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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2023-101

Pour défendre le climat, cibler les banques - 2

Par Derek Seidman, traduction par Jocelyne Le Boulicaut

mardi 19 septembre 2023, par JMT

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Pour défendre le climat, cibler les banques- 2

Le 15 juillet 2023 par Derek Seidman, Garder les réseaux à l’oeil

Derek Seidman est écrivain, chercheur et historien, il vit à Buffalo, dans l’État de New York. Il contribue régulièrement à Truthout et à LittleSis.

Non au Pipeline

Pouvoir des dirigeants et des conseils d’administration : le cas de JPMorgan Chase

Pour comprendre le pouvoir et l’influence du secteur bancaire, il est intéressant d’aller voir de plus près JPMorgan Chase, son représentant le plus puissant, qui est aussi le principal financeur du secteur fossile dans le monde. J

PMorgan est un mastodonte de la banque, avec 3 700 milliards de dollars d’actifs et un quart de million d’employés dans le monde. Sa taille et sa puissance sont le résultat de plus de deux siècles d’expansion, de fusions et de consolidations.

La banque possède de nombreuses branches : banque commerciale, services financiers, gestion d’actifs, etc. En 2022, elle a engrangé 35,6 milliards de dollars de bénéfices .

La raffinerie ExxonMobil à Baton Rouge, en Louisiane. Vanguard et BlackRock sont les deux principaux actionnaires d’ExxonMobil (respectivement 8,4% et 6,2% selon la circulaire d’ExxonMobil de 2022)

Au cours des dernières décennies, en tant qu’hégémon bancaire des États-Unis, JPMorgan s’est hissée au dessus même de ses homologues méga-banques. En 1991, sa part de marché était de 1,5%, contre 14,4% aujourd’hui, soit une multiplication par dix de sa domination sur le secteur bancaire.

Ce queBlackRock est à la gestion d’actifs , en termes de centralité et de pouvoir au sein de ce secteur, JPMorgan l’est au secteur de la banque et des services financiers.

Cette importance majeure s’est récemment manifestée, par exemple, par le rôle de premier plan joué par JPMorgan dans l’acquisition des grandes banques américaines en faillite SVB et First Republic.

Le Financial Times rapporte que le PDG de JPMorgan, Jamie Dimon, a été le « premier interlocuteur » de la secrétaire au Trésor, Janet Yellen, lorsqu’elle a cherché à obtenir de l’aide pour celle-ci.

En d’autres termes, tout comme BlackRock, JPMorgan n’est pas seulement une banque - c’est une structure sur laquelle l’ensemble du système financier s’appuie et dont il dépend.

Selon l’historien de l’économie Adam Tooze, le rôle de sauveur joué par JPMorgan lors des récentes faillites bancaires l’a fait passer « du statut de seulement une grande banque américaine parmi d’autres à celui de la Banque américaine. Elle est l’actrice centrale du système » et une « une actrice clé et universelle de la banque d’investissement, de la tenue de marché, de la gestion d’actifs ... ».

À la tête de ce goliath financier se trouve l’un des PDG les plus influents au monde : Jamie Dimon. Dimon, le dirigeant de la banque ayant le plus long mandat, est un milliardaire qui a gagné près de 100 millions de dollars en rémunération et en actions entre 2020 et 2022.

Au 12 mai 2023, il possédait, directement et indirectement, 8 631 515 actions de JPMorgan , d’une valeur de plus de 1,1 milliard de dollars.

Bien que Dimon ne soit certes pas Jeff Bezos , il affiche pourtant sa richesse et son statut, comme en témoignent lescartes de Noël familiales ostentatoires et de mauvais goût qu’il a envoyées en 2013.

Medley de milliardaires (Illustration by Geoff J. Kim for Forbes)

Dimon n’est pas non plus seulement un gros bonnet de la finance. À l’instar de Howard Schultz, chef de file des démolisseurs de syndicats , il se donne des allures de leader politique, et des rumeurs circulent depuis des années sur une éventuelle candidature de Dimon à l’élection présidentielle.

Au-delà du pouvoir qu’il exerce à la tête de la principale banque américaine, il dispose également d’un réseau de contacts extrêmement dense. Entre autres activités, Dimon est directeur de la Business Roundtable, président du Bank Policy Institute, membre du comité exécutif du Partnership for New York City , et, selon la biographie officielle présentée par son entreprise , membre du Council on Foreign Relations et membre du conseil d’administration de la Harvard Business School.

Contrairement à ce qu’il prétend avec son discours écolo, Dimon est ouvertement favorable aux énergies fossiles.

En août 2022, il déplorait auprès de ses clients : « Pourquoi ne pouvons-nous pas nous mettre dans le crâne » que l’Amérique devrait « booster davantage le pétrole et le gaz » (ce qui, selon lui, serait bénéfique pour le climat).

En septembre 2022, il a insisté devant le Congrès sur la nécessité pour les États-Unis d’investir davantage dans les combustibles fossiles et a déclaré que si ses banques cessaient de financer de nouveaux produits à base de combustibles fossiles, ce serait « la descente aux enfers pour l’Amérique ».

En janvier 2023, il a déclaré à Fox News que « nous avons besoin de pipelines » et de « permis d’exploitation ».

La coalition Stop The Money Pipeline (Coupez les fonds pour les pipelines) est allée jusqu’à affirmerqu’à « divers moments au cours des dernières années », Dimon « s’est essentiellement transformé en lobbyiste des énergies fossiles » : par exemple, lorsque JPMorgan a secrètement envoyé un courriel à l’administration Trump pour renflouer l’industrie pétrolière et gazière au début de la pandémie.

Le financement de JPMorgan dans le secteur fossile n’est pas seulement défendu par Jamie Dimon, mais aussi par son patron : le conseil d’administration de JPMorgan, l’entité qui gouverne l’entreprise et qui a le pouvoir d’embaucher et de licencier les principaux dirigeants.

En bref, le conseil d’administration de JPMorgan est un véritable gratin de grands noms de l’entreprise, représentant des secteurs clés allant de l’assurance aux télécommunications, du commerce de détail aux soins de santé, de la défense à l’industrie manufacturière.

Ainsi, les administrateurs de l’entreprise - et les affiliations qu’ils détiennent - font tous partie du réseau d’influence plus large qui sous-tend la banque et qui lui permet de jouer un rôle de premier plan dans le soutien au chaos climatique.

Les sociétés représentées au conseil d’administration de JPMorgan, telles que recensées en fonction des affiliations actuelles et passées des membres du conseil d’administration, comprennent : NBCUniversal, GEICO, Amazon, KPMG, United Health, Walmart, Alcoa, Johnson & Johnson, Starbucks, General Electric, IBM et bien d’autres encore.

Des militants pour le climat et Stop the Money Pipeline ont organisé un rassemblement à New York pour exhorter les banques de Wall Street à cesser de financer des projets liés aux combustibles fossiles (Photo : Erik McGregor/LightRocket via Getty Images)

De tels liens montrent que JPMorgan se trouve directement au centre de l’économie américaine et des principales industries qui favorisent l’extraction et l’exploitation. Il est frappant de constater que Berkshire Hathaway, le conglomérat d’investissement appartenant à Warren Buffett, cinquième fortune du monde dont la richesse atteint une valeur nette de 106 milliards de dollars, a deux liens importants avec le conseil d’administration de JPMorgan.

Berkshire Hathaway, rappelons-le, est très attaché aux ressources fossiles et sa branche « énergie et équipements » s’est de tous temps montrée calamiteuse en ce qui concerne les questions climatiques.

Les grands centres de lobbying et les groupes de réflexion comme la Business Roundtable et le Council on Foreign Relations, mais aussi les universités de premier plan comme Northwestern et l’université de Pennsylvanie, sont liés au conseil d’administration de JPMorgan par le biais de réseaux interdépendants.

L’une des directrices de JPMorgan, Mellody Hobson, est une grande célébrité du monde des affaires - une amie d’Oprah et des Obama, mariée au milliardaire George Lucas, créateur de la Guerre des étoiles. Mme Hobson est également présidente du conseil d’administration de Starbucks et a participé à la supervision d’une campagne historique de démantèlement des syndicats.

Maintenir la pression sur les grandes banques

Avec l’opposition persistante des banques à une action climatique plus volontariste et à un réel désengagement du secteur fossile, les perspectives restent sombres pour les défenseurs du climat et de la justice environnementale qui tentent de mettre fin au financement du pétrole, du gaz et du charbon par les banques.

Néanmoins, les banques restent un enjeu crucial et stratégique pour le mouvement climatique, et ce pour un certain nombre de raisons. Tout d’abord, en tant que cible d’une campagne, elles sont plus vulnérables que l’industrie fossile elle-même.

ExxonMobil, par exemple, se consacre essentiellement à la production de pétrole et de gaz, ce qui est son activité principale. Aucune manifestation au siège d’Exxon, par exemple, n’y changera rien.

En revanche, Bank of America est une enseigne grand public qui réalise l’écrasante majorité de ses activités en dehors du secteur des énergies fossiles. Alors qu’Exxon - ou Chevron, ou ConocoPhillips, etc. - ne peut abandonner les combustibles fossiles sans devenir une entreprise totalement différente, Bank of America - ou JPMorgan, ou Wells Fargo, etc. le pourrait tout en continuant de fonctionner plus ou moins normalement.

Parce que les banques ont beaucoup moins à perdre que les entreprises du secteur fossile en abandonnant le pétrole et le gaz, et parce qu’elles font des affaires avec des millions de consommateurs et des milliers d’autres entreprises qui se soucient profondément des questions climatiques, elles pourraient être plus faciles à faire changer.

En outre,il est prouvé que les banques sont confrontées à un risque financier important lié à la catastrophe climatique et aux activités liées aux énergies fossiles ; un point sur lequel les militants et les actionnaires concernés peuvent continuer à attirer l’attention.

Wall Street et les énergies fossiles (Source : Stop the Money Pipeline Coalition)

En outre, la stratégie consistant à s’en prendre aux banques a fait ses preuves. Prenons un exemple : en 2019, grâce à la pression exercée par des campagnes telles que la coalition Families Belong Together (Les Familles sont faites pour être ensemble), les organisateurs ont réussi à obliger les banques à mettre un terme à la quasi-totalité de leurs prêts à terme et lignes de crédit accordés à l’industrie pénitentiaire privée.

Et même si cela n’a pas arrêté le Dakota Access Pipeline, la mise en lumière des banques qui finançaient le projet a élargi le domaine de contestation des organisateurs et sensibilisé des milliers de personnes sur le rôle de Wall Street dans le domaine de la construction des infrastructures du secteur fossile.

À l’heure actuelle, de nombreuses organisations et campagnes font tout pour contraindre les banques à rompre leurs liens avec le secteur des énergies fossiles. Par exemple, la coalition Stop the Money Pipeline (Coupez les fonds pour les Pipelines), composée de plus de 200 organisations, mène des campagnes continues ciblant les banques et leurs liens avec l’industrie fossile, et ses membres sont en permanence engagés dans des actions de protestation, d’activisme actionnarial, et dans de nouvelles campagnes et autres actions visant à creuser le fossé entre les banques et l’industrie des combustibles fossiles.

Il s’agit certes d’une tâche ardue, mais les militants doivent continuer de se battre pour faire pression sur les banques - qui, après tout, restent des cibles stratégiques dans la lutte pour le climat avec leurs propres vulnérabilités et failles autour desquelles les campagnes peuvent s’organiser - afin qu’elles cessent de jouer un rôle dans la destruction du climat.

DEREK SEIDMAN. Cet article a été reproduit par Truthout avec autorisation ou licence. Il ne peut être reproduit sous quelque forme que ce soit sans l’autorisation ou la licence de la source.

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