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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2023-083

La Chine entre découplage et dérisquage

Par Lanxin Xiang, traduction par Jocelyne Le Boulicaut

mardi 1er août 2023, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

La Chine entre découplage et dérisquage

Le 11 juin 2023 par Lanxin Xiang

Lanxin Xiang est professeur émérite à l’Institut universitaire de hautes études internationales et du développement à Genève, et chercheur invité au Schuman Center of Advanced Studies de l’Institut universitaire européen (IUE) à Florence. Il est le fondateur de PN Associates Strategic Consultancy et a été distingué par le Stimson Center.

Le chef de la défense chinoise, le général Li Shangfu, serre la main du secrétaire américain à la Défense, Lloyd Austin, lors du dîner d’ouverture du Shangri-La Dialogue, un forum annuel sur la défense et la sécurité, à Singapour, le 2 juin 2023. Les deux hommes n’avaient pas prévu de se rencontrer. (Photo : Weibo)

Les risques de guerre entre les États-Unis et la Chine augmentent alors que Pékin ne voit pas l’intérêt de parler à l’équipe de Biden. Les deux nations les plus puissantes sont entrées dans une phase périlleuse de malentendus et de fausses notes, ce qui se produit généralement en prélude à une guerre non prévue.

Pékin ne souhaite plus avoir de discussions de haut niveau avec le gouvernement américain, il a pratiquement renoncé à faire confiance à l’administration Biden, largement considérée par l’élite politique chinoise comme incompétente, ignorante de la culture et de l’histoire chinoises et extrêmement arrogante.

Au lieu de cela, Pékin pourrait bien miser sur le fait que la prochaine élection présidentielle verra émerger quelqu’un d’autre que Joe Biden.

Même Donald Trump, semble-t-il, pourrait faire l’affaire, dans la mesure où l’ancien président a joué cartes sur table, déteste les alliances militaires et a horreur de la guerre.

Concernant les dossiers de Taïwan, de la concurrence économique et de la rivalité géopolitique, une communication sérieuse entre les deux parties est devenue pratiquement impossible même quand il s’agit de négociations fondées sur des bases communes.

Panda et Oncle Sam (Illustration Craig Stephens)

La soudaine envie des États-Unis de recourir à la diplomatie de haut niveau est donc motivée par deux facteurs : le désir d’apaiser les craintes de ses alliés, qui redoutent que l’absence de communication ne conduise à une nouvelle guerre, et le désir de promouvoir une campagne de propagande qui voudrait que ce soit la Chine qui se montre déraisonnable.

Une leçon fondamentale que les décideurs politiques des deux parties doivent apprendre est que, dans le cadre d’une diplomatie entre grandes puissances, il ne faut jamais offrir quelque chose dont l’autre partie n’a pas vraiment besoin, ni demander quelque chose que l’autre partie ne pourra jamais donner.

En d’autres termes, le seul moyen d’éviter la guerre est d’identifier les intérêts vitaux, les lignes rouges à ne jamais franchir de chacun et les respecter.

Jamais depuis la guerre froide nous n’avons été témoins d’une situation aussi dangereuse. Le fait que les deux nations les plus puissantes du monde soient la plupart du temps dans un dialogue de sourds n’est plus considéré comme anormal.

Au cours de la première décennie du siècle dernier, la Grande-Bretagne était préoccupée par son « problème allemand ». Les deux puissances n’avaient pas d’intérêts conflictuels clairement définis.

Pourtant, la Grande-Bretagne se voyait comme le défenseur du statu quo et l’Allemagne impériale comme le challenger. Les deux parties ont commis des erreurs stratégiques.

Leurs efforts diplomatiques ont souvent été compromis davantage par une incompatibilité d’intentions et de comportements que par des intérêts purement nationaux, qui étaient, à bien des égards, parallèles.

Un navire de guerre chinois, identifié par le commandement américain pour l’Indo-Pacifique comme étant le PRC LY 132, croise le destroyer Chung-Hoon de la marine américaine dans le détroit de Taïwan, samedi 3 juin 2023 (Photo : Global News via Reuters : Global News via Reuters)

L’aliénation anglo-allemande n’a pas été le fruit de mauvaises intentions ou de plans sournois à long terme. L’Allemagne s’est efforcée de montrer à la Grande-Bretagne la qualité de son amitié en lui proposant une sorte d’alliance teutonique afin éviter la guerre entre les deux pays.

Un cercle vicieux s’est toutefois enclenché lorsque l’Allemagne a commencé à manifester son mécontentement face à ce qu’elle considérait comme un comportement illogique et non coopératif de la part de la Grande-Bretagne, qui n’envisageait pas sérieusement une telle alliance.

En réalité, la préoccupation majeure de la Grande-Bretagne était le défi lancé par la France et la Russie à son vaste empire colonial, et l’Allemagne ne représentait qu’une menace minime pour ses intérêts. Mais Londres a été souvent incapable de faire passer son message.

Berlin a alors décidé qu’exprimer de la colère serait plus convaincant. Le Kaiser estimait que l’intransigeance de la Grande-Bretagne était due à la faiblesse de l’Allemagne. Ce qui avait commencé par un effort sincère pour identifier les intérêts mutuels a lentement dégénéré en un conflit à tous les niveaux.

Toute analyse des relations entre les États-Unis et la Chine devrait se concentrer sur la manière d’éviter une interprétation erronée des intentions de l’autre partie. Comme nous le rappelle la guerre en Ukraine, les malentendus et les erreurs de communication peuvent conduire à la guerre.

// VIDÉO
Le chef de l’OTAN déclare que la Chine est en train de « tirer des leçons » de l’invasion de l’Ukraine par la Russie

De même, le postulat central de Biden est que la Chine est actuellement en train de remettre en cause le statu quo. La Chine est considérée comme une puissance en pleine ascension qui en veut à l’ordre international libéral.

Oncle Sam et Panda (Illustration : Craig Stephens)

Le monde doit donc se préparer à un combat entre la démocratie et l’autocratie, et il n’existe pas de juste milieu.

Mais en réalité, qui, aujourd’hui, défend le statu quo, les États-Unis ou la Chine ? C’est Washington qui ressemble le plus au Berlin Wilhelminien [conception de société liée au règne de l’empereur Guillaume II (en allemand : Wilhelm II) sur le Reich allemand, NdT].

Alors même que la Chine décide d’intégrer pleinement le système international existant, les États-Unis, sous la direction de Trump et de Biden, commencent à changer les règles de l’ordre international qu’ils avaient mises en place après la Seconde Guerre mondiale.

Alors que la Chine aspire à devenir un État normal, c’est-à-dire une grande puissance autosuffisante qui n’a jamais eu d’envie d’expansion territoriale au cours de son histoire, le critère de « normalité » est en train de changer.

Alors que la Chine a adopté une diplomatie de type multipolaire pour maintenir la paix dans ses relations extérieures , les États-Unis sont revenus à unfantasme unipolaire en construisant davantage d’alliances militaires pour revenir à une politique de blocs de type Guerre froide.

// VIDÉO
La Chine met en garde l’alliance AUKUS [Australie, Royaume-Uni, USA, NdT] contre une « pente dangereuse » concernant les sous-marins à propulsion nucléaire.

Dans le domaine de la sécurité, les Etats-Unis offrent certes à la Chine la paix dans le détroit de Taïwan, à condition que Pékin accepte l’existence de deux entités territoriales chinoises distinctes : une pour la Chine, une pour Taïwan. Or c’est là quelque chose que la Chine ne pourra jamais accepter.

En ce qui concerne la Chine, les États-Unis semblent parler davantage de "réduction des risques" que de "découplage" (Photo : AP)

Dans le domaine économique, l’offre américaine est encore moins convaincante. Ils ont récemment adopté le même langage que l’Union européenne, revenant sur le « découplage » pour adopter le concept de « réduction des risques ». Il s’agit là d’un geste de bonne volonté à l’égard de la Chine. Mais pour Pékin, cela n’a guère de sens.

Tout d’abord, les dirigeants chinois sont psychologiquement préparés au découplage et ont commencé à mettre en place divers systèmes de défense, notamment par la dédollarisation du marché commercial international.

Ils défendent également de manière agressive une stratégie autonome en matière de haute technologie .

Deuxièmement, les dirigeants chinois sont convaincus que la stratégie globale des États-Unis consiste à endiguer la Chine dans tous les domaines.

Troisièmement et surtout, du point de vue chinois , le plus grand risque pour les deux parties est la question de Taïwan etles États-Unis ne semblent pas disposés à faire quoi que ce soit pour « dérisquer » ce suje.

Au contraire, ils ont accru les risques par des mesures telles que des visites de personnalités de haut rang sur l’île. En conséquence, Pékin ne se montre plus aussi intéressé par la communication et en outre les échanges entre les deux armées ont été réduits au minimum.

Une photo prise le 3 juin 2023 par l’US Navy montre la rencontre rapprochée entre deux navires de guerre (Photo de la marine américaine du 3 juin 2023 : AFP)

Les deux nations les plus puissantes sont entrées dans une phase périlleuse de non communication et d’envoi de mauvais signaux, ce qui se produit généralement en prélude à une guerre non programmée.

Lanxin Xiang

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