notre consommation alimentaire. Pour une calorie dans notre assiette, il a fallu mobiliser 1,7 calorie d’énergie au niveau de la ferme mais 6,5 calories au total si on intègre les activités d’aval : transformation, transport et distribution (2).

Dit autrement, l’agriculture française consomme environ 10 millions de tonnes équivalent pétrole (Mtep) d’énergie par an quand notre système alimentaire dans son ensemble, de la fourche à la fourchette, mobilise 31 Mtep, soit 25 % de la consommation d’énergie finale.

La part de la production agricole dans les consommations énergétiques du système alimentaire est donc à relativiser. Par ailleurs, l’agriculture devient de plus en plus productrice d’énergies renouvelables : injection de biométhane, vente d’électricité photovoltaïque ou de plaquettes de bois pour alimenter les réseaux de chaleur, sans compter la production d’agrocarburants.

Ces réalités n’exonèrent cependant pas le secteur de l’obligation de décarboner sa propre consommation. L’agriculture mobilise aujourd’hui plus de 5,4 millions de Tep d’énergie directe (carburant, électricité, combustibles) pour faire rouler les engins, chauffer les serres, faire fonctionner des pompes et des moteurs, déshydrater les fourrages ou faire du froid pour conserver les produits frais.

A quoi s’ajoutent 4,6 Mtep d’énergie indirecte, notamment pour l’azote chimique et le matériel agricole. Sur ce total de 10 Mtep, l’énergie renouvelable (agrocarburants contenus dans le gasoil, biogaz valorisé sur la ferme, séchage solaire) compte pour moins de 5 %.

Changer un système bien établi, où le pétrole et le gaz sont présents à tous les maillons de la chaîne de production, de manière directe (le gazole des tracteurs) ou indirecte (la fabrication des engrais azotés), ne va pas être facile.

La levée de boucliers des agriculteurs contre la réduction de l’exonération de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques votée dans la précédente loi de finances l’a bien montré.

Cette niche fiscale, finalement rétablie à la suite des mouvements de janvier 2024, représente un soutien de 15 centimes par litre de gazole non routier (GNR), soit 0,5 milliard d’euros par an (3).

La suppression progressive de cette subvention serait pourtant une des mesures nécessaires pour basculer d’une fiscalité brune, qui incite à consommer des énergies fossiles, vers une fiscalité qui valorise les investissements verts (tracteur roulant au biogaz ou électrique).

Au-delà de ce sujet sensible, devant lequel tous les gouvernements se sont jusqu’ici dérobés, est-il possible de sortir l’agriculture de sa dépendance aux énergies fossiles avant 2050 ?

De faire en sorte qu’elle produise plus d’énergie qu’elle n’en consomme ? D’avoir un système alimentaire « zéro émission nette » ? Oui, à condition d’actionner deux leviers complémentaires.

Le premier consiste à réduire les consommations énergétiques de l’agriculture grâce à des changements dans les pratiques agricoles et alimentaires. Près de 80% des cultures végétales en France servent au fourrage

En acceptant de réduire de moitié notre consommation de viande et de produits laitiers et en consommant à la place davantage de protéines végétales – revenir grosso modo à ce qu’était le régime alimentaire des Français dans les années 1960 –, il devient alors possible de réduire la productivité de l’agriculture et de l’élevage, ce qui va mécaniquement se traduire par une baisse de la consommation d’énergie du secteur.

Au-delà de ses effets bénéfiques sur la santé humaine et sur la biodiversité, ce changement de régime alimentaire (deux tiers de protéines végétales versus un tiers et beaucoup plus de produits biologiques), associé à des pratiques agricoles plus vertueuses, permettrait de réduire la consommation de carburant en limitant le travail mécanique des champs par des pratiques de non-labour, en favorisant le pâturage au détriment de la culture du maïs ensilage, en baissant la consommation d’azote chimique en gérant mieux les apports d’azote et en en augmentant les surfaces en légumineuses.

De même, une moindre consommation de poulets et de porcs va se traduire par une moindre demande en maïs grain et donc d’énergie pour le cultiver et l’irriguer. On peut aussi mieux adapter les puissances des tracteurs aux types de travaux et mutualiser le matériel.

Le scénario de transition Afterres2050 élaboré par l’association Solagro a chiffré le potentiel de toutes ces économies d’énergie.

Elles pourraient totaliser jusqu’à 4 Mtep à l’horizon 2050. Quant au second levier, il s’agit de déployer les énergies renouvelables pour les substituer aux énergies fossiles consommées par l’agriculture.

Toujours selon le scénario Afterres, l’agriculture pourrait être à l’origine d’une production d’énergie renouvelable qui pourrait atteindre 14,2 Mtep en 2050 contre 3,6 Mtep en 2010… soit deux fois plus que l’énergie qu’elle consommerait alors.

Cette estimation porte uniquement sur la production d’énergie renouvelable directement imputable à l’agriculture, pour l’essentiel la valorisation sous forme de biogaz des résidus des cultures et des cultures intermédiaires. A noter qu’elle prétend diviser par deux la production d’agrocarburants, dont le bilan environnemental et énergétique est médiocre.

Enfin, ce potentiel n’intègre pas toutes les autres productions d’énergie verte assises sur l’espace rural et qui représentent un volume bien plus important encore : la part prélevable du bois forestier et les sous-produits du bois (17 Mtep à l’horizon 2050 selon le scénario Négawatt), la production d’électricité photovoltaïque installée sur les toitures de bâtiments agricoles (1 Mtep), l’agrivoltaïsme (4) (6 Mtep), sans oublier les éoliennes terrestres (13 Mtep) (5).

L’agriculture, aujourd’hui très dépendante des énergies fossiles, pourrait ainsi produire plus d’énergie qu’elle n’en consomme et (re)devenir un secteur à énergie positive. Mais à condition d’une révolution qui massifie l’agroécologie et qui passe aussi par les assiettes.

Références
(1) En 1929 la production de fagots représentait 12% de la valeur du blé.
(2) L’empreinte énergie de l’assiette d’un Français, du champ à l’assiette, est estimée à 0,5 Tep dont 0,13 Tep pour la production agricole. Les besoins alimentaires « finaux » (réellement consommés) d’un Français sont estimés à 0,08 Tep soit 2115 Kcal/j. Voir https://solagro.org/images/imagesCK/files/publications/f85_le-revers-de-notre-assiette-web.pdf
(3) Sur la base d’une consommation de 3,4 milliards de litres de carburant.
(4) Combinaison sur une même parcelle agricole de culture ou d’élevage et de production photovoltaïque.
(5) D’après le scénario négawatt 2022 les éoliennes en mer produiraient en 2050 3 Mtep et l’ensemble du photovoltaïque 14 Mtep.

Bruno Bourgeon, président d’AID http://www.aid97400.re

D’après Alternatives Economiques du 04 Septembre 2024

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