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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2024-058

De la crise climatique à la polycrise 1ère partie

Par Richard Heinberg, traduction par Jocelyne Le Boulicaut

mardi 4 juin 2024, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

De la crise climatique à la polycrise 1ère partie

Le 13 mai 2024 par Richard Heinberg, publié à l’origine par World Literature Today

Richard est Senior Fellow du Post Carbon Institute. On le considère comme l’un des plus fervents défenseurs de l’abandon de notre dépendance actuelle aux combustibles fossiles. Il est l’auteur de quatorze livres, dont certains sont des ouvrages de référence sur la crise actuelle de la société en matière d’énergie et de durabilité environnementale. Il est l’auteur de centaines d’essais et d’articles parus dans des revues telles que Nature et le Wall Street Journal ; il a donné des centaines de conférences sur les questions énergétiques et climatiques devant des publics répartis sur les six continents ; il a été cité et interviewé un nombre incalculable de fois dans la presse écrite, à la télévision et à la radio. Sa lettre mensuelle MuseLetter est publiée depuis 1992. Biographie complète sur www.postcarbon.org

Pollution (@Ella Ivanescu / Unsplash)

Changement climatique, épuisement des ressources, armes extrêmes, IA, etc : Richard Heinberg se penche sur les différentes menaces qui composent la convergence sans précédent des risques qui nous conduisent à une polycrise mondiale.

Sans trouver de réponses faciles, il en vient à la conclusion que la survie collective de l’humanité exigera que nous mettions de côté notre orgueil et que nous nous accommodions des limites environnementales et sociales.

Le philosophe chinois Sun Tzu a écrit qu’en matière de guerre, il est essentiel de connaître tant son ennemi que soi-même. Aujourd’hui, l’humanité a des « ennemis », dont le changement climatique et les armes nucléaires, qui sont à même de détruire la civilisation et des pans entiers des écosystèmes planétaires. Jusqu’à présent, nous ne parvenons pas à vaincre ces ennemis, que nous avons nous-mêmes créés.

En effet, de nouveaux risques existentiels encore plus importants surgissent, notamment la disparition de la nature sauvage et la prolifération de produits chimiques toxiques qui nuisent à la santé génésique des êtres humains et d’autres créatures. Il y a tant de menaces nouvelles et graves qui apparaissent, et à une telle allure, qu’un mot s’est imposé pour décrire cette convergence de risques inédite : la polycrise .

Dessin d’Alanah Sarginson (New York Times)

Notre incapacité collective à renverser la vague croissante de risques témoigne de notre manque de discernement : nous ne connaissons pas nos ennemis ; en outre, nous ne nous connaissons manifestement pas nous-mêmes, car si c’était le cas, nous ne continuerions pas à générer de tels problèmes.

Les hommes ont toujours été confrontés à des défis. Mais ce qui se passe aujourd’hui a des conséquences d’une autre ampleur. Si nous ne changeons pas la trajectoire et le rythme des événements, les systèmes mondiaux dont dépend l’existence de l’humanité finiront par s’effondrer, et la civilisation avec eux.

Il est crucial que nous prenions du recul par rapport à ce que nous faisons et que nous fassions preuve de lucidité vis-à-vis de la polycrise. Pour cela il nous faut répondre à trois questions : À quel éventail de risques faisons nous face ? Pourquoi ne parvenons-nous pas à gérer ou à réduire ces risques ? Et enfin, puisque ces risques sont générés par l’homme, pourquoi créons-nous autant de menaces pour notre propre avenir

L’éventail des risques de la polycrise

Voici les ennemis existentiels auxquels nous sommes confrontés :

Changement climatique. Les gaz à effet de serre, produits par les activités humaines, principalement la combustion de combustibles fossiles, font grimper les températures et déstabilisent les régimes climatiques.
Le réchauffement rapide du climat aura des conséquences désastreuses sur la production alimentaire mondiale , rendra de nombreux endroits inhabitables et fera monter le niveau des océans , ce qui risque fort de submerger les villes côtières où vivent aujourd’hui des centaines de millions de gens.
Après des décennies de conférences internationales et des engagements à réduire les émissions de gaz à effet de serre, les quantités de CO2 qui se répandent dans l’atmosphère au niveau mondial augmentent toujours au lieu de diminuer.
La solution essentielle préconisée est une conversion énergétique mondiale pour passer des combustibles fossiles à des sources renouvelables telles que le vent et le soleil ; cependant, le rythme actuel de cette transition est trop lent pour empêcher des effets catastrophiques sur le climat, tandis que le déploiement à grande échelle de ces sources pour fournir la totalité de l’énergie nécessaire aux niveaux d’utilisation actuels nécessiterait une augmentation massive de l’extraction d’un large spectre de minerais .

Les niveaux extrêmes de stress thermique ont plus que doublé au cours des 40 dernières années, ce qui a des conséquences importantes pour la santé humaine (Dustin Phillips (Flickr) CC BY-NC-ND 2.0.)

Disparition de la nature sauvage. Bien qu’il soit techniquement difficile de connaître avec précision l’état des populations de chacune des millions d’espèces distinctes, il est clair que la biomasse totale des animaux sauvages diminue et que les niveaux d’extinction augmentent .
On estime que la biomasse des insectes diminue de 1 à 2% chaque année et que par ailleurs, en ce qui concerne la biomasse des vertébrés terrestres sauvages, elle ne constitue plus qu’un infime pourcentage en comparaison de celle des humains et des animaux domestiqués.
Les perturbations de l’habitat sont l’une des causes principales de ces évolutions : à mesure que les zones urbaines s’étendent, que les forêts sont abattues et que l’agriculture industrielle se développe, la faune et la flore sauvages sont contraintes à la marginalité. Or, sans la nature sauvage, l’humanité ne peut subsister .

Produits chimiques toxiques. Une autre cause de la disparition de la nature sauvage tient à la dispersion sur de grandes distances de produits chimiques toxiques issus des processus industriels. Des recherches récentes montrent que des classes entières de produits chimiques perturbent la reproduction chez l’homme et d’autres espèces animales .
Une méta-étude récente estime que, parmi les hommes de tous les continents, le nombre moyen de spermatozoïdes a diminué de plus de la moitié entre 1973 et 2018, et que l’exposition aux produits chimiques en était la cause la plus probable.
L’étude a également révélé que le rythme de diminution, qui est actuellement d’environ 2% par an, est en augmentation. Si cette tendance devait se confirmer, elle entraînerait une stérilité masculine quasi universelle d’ici 2060 environ. La santé génésique des femmes est également affectée .

Mauvais état des océans de la planète. Les océans constituent la base de l’écosystème mondial. Cependant, l’augmentation des niveaux de CO2 dans l’atmosphère entraîne une acidification des océans , une hausse des températures océaniques et une baisse des niveaux d’oxygène dans l’eau des océans.
Les récifs coralliens de la planète sont en difficulté. Le courant de l’Atlantique Nord , qui confère à l’Europe un climat modéré, est en train de s’arrêter en raison du changement climatique.
Les « zones mortes » dues au ruissellement des engrais s’étendent. Enfin, la surpêche entraîne le déclin de nombreuses espèces halieutiques importantes. De façon générale, les océans et la vie qu’ils abritent sont perturbés à un degré jamais atteint auparavant, à des époques géologiques antérieures.

Déséquilibre important : La biomasse des humains, du bétail, des animaux de compagnie et des mammifères sauvages (Crédit : Itai Raveh)

Épuisement des ressources. Les ressources renouvelables telles que l’eau douce , les sols, les poissons et les forêts sont dans de nombreux cas récoltées ou dégradées beaucoup plus rapidement qu’elles ne peuvent se régénérer.
Les ressources non renouvelables, telles que les combustibles fossiles et les minerais y compris les minerais nécessaires à la transition vers les énergies renouvelables s’épuisent et sont utilisées d’une manière qui rendra leur recyclage difficile , voire impossible.
Pour certains minerais, l’exploitation pourrait durer des siècles si elle se poursuit au rythme actuel, mais pour beaucoup d’entre eux (notamment le sable utilisé dans la fabrication du béton et des semi-conducteurs), l’approvisionnement devient déjà problématique.
Dans le même temps, l’épuisement en cours des combustibles fossiles pourrait entraîner des pénuries d’énergie invalidantes, à moins que des sources d’énergie alternatives ne soient développées à un rythme sans précédent.

Abeilles mellifères à l’extérieur d’une ruche. Selon une nouvelle étude, l’agriculture américaine est devenue presque 50 fois plus toxique pour les abeilles et d’autres insectes au cours des 25 dernières années (Photo DieterTelemans/panos Pictures/Redux DieterTelemans/panos Pictures/Redux)

Tous ces éléments que nous venons de citer peuvent être considérés comme des risques « environnementaux ». Mais nous assistons également à une hausse des problèmes sociaux associés à des risques existentiels. En voici trois :

Armes extrêmes. Les armes nucléaires n’ont été utilisées que deux fois en temps de guerre, car il est largement admis qu’une guerre nucléaire générale anéantirait la majeure partie de l’humanité. Mais si le monde devait entrer dans un conflit à cause des ressources qui s’amenuisent, il est possible que la menace d’une « destruction mutuelle assurée » ne soit plus un frein à leur utilisation.
En outre, nous avons plus récemment ajouté de nouveaux types d’armes entraînant une mortalité massive : les armes biologiques, les armes chimiques, les armes robotisées et les armes à impulsions électromagnétiques ciblant les infrastructures essentielles.

Intelligence artificielle (IA). La plupart des analystes s’accordent à dire que l’IA risque fort d’entraîner un chômage généralisé , les machines intelligentes remplaçant les travailleurs.
En outre, elle entraînera probablement une explosion de la désinformation, car les « deepfakes », que ce soit vidéos, textes et images rendent de plus en plus compliquée la détection des informations authentiques.
Mais avec le développement de l’intelligence artificielle en général, qui pourrait intervenir dans quelques années, l’IA pourrait commencer à modifier le fonctionnement de la société dans des proportions que les humains ne pourraient pas contrôler.
Et de fait, de nombreux concepteurs de l’IA affirment que celle-ci constitue un risque existentiel pour l’humanité et la biosphère.

Inégalités. Si l’inégalité n’est pas en soi une menace existentielle pour la civilisation ou la nature, il a été démontré, dans des recherches historiques récentes, qu’elle génère une instabilité sociopolitique. Les inégalités économiques ont augmenté à l’échelle mondiale au cours des dernières décennies, en particulier dans les économies à croissance rapide.

Ainsi, alors que justement, nous aurions besoin de cohésion sociétale pour relever les défis environnementaux de la polycrise, nous nous retrouvons au contraire confrontés à une polarisation politique croissante et à une baisse de la confiance des populations dans les institutions.

(A suivre)

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