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Et si on arrêtait de faire semblant ?(3)
Au Kénya, la course au développement menace ses immenses contrées sauvages
Par Adam Welz, traduit par Jocelyne le Boulicaut
mardi 8 octobre 2019, par
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Au Kénya, la course au développement menace ses immenses contrées sauvages
Des girafes massaïs côtoient les infrastructures géothermiques dans le parc national de Hell’s Gate, au Kenya. ADAM WELZ
Par Adam WELZ, le 24 avril 2019
Le voyage d’Adam Welz au Kenya a été financé par le Programme des Nations Unies pour l’environnement.
Adam Welz est un écrivain, photographe et cinéaste sud-africain qui vit à Cape Town. Son travail comprend un film primé sur les ornithologues excentriques de New York et des exposés sur la criminalité environnementale dans toute l’Afrique australe. Il écrit des articles sur les questions internationales et africaines relatives à la faune sauvage pour Yale Environment 360.
Le Kenya poursuit le plan de développement d’un vaste réseau de routes, de lignes électriques, de barrages et d’infrastructures d’énergie renouvelable. Mais bon nombre de ces projets, y compris des parcs éoliens et des installations géothermiques, sont en voie de construction dans les parcs et les réserves de faune emblématiques du pays.
Voilà longtemps que le Kenya représente pour le monde occidental la quintessence de l’"Afrique", une terre de vastes savanes dorées remplies de zèbres, d’éléphants, de girafes, et de lions. En dépit d’attaques terroristes très médiatisées et des prix élevés pratiqués par ses parcs nationaux et ses auberges éco-touristiques, le pays reste extrêmement prisé des étrangers qui veulent sortir des sentiers battus et avoir au moins un petit goût d’aventure. Les visites de touristes internationaux ont augmenté de 37 pour cent l’an dernier, atteignant 2 millions, avec des recettes touristiques atteignant 1,6 milliard de dollars. Mais la réputation du Kenya en tant que destination éco-touristique de choix et leader de la préservation de la nature pourrait être en péril. Des milliards de dollars sont investis dans de nouveaux projets d’infrastructure - routes, chemins de fer, centrales électriques et lignes électriques - qui sont rapidement construits pour atteindre les objectifs du Kenya Vision 2030, plan du gouvernement pour faire du Kenya "un pays nouvellement industrialisé à revenu intermédiaire d’Afrique". De nombreux projets sont en cours de construction dans des parcs nationaux et d’importantes zones de préservation, menaçant des espèces rares. "D’ici 2030, dit un document majeur du plan, il deviendra impossible de qualifier une région de notre pays de" reculée ".
Bon nombre des projets qui portent atteinte au patrimoine naturel du Kenya sont soutenus par des organismes de financement de développement durable comme le Programme des Nations Unies pour l’environnement, le Fonds pour l’environnement mondial (supervisé par la Banque mondiale), l’Agence des États-Unis pour le développement international et autres, car ils ont manifestement pour objectif des initiatives qui se veulent écologiques : centrales géothermiques, parcs éoliens, centrales hydrauliques et réseaux connexes de conduites, lignes et routes, en plus des barrages hydroélectriques et des réseaux de pipelines.
Les scientifiques ont identifié au Kenya pas moins de 23 sites ayant un potentiel de production d’énergie géothermique, y compris certains se trouvant dans ou très près de parcs nationaux et réserves, comme le Mont Longonot et le Lac Bogoria. Des parcs éoliens sont en expansion dans une zone située au sud de la capitale, Nairobi, même si des experts-conseils affirment qu’ils vont presque certainement tuer un nombre important d’oiseaux envoie d’extinction et protégés par la loi. Les organismes sont incités à autoriser des infrastructures dans les zones protégées parce qu’ils reçoivent d’importantes indemnisations en compensation.
Le gouvernement kényan envisage de construire 57 grands barrages, dont un grand nombre pour la production d’hydroélectricité et un grand nombre dans des zones sensibles ou protégées ; selon les informations diffusées dans les médias kényans, des contrats d’une valeur de 7 milliards de dollars ont déjà été conclus ou sont en attente de signature. Ces projets vont de l’avant en dépit des craintes croissantes que le changement climatique et la sécheresse ne viennent menacer le potentiel hydroélectrique du pays.
Une gigantesque extension du réseau électrique est également en cours pour relier ces sources d’énergie, acheminer l’électricité vers les zones rurales et distribuer l’énergie entre le Kenya et les pays voisins ; de nombreuses lignes électriques nouvelles traverseront des parcs nationaux et des zones riches en faune et flore.
Il n’y a pas que l’énergie renouvelable, d’autres grands projets présentent en outre des risques pour la faune et la flore sauvages du Kenya, notamment le corridor de développement LAPSSET, considéré comme le plus grand projet d’infrastructure d’Afrique orientale, qui a pour objet de tracer dans certaines régions reculées du Nord du Kenya les routes, les voies de transport ferroviaire et pétrolier et les lignes électriques qui permettront de promouvoir une agriculture et une industrie à grande échelle.
Les écologistes affirment que les organismes gouvernementaux chargés de protéger l’environnement sont inefficaces, soutenant qu’ils sont incités à autoriser les infrastructures dans les zones protégées parce qu’ils en reçoivent des paiements compensatoires élevés.[Le méga-projet LAPSSET (Lamu Port Southern Sudan-Ethiopia Transport) a pour but d’améliorer les liaisons de transport entre le Kenya, le Soudan du Sud et l’Éthiopie. Il se compose de voies ferrées, d’autoroutes, d’un oléoduc, de villages de vacances, d’aéroports et d’un port NdT]
Certes, certaines parties du Kenya restent préservées et sont susceptibles de protéger des étendues sauvages riches en vie sauvage, notamment les parcs nationaux emblématiques de Tsavo Est et Ouest et le cœur de la réserve nationale Massai Mara, tout comme certaines réserves communales dans le Nord du Kenya. Mais même certaines parties de ces zones ont connu un développement d’infrastructures ces dernières années, et les tracés des routes et des lignes électriques proposées montrent qu’elles traverseraient de nombreux parcs ou réserves du Kenya.
A deux heures de route de la capitale, Nairobi, le Hell’s Gate National Park offre une vision inquiétante des changements à venir dans de nombreuses zones naturelles du Kenya. Les visiteurs sont séduits par les photos des falaises et des gorges abruptes de la région (dont l’une ressemble à la "porte de l’enfer") et par les descriptions vivantes d’un paysage géologiquement actif avec ses coulées de lave, ses sources chaudes naturelles flamboyantes, ses fumerolles. On leur dit souvent que le Hell’s Gate est l’endroit rêvé pour apercevoir des rapaces spectaculaires et rares - grands aigles et vautours - et autres animaux sauvages.
Rassemblement de zèbres à côté d’une conduite raccordée à des puits géothermiques près de la centrale géothermique d’Olkaria, dans le parc national Hell’s Gate. ROBERTO SCHMIDT/AFP/GETTY IMAGES
Peu de guides touristiques mentionnent que le Hell’s Gate est au centre des projets du Kenya pour devenir un leader mondial de la production d’énergie géothermique, ce qui signifie que les visiteurs entrant dans le parc par l’entrée Olkaria, comme je l’ai fait pendant une visite des lieux organisé pour les média le mois dernier, sont directement confrontés à ces infrastructures : centrales électriques de type entrepôt, réseaux de routes, pipelines serpentant dans les collines, signalisation industrielle et maquis de câbles électriques. Des panaches de vapeur s’élèvent des condensateurs et des têtes de puits éparpillés à l’horizon et au-delà. Le bruit des machines est inévitable. Un petit groupe de girafes massaïs paissent dans les environs, ce qui rappelle le statut juridique de la région comme faisant partie d’un parc national.
Cyrus Karingithi, directeur adjoint du développement des ressources à la Kenya Electricity Generating Company (KenGen), l’entreprise en grande partie publique qui produit la majeure partie de l’électricité du Kenya, affirme que KenGen a actuellement la capacité de produire 1 630 mégawatts, mais 50 pour cent de cette électricité est hydroélectrique. C’est un problème : le climat du Kenya s’assèche et certains barrages hydroélectriques ne peuvent plus faire fonctionner leurs turbines de manière fiable.
Conjuguée à une croissance rapide de la population, cette situation a provoqué des coupures de courant inacceptables, précise-t-il.La situation du Kenya à cheval sur la vallée géologiquement active du Rift africain lui donne accès à d’énormes ressources géothermiques. Forez un puits à environ 3 km de profondeur et vous pouvez exploiter une source de vapeur pratiquement illimitée pour faire fonctionner de gigantesques générateurs de surface. À l’appui de Vision 2030, Karingithi affirme que KenGen fera plus que doubler sa capacité de production en seulement cinq ans, pour la porter à 3 330 mégawatts, dont la moitié sera géothermique. Le futur KenGen sera donc un "KenGen vert", dit-il.
La corruption est fréquente dans les projets d’infrastructure et "de terribles problèmes arrivent à ceux qui la dévoilent", selon un défenseur de l’environnement.
Si on compare l’énergie géothermique à la production conventionnelle de combustibles fossiles, elle produit beaucoup moins de gaz à effet de serre. Mais les centrales géothermiques peuvent libérer d’autres gaz nocifs et de l’eau polluée, et leurs infrastructures associées peuvent être dommageables pour l’environnement, comme ce fut le cas à Hell’s Gate.
Le parc et ses environs étaient autrefois bien connus comme site de reproduction pour les populations nidificatrices de charognards et d’oiseaux de proie, dont plusieurs espèces sont menacées comme le gypaète barbu, le vautour d’Égypte, le vautour de Rüppell, le vautour à dos blanc d’Afrique, le pygargue martial, et le pygargue couronné. De ces six espèces, une seule - le vautour de Rüppell - continue de se reproduire là et de nombreuses autres espèces de rapaces, moins menacées, ont disparu.
Bien que l’énergie géothermique ne puisse pas être tenue pour seule responsable de la disparition des oiseaux, les scientifiques kényans ont la preuve que de nouvelles têtes de puits ont chassé les oiseaux de leurs territoires et que d’autres sont morts dans les cheminées géothermiques KenGen ou par collision ou électrocution sur des câbles électriques. Une immense marée d’eau contaminée provenant d’un puits KenGen s’est, par le passé, écoulée sur la principale falaise site de reproduction des vautours de Rüppell, à Hell’s Gate.
Les vautours jouent un rôle écologique important dans les régions sauvages de savane africaine et d’élevage du bétail. En nettoyant rapidement les carcasses, ils empêchent la propagation de maladies comme l’anthrax au sein des populations animales et humaines. Par rapport aux espèces américaines communes comme la dinde et le vautour noir, les vautours d’Afrique se reproduisent très lentement ; lorsque les espèces africaines disparaissent, il faut des décennies pour reconstituer des populations écologiquement fonctionnelles. La plupart des vautours d’Afrique déclinent rapidement ; l’Egyptien, le Rüppell’s et le fuligule à dos blanc d’Afrique sont classés par l’Union internationale pour la conservation de la nature comme en voie d’extinction à l’échelle mondiale.
Lors de ma récente visite à Hell’s Gate, je n’ai vu aucune preuve de véritables tentatives de construction d’infrastructures adaptées aux oiseaux ou de surveillance systématique de la mortalité des oiseaux. Ce qui était par contre évident, c’était l’utilisation intensive de lignes électriques et de pylônes électriques dont il a été prouvé qu’ils tuent un grand nombre d’individus ailleurs en Afrique. Les lignes pourraient être dotées de dispositifs pour effrayer les oiseaux ou être remplacées par des lignes plus sûres pour les oiseaux, mais cela n’a pas été fait. KenGen a également proposé cinq grandes zones industrielles juste à l’extérieur de la frontière sud de Hell’s Gate pour profiter de son énergie électrique et de sa vapeur.
De nombreux écologistes kényans avertissent que Hell’s Gate n’est pas une exception. De hauts responsables kényans, y compris le président lui-même, ont clairement indiqué que les infrastructures seront implantées dans les parcs nationaux et les zones sensibles si elles sont considérées comme un moyen de réaliser les objectifs du programme Vision 2030.
Certains environnementalistes à qui j’ai parlé ont refusé d’être nommément désignés ou de voir leurs propos cités, craignant pour leur emploi ou leur sécurité personnelle. La corruption est chose courante dans les projets d’infrastructure, m’a-t-on dit, et " de terribles problèmes arrivent à ceux qui dévoilent des affaires de corruption au Kenya ".
Le chemin de fer à écartement standard (SGR), une composante centrale de Vision 2030, est souvent cité par les environnementalistes comme un parfait exemple de la détermination du gouvernement à faire fi des lois et considérations environnementales. Le SGR est une ligne financée par la Chine et construite en Chine (qui fait partie de l’initiative mondiale Belt and Road Initiative [Nouvelle route de la Soie Ndt]) qui reliera le port kényan de Mombasa avec l’intérieur du pays et les pays voisins. La phase 1, de Mombasa à Nairobi, a été achevée en 2018 pour un coût de 3,2 milliards de dollars. La phase 2, actuellement en construction, reliera Nairobi à Naivasha, une ville située à quelque 80 km au nord-ouest.
Des impalas passent sous le chemin de fer à écartement standard (SGR = Standard Gauge Railway) dans le parc national de Nairobi. Après que les défenseurs de l’environnement eurent soulevé des objections, la voie ferrée a été surélevée pour permettre le déplacement de la faune. [La voie normale, aussi appelée « écartement de Stephenson », est une voie ferrée dont l’écartement des rails est de 1 435 millimètres. Cet écartement, considéré comme une référence par l’Union internationale des chemins de fer, est l’un des plus utilisés dans le monde, avec environ 60 % des lignes existantes NdT] YASUYOSHI CHIBA/AFP/GETTY IMAGES
Sept itinéraires alternatifs à partir de Nairobi ont été proposés pour la ligne , dont certains à travers le parc national de Nairobi, un parc mondialement connu à la périphérie de la ville. Les écologistes ont souligné que la loi kényane stipule clairement qu’aucune infrastructure ne peut être construite dans un parc national si ce parc ne dispose pas d’un plan de gestion actualisé. Le plan de gestion du parc national de Nairobi a expiré en 2010. Néanmoins, le gouvernement a annoncé en 2016 qu’il avait choisi un tracé divisant le parc en deux.
Cette situation a fait l’objet de nombreuses contestations judiciaires de la part de défenseurs de l’environnement, dont au moins deux ont donné lieu à des ordonnances d’arrêt de construction. Le gouvernement a décidé que la piste serait surélevée sur des piliers au sein du parc, afin que la faune puisse passer, et que le Kenya Wildlife Service (KWS), qui gère tous les parcs nationaux, recevrait d’importants paiements compensatoires pour acheter des terres aux fins de l’agrandissement du parc.
Les groupes de défense de la nature ont averti qu’un parc éolien médiocrement implanté aurait un effet "direct et dévastateur" sur les vautours rares.
Nonobstant les ordonnances d’arrêt rendues par le tribunal et les poursuites judiciaires en cours, les entrepreneurs chinois du chemin de fer, protégés par des gardes forestiers armés du KWS [ Service de la faune kényane NdT] , se sont implantés dans le parc en février 2018 et ont depuis lors procédé à sa construction à une cadence rapide.
"Le gouvernement a enfreint de façon flagrante ses propres lois ", déclare Jim Karani, directeur des affaires juridiques de Wildlife Direct, une organisation à but non lucratif kényane. Karani dit qu’il semble maintenant que l’argent de la contrepartie a été utilisé pour les dépenses d’exploitation de KWS et que le parc ne sera pas agrandi après tout. (KWS n’a pas répondu aux demandes de commentaires.) "Si le gouvernement peut faire cela sous notre nez, au parc national de Nairobi, me dit un autre militant environnemental, quel espoir ont les parcs moins connus ?
Les écologistes mentionnent également une liste de parcs éoliens prévus dans une région au sud de Nairobi comme exemple de projets prétendument verts et dommageables pour l’environnement que le gouvernement a imposés dans le cadre de ses plans. Le premier de ceux-ci, Kipeto, est en construction en dépit du fait que ses partisans et ses opposants s’entendent pour dire que ses 60 grandes turbines tueront probablement un nombre important d’espèces menacées et protégées de vautours et d’aigles.
Éoliennes du projet du lac Turkana dans le nord du Kenya. Certains parcs éoliens kényans sont situés dans des zones abritant des populations importantes d’oiseaux menacés. YASUYOSHI CHIBA/AFP/GETTY IMAGES
"Kipeto coche toutes les cases d’un parc éolien désastreux", explique Andrew Jenkins, un biologiste sud-africain spécialiste des oiseaux de proie qui a participé à de nombreux projets éoliens sur le continent et qui a fait des recherches sur le site de Kipeto. Selon lui, sa proximité avec la plus grande colonie de vautours de Rüppell, une espèce en danger critique dans le sud du Kenya et au cœur d’une voie aérienne empruntée par des oiseaux migrateurs menacés, fait que "cela ne devrait pas se faire" pour des raisons juridiques et de préservation. "C’est l’un des trois pires sites pour un parc éolien que j’ai vu en Afrique en termes de potentiel pour tuer les oiseaux menacés," a-t-il ajouté.
Au tout début, un consortium d’organisations respectées de protection de la nature à but non lucratif , dont BirdLife International, The Peregrine Fund et Nature Kenya, a approuvé la position de Jenkins. Dans une lettre adressée aux actionnaires de Kipeto en mars 2017, ils ont qualifié le parc éolien de " menace directe et dévastatrice pour les vautours Rüppel et ceux à dos blanc - oiseaux qui sont considérés en grave danger sur la Liste rouge des espèces menacées de l’IUCN ".
Ils ont averti qu’avec l’énergie éolienne kényane à ses débuts, " ce projet créera un précédent important pour les projets futurs " et qu’" aucune mesure d’atténuation ou de contrepartie ne pourra compenser " son impact sur la biodiversité, qui a fait échouer les normes établies par la Société financière internationale, investisseur pionnier dans Kipeto.
Au milieu de l’année 2018, la société d’investissement londonienne Actis a racheté 88 % de Kipeto. De multiples sources ayant une connaissance directe de la question disent qu’Actis a décrit la construction de Kipeto comme étant inévitable, puis ont dit aux membres du consortium de conservation des oiseaux qu’environ un million de dollars par an pourrait être mis à disposition pour des travaux palliatifs, dont la protection des vautours pour qu’ils ne soient plus victimes d’intoxications ailleurs au Kenya et cela, afin de remplacer les oiseaux qui sont décimés par les turbines.
Les principaux membres du consortium ont mis fin à leur opposition et demandent maintenant leur quota de financement pour les mesures d’atténuation. BirdLife International a déclaré dans un courriel qu’elle travaillait avec les propriétaires de parcs éoliens pour " aider à améliorer les perspectives pour les espèces de vautours ". Le groupe a refusé de fournir des détails sur les travaux de mitigation proposés et n’a pas répondu aux questions à savoir si sa décision de renoncer à son opposition à la ferme éolienne était liée à sa garantie de recevoir des fonds annuels pour la mitigation.
Le "Kenya Wildlife Service" s’est associé à des projets au sein des parcs et des aires protégées après avoir reçu l’assurance qu’il recevrait une compensation financière. De nombreuses sources soulignent que le financement gouvernemental de KWS a été fortement réduit au cours des dernières années, et elles disent que si l’agence acquiesce à des infrastructures dans les parcs, cela lui permet de demander des fonds pour la mitigation et équilibrer son budget.
Karani de Wildlife Direct soutient qu’il est donc dans l’intérêt à court terme de KWS de dégrader les parcs qu’elle a pour mission de protéger, ce qui est pervers. [Le Kenya Wildlife Service est l’agence publique kényane chargée de la conservation de la nature. Créée en 1990 par la loi du Parlement nᵒ Cap 376, elle gère tous les parcs et réserves naturels, aussi bien terrestres que maritimes, du Kenya hormis la réserve nationale du Masai Mara qui est gérée par le comté de Narok NdT]
"Je n’ai jamais vu un seul projet soutenu par le gouvernement se voir dénié un permis d’impact environnemental par KWS ou l’Autorité nationale de gestion environnementale", dit Karani. "Ils sont captifs."
Les écologistes décrivent les projets financés par la Chine comme étant plus difficiles à faire évoluer dans une direction respectueuse de l’environnement.
Selon les médias, KWS s’est vu attribuer une indemnisation d’environ 90 millions de dollars pour le chemin de fer à écartement normal (SGR) et les autoroutes qui ont été aménagées dans des parcs nationaux.
Les défenseurs de la nature se plaignent que les détails de la localisation des infrastructures sont souvent gardés secrets jusqu’au dernier moment, ce qui les empêche de participer de façon significative aux décisions. Le gouvernement kényan affirme qu’il doit garder les sites secrets pour empêcher la spéculation foncière et la corruption qui pourraient faire échouer des projets, soulignant les projets où cela s’est produit, comme le projet éolien Kinangop, qui a échoué à la suite de violents conflits au sujet des dédommagements dus aux propriétaires terriens.
Lucy Waruingi, directrice exécutive du Centre africain pour la conservation, explique que les infrastructures sont souvent situées dans des zones protégées ou reculées car elles rencontrent moins d’obstacles non naturels comme les maisons et les champs cultivés, dont les propriétaires devraient recevoir une compensation.
"Les régions considérées comme éloignées sont aussi celles qui abritent la plus grande partie de notre biodiversité, dit-elle. "Dans un sens, il est presque inévitable que les infrastructures traversent des zones riches en faune." [L’African Conservation Center est une organisation non gouvernementale basée au Kenya. Le groupe a été fondé en 1995. En 2007, il a reçu une subvention de 200 000 USD de la Fondation Ford.NdT]
Waruingi ajoute que " s’il s’agit d’une zone protégée, alors c’est " plus facile "[pour le promoteur]. Les ingénieurs vous diront que les directives de leur siège social sont de faire des conceptions à moindre coût. S’ils tiennent compte de tous les coûts, en particulier de l’indemnisation, ils peuvent décider de faire transiter l’infrastructure par une zone qui ne compte qu’un seul propriétaire foncier, le gouvernement du Kenya, plutôt que par une zone qui compte des dizaines de propriétaires privés.
De nombreux environnementalistes kényans ont décrit les projets d’infrastructure financés par la Chine comme étant plus difficiles à mettre en œuvre en respectant l’environnement que ceux financés par l’Occident. Peu de choses seraient divulguées, étant donnée l’influence de la Chine sur l’élite politique du Kenya. Mais ils notent que de nombreux organismes de financement occidentaux, comme la Banque mondiale, ont une certaine forme de normes environnementales, même si elles ne sont pas toujours pleinement respectées.
D’autre part, les lignes directrices environnementales de la Chine en matière d’aménagement de la Nouvelle Route de la Soie sont vagues, et les processus de planification et la culture d’entreprise des compagnies chinoises sont particulièrement opaques. La Chine est fière d’être un bailleur de fonds d’infrastructure " sans conditions ", ce qui la distingue des bailleurs de fonds occidentaux qui font de l’ingérence et ont des modalités et conditions " néocoloniales ".
Un puits géothermique dans le parc national de Hell’s Gate. Ce puits, encore en phase d’essai, produira suffisamment d’électricité pour alimenter 50 000 foyers kényans. ADAM WELZ
En dépit des difficultés, certaines organisations de la protection de la nature tentent d’établir des relations avec les planificateurs du gouvernement kényan et les sociétés d’infrastructure étrangères dans le nord du Kenya, où le corridor de développement LAPSSET - qui fait également partie de l’initiative chinoise Belt and Road - est destiné à amener les industries et infrastructures dans des régions éloignées et à nouer des liens vers des corridors similaires du Sud Soudan et d’Ethiopie.
Le LAPSSET est contrôlé depuis le bureau du président kényan et, tel qu’il est actuellement proposé, il s’agit d’un canal d’infrastructure de 500 mètres de large avec des bandes de 50 kilomètres de large de chaque côté qui sont affectées à l’agriculture intensive et au développement d’activités industrielles.
Bien que son tracé final détaillé ne soit pas encore public, il traversera presque certainement d’importantes réserves communautaires, affectera les parcs nationaux et coupera les routes migratoires de la faune dans certaines des régions les plus riches en biodiversité du pays. Certains défenseurs de la nature affirment qu’ils ont une légère influence positive sur le processus de planification, mais on ne connaît pas encore l’impact potentiel du LAPSSET.
Karani, de Wildlife Direct, affirme que son militantisme lui a valu de nombreuses menaces et insultes, et qu’il est souvent accusé d’être anti-développement et donc anti-Kényan ; un larbin pour les écologistes blancs étrangers. "Je ne veux pas que les gens continuent à vivre dans la pauvreté, me dit-il.
"J’ai vécu à l’étranger dans un pays riche [les États-Unis, où il a obtenu une maîtrise en droit]. Moi aussi, je veux ces belles choses. Mais faut-il tuer l’oie qui pond des œufs d’or - nos parcs nationaux - juste pour savourer un peu de sa chair ?"
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Le texte anglais est cité comme référence dans l’article "Et si on arrêtait de faire semblant ?"