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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2024-100

La réalité de la crise économique en Chine Partie 3

Par Zongyuan Zoe Liu, traduction par Jocelyne Le Boulicaut

samedi 28 septembre 2024, par JMT

La réalité de la crise économique en Chine

Partie 3 : Que peut faire l’Occident ?

Le 6 août 2024 par Zongyuan Zoe Liu

ZONGYUAN ZOE LIU est titulaire de la bourse Maurice R. Greenberg pour les études sur la Chine au Council on Foreign Relations et auteur de Sovereign Funds : How the Communist Party of China Finances Its Global Ambitions (Fonds souverains : comment le parti communiste chinois finance ses ambitions mondiales).

Toi aigle puissant, moi dragon redoutable (Dessin Stephff )

L’agonie de la démesure

Industrie après industrie, la surcapacité chronique de la Chine crée un dilemme compliqué pour les États-Unis et l’Occident. Ces derniers mois, les responsables occidentaux ont intensifié leurs critiques à l’encontre des politiques économiques de Pékin.

Dans un discours prononcé en mai, Lael Brainard, directrice du Conseil des conseillers économiques de l’administration Biden, a averti que la « surcapacité industrielle induite par la politique » de la Chine - un euphémisme pour désigner des pratiques contraires aux lois du marché - nuisait à l’économie mondiale.

En appliquant des politiques qui « réduisent de manière déloyale le coût du capital, de la main-d’œuvre et de l’énergie » et permettent aux entreprises chinoises de vendre « à prix coûtant ou en dessous du prix coûtant », a-t-elle déclaré, la Chine détient aujourd’hui un énorme pourcentage de la capacité mondiale en matière de véhicules électriques, de batteries, de semi-conducteurs et autres secteurs.

De ce fait, Pékin freine l’innovation et la concurrence sur le marché mondial, menace les emplois aux États-Unis et ailleurs, et limite la capacité des États-Unis et d’autres pays occidentaux à renforcer la résilience de leur chaîne d’approvisionnement.

Lors de leur réunion à Capri, en Italie, en avril dernier, les membres du G7 ont averti, dans une déclaration commune, que « les politiques et pratiques non commerciales de la Chine » ont conduit à une « surcapacité préjudiciable ». L’afflux massif de produits chinois bon marché a déjà suscité des tensions commerciales.

Depuis 2023, plusieurs gouvernements, dont ceux du Viêt Nam et du Brésil, ont lancé à l’encontre de la Chine des enquêtes sur ses pratiques de dumping ou de subventions, et le Brésil, le Mexique, la Turquie, les États-Unis et l’Union européenne ont imposé des droits de douane concernant plusieurs produits importés de Chine, y compris, mais sans s’y limiter, les véhicules électriques.

Les politiques industrielles de Pékin ont endetté des villes et des régions partout en Chine.

Face à la pression internationale croissante, Xi, les principaux journaux du parti et les médias d’État chinois ont systématiquement nié que la Chine ait un problème de surcapacité.

Ils affirment que ces critiques sont motivées par une « inquiétude » américaine infondée et que l’avantage de la Chine en termes de coûts n’est pas imputable aux subventions, mais aux « efforts des entreprises » qui « sont déterminés par le libre jeu de la concurrence du marché ».

En effet, les diplomates chinois soutiennent que l’économie mondiale souffre, dans de nombreux secteurs technologiques émergents, d’une pénurie importante de capacités plutôt que d’un excès d’offre.

En mai dernier, le Quotidien du peuple (People’s Daily), journal officiel du parti, a accusé les États-Unis de recourir à des exagérations quant à la surcapacité de la Chine pour justifier l’introduction de barrières commerciales préjudiciables de façon à endiguer celle-ci et à étouffer le développement des industries stratégiques chinoises.

Les décideurs politiques et les analystes économiques chinois sont néanmoins conscients du problème depuis longtemps. Dès décembre 2005, Ma Kai, alors directeur de la Commission nationale chinoise pour le développement et la réforme, a prévenu que sept secteurs industriels, dont ceux de l’acier et de l’automobile, étaient confrontés à de sérieuses surcapacités.

Il attribuait ce problème à des « investissements sans visibilité et à une croissance de faible niveau ». Depuis près de vingt ans, Pékin a adopté plus d’une douzaine de directives administratives pour remédier au problème dans différents secteurs, mais sans grand succès.

En mars 2024, une analyse de Lu Feng, de l’université de Pékin, a recensé des problèmes de surcapacité dans le secteur des véhicules à énergie nouvelle, les batteries de véhicules électriques et les microprocesseurs vieillissants. BloombergNEF estime qu’en 2023, la production chinoise de batteries était à elle seule suffisante pour répondre à la demande mondiale dans son intégralité.

Alors que l’Occident augmente sa capacité de production et que les fabricants chinois de batteries continuent d’accroître leurs investissements et leur production, le problème mondial de l’offre excédentaire risque de s’aggraver dans les années à venir.

Selon Lu Feng, le surdéveloppement de ces industries en Chine contraindra les entreprises chinoises à vendre leurs produits à bas prix sur les marchés internationaux et contribuera à envenimer les relations commerciales déjà tendues entre la Chine et l’Occident.

Afin de corriger ce problème, il a proposé une combinaison de mesures déjà mises en œuvre par le gouvernement chinois, telles que la stimulation des dépenses intérieures (investissement et consommation des ménages), et également d’autres que de nombreux économistes préconisent depuis longtemps mais que Pékin n’a pas mises en œuvre, notamment la séparation entre le gouvernement et les entreprises et la réforme des mécanismes de redistribution au profit des ménages.

Cependant, les solutions ainsi envisagées ne permettent pas de régler le problème fondamental que pose le manque de coordination au sein de l’économie chinoise : la duplication des investissements des gouvernements locaux dans les secteurs prioritaires désignés par l’État.

Abaisser les barrières, raccourcir la laisse

Jusqu’à présent, les États-Unis ont répondu au défi de la surcapacité de la Chine en imposant des droits de douane élevés sur les produits chinois d’énergie propre, tels que les panneaux solaires, les véhicules électriques et les batteries.

Dans le même temps, grâce à sa loi sur la réduction de l’inflation de 2022 (IRA), l’administration Biden a injecté des milliards de dollars dans le renforcement des capacités nationales américaines dans bon nombre de ces secteurs.

Mais les États-Unis devraient se garder d’essayer d’isoler la Chine simplement en érigeant des barrières commerciales et en renforçant leur propre base industrielle.

Un navire transportant des véhicules électriques chinois sur le Bosphore, près d’Istanbul, avril 2023 (Yoruk Isik / Reuters)

En offrant des incitations importantes aux entreprises qui investissent dans des secteurs critiques aux États-Unis, Washington pourrait reproduire certains des problèmes qui affligent l’économie chinoise : une dépendance vis à vis des investissements alimentés par la dette, une répartition stérile des ressources et, peut-être même, une bulle spéculative dans le secteur des sociétés technologiques qui pourrait déstabiliser le marché si elle venait à éclater soudainement.

Si l’objectif est de rivaliser plus efficacement avec Pékin, Washington devrait se concentrer sur ce que le système américain sait déjà le mieux faire : innover, perturber le marché et utiliser intensivement les capitaux privés, avec des investisseurs qui choisissent de soutenir les secteurs les plus prometteurs et qui acceptent tout à la fois les risques et les bénéfices.

En se focalisant sur des stratégies destinées à limiter les atouts économiques de la Chine, les États-Unis risquent de compromettre leurs propres forces. Les décideurs politiques américains doivent également reconnaître que le problème de surcapacité de la Chine est exacerbé par la quête d’autosuffisance de Pékin.

Cet effort, qui a été mis en avant ces dernières années, reflète le sentiment d’insécurité de Xi et sa volonté de réduire les vulnérabilités stratégiques de la Chine dans un contexte de tensions économiques et géopolitiques croissantes avec les États-Unis et l’Occident.

En fait, les initiatives de Xi en vue de mobiliser la population et les ressources de son pays pour construire un mur technologique et financier autour de la Chine ont elles-mêmes d’importantes conséquences.

Une Chine de plus en plus coupée des marchés occidentaux aura moins à perdre dans une éventuelle confrontation avec l’Occident - et donc moins de raisons de désamorcer la situation.

Aussi longtemps que la Chine entretiendra des liens étroits avec les États-Unis et l’Europe par le biais du commerce de biens de grande valeur qui ne sont pas facilement substituables, l’Occident parviendra beaucoup plus efficacement à dissuader le pays d’entreprendre des opérations ayant des effets déstabilisateurs.

La Chine et les États-Unis sont des concurrents stratégiques, et non des ennemis ; néanmoins, en ce qui concerne les relations commerciales entre les États-Unis et la Chine, le vieil adage « Sois proche de tes amis et encore plus de tes ennemis » est plein de sagesse.

Le gouvernement américain devrait dissuader Pékin de construire un mur pouvant mettre l’économie chinoise à l’abri des sanctions. À cette fin, la prochaine administration devrait favoriser les alliances, restaurer les institutions multilatérales dégradées et créer de nouvelles structures d’interdépendance qui rendraient l’isolement et l’autosuffisance non seulement sans attrait pour la Chine, mais également impossibles à réaliser.

Un bon point de départ consisterait à élaborer davantage de politiques à la table des négociations, plutôt que de se contenter d’imposer des droits de douane. Mener des guerres commerciales dans un contexte de tensions géopolitiques aggravera le déficit de confiance dans l’économie chinoise et entraînera la dépréciation du yuan (renminbi), laquelle neutralisera en partie l’impact des droits de douane.

Il se pourrait également que la Chine soit plus flexible dans ses politiques commerciales qu’il n’y paraît. Depuis l’escalade de la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, en 2018, les universitaires et les responsables chinois ont envisagé plusieurs options politiques, dont la mise en place de restrictions volontaires à l’exportation, la réévaluation du renminbi, la stimulation de la consommation intérieure, l’augmentation des investissements directs étrangers et le soutien financier à la recherche et au développement.

Les chercheurs chinois se sont également penchés sur les relations commerciales entre le Japon et les États-Unis dans les années 1980, soulignant que les tensions commerciales ont contraint les industries japonaises matures, telles que la construction automobile, à se moderniser et à devenir plus compétitives par rapport à leurs rivaux occidentaux, une approche qui pourrait être source d’enseignement pour le secteur chinois des véhicules électriques.

Outre les restrictions volontaires à l’exportation, Pékin a, dans une certaine mesure, déjà essayé plusieurs de ces options. Si le gouvernement mettait également en œuvre des contrôles volontaires des exportations, il pourrait faire d’une pierre plusieurs coups : une telle mesure réduirait les tensions commerciales et peut-être même politiques avec les États-Unis.

Xi tente de construire un mur technologique et financier autour de la Chine.

Elle obligerait les secteurs matures à se consolider et à devenir plus durables et elle contribuerait à déplacer la capacité de production à l’étranger, afin de servir directement les marchés cibles.

Jusqu’à présent, l’administration Biden a adopté une approche cloisonnée vis-à-vis de la Chine, abordant les questions une à une et concentrant les négociations sur des sujets particuliers.

En revanche, le gouvernement chinois préfère une approche différente dans laquelle aucune question n’est exclue et où des concessions dans un domaine peuvent être négociées contre des avancées dans un autre, même si ces questions n’ont aucun lien entre elles.

Même si Pékin semble récalcitrant à des discussions isolées, il pourrait être disposé à accepter un accord plus global portant simultanément sur de multiples aspects des relations sino-américaines.

Washington devrait rester ouvert à la possibilité d’un tel grand arrangement et reconnaître que si les mesures incitatives changent, les dirigeants chinois pourraient modifier brusquement leurs tactiques, tout comme ils l’ont fait lorsqu’ils ont soudainement mis fin à leur politique « zéro COVID ».

Washington devrait également envisager de s’appuyer sur des institutions multilatérales telles que l’Organisation mondiale du commerce pour faciliter les négociations avec Pékin.

Par exemple, la Chine pourrait accepter de renoncer volontairement à son statut de pays en voie de développement, lequel confère un traitement privilégié à ces pays dans le cadre de certains différends commerciaux.

Elle pourrait également être amenée à soutenir une révision du cadre de l’OMC permettant de déterminer le statut d’économie non marchande d’un pays - désignation utilisée par les États-Unis et l’UE pour imposer des droits antidumping plus élevés à la Chine - sur une base sectorielle plutôt que pour l’ensemble de l’économie.

Ces mesures permettraient de reconnaître la réussite économique de la Chine, même si elles obligent celle-ci à respecter les normes commerciales plus strictes des pays industrialisés avancés. Xi se considère comme un leader de transformation, ce qui lui vaut d’être comparé au président Mao.

C’est ce qui ressort de son accueil officiel de l’ancien secrétaire d’État américain Henry Kissinger - l’une des rares personnalités américaines largement respectées dans la Chine de Xi - en juillet 2023, quatre mois seulement avant la mort de celui-ci.

Xi estime qu’en tant que grande puissance, son pays ne doit pas être contraint par des négociations ou des pressions extérieures, mais il pourrait être ouvert à des ajustements librement consentis en matière de questions commerciales dans le cadre d’un accord plus large.

Bon nombre de membres de l’élite économique et commerciale chinoise se désolent de l’état des relations avec les États-Unis. Ils savent que la Chine gagne plus à être intégrée dans le système mondial dirigé par l’Occident qu’à en être exclue.

Mais si Washington s’en tient à sa position actuelle et continue de se diriger vers une guerre commerciale, cela pourrait avoir pour conséquence involontaire d’inciter Pékin à intensifier encore les politiques industrielles qui sont à l’origine de la surcapacité. À long terme, cette situation serait aussi préjudiciable pour l’Occident que pour la Chine.

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