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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2019-122

Il y a un temps pour se rebeller

par Chris Hedges, traduit par Jocelyne le Boulicaut

dimanche 10 novembre 2019, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT enseignante universitaire d’anglais retraitée pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Il y a un temps pour se rebeller

( analogie avec l’Ecclesiaste 3:2 NdT)

Le 7 Octobre 2019 par Chris Hedges

Horloge par M. Fish

Le lundi 7 octobre marque le début de ce que le groupe britannique Extinction Rebellion appelle la Rébellion Internationale. Des milliers de personnes occuperont les centres d’une soixantaine de villes à travers le monde, dont Madrid, Amsterdam, Paris et New York.

Il s’agit d’occupations non violentes de ponts et de routes qui dureront au moins une semaine. Il s’agit de paralyser le commerce pour forcer les élites dirigeantes à répondre à l’urgence climatique. Pour ma part, je me joindrai au mouvement lundi matin, à Battery Park à New York.

Les manifestations, qui, selon les organisateurs, amèneront probablement des centaines d’arrestations, se dérouleront selon diverses tactiques, y compris le recours à la superglue afin que des militants puisse se coller aux trains, aux métros et aux bâtiments, de même ils établiront des campements temporaires pour perturber la circulation.

L’événement new-yorkais débutera lundi à 9h30 par une "marche funèbre" qui partira de Battery Park. Ce même jour à 14 h, les organisateurs implanteront une base au Washington Square Park et l’utiliseront comme espace scénique. Les militants se rassembleront dans le parc puis se disperseront en groupes dans toute la ville afin de mener des actions de protestation.

Cette semaine à New York, des perturbations auront lieu à plusieurs endroits, notamment dans le quartier des finances et à la Bourse de New York, à l’Université Columbia et dans d’importantes institutions culturelles. À Chicago, il y aura une tentative d’occupation de l’hôtel de ville et de la Daley Plaza. Les militants londoniens, qui, pendant 10 jours en avril, ont bloqué une grande partie de la ville, amenant un total de 1 000 arrestations, prévoient tenir trois semaines.

" Nous rebeller afin de protéger nos foyers, notre avenir et l’avenir de toute vie sur Terre est notre devoir sacré ", écrit Extinction Rebellion. Il ne s’agit pas ici d’une expression hyperbolique. Tous les grands rapports sur le climat l’affirment, il nous reste très peu de temps, en fait, il est peut-être déjà trop tard.

Le temps de se rebeller

"Les gens doivent rejoindre la capitale ", a déclaré Roger Hallam, cofondateur d’Extinction Rebellion et chercheur au King’s College London, lorsque nous avons échangé plus tôt dans l’année. "C’est là qu’est l’élite, la Classe Affaires. C’est là que se trouvent les piliers de l’État. C’est le premier élément.

Il faut donc que beaucoup de gens s’impliquent. Ils doivent enfreindre la loi. Se contenter de manifester ne sert tout simplement à rien. Il faut littéralement bloquer les rues. Il faut être non-violent. C’est absolument crucial. Si vous employez la violence, la police et l’État auront un prétexte tout trouvé pour vous écarter. Il faut qu’on en fasse une question culturelle. Il faut qu’on en fasse quelque chose du style Woodstock. Et alors des milliers d’autres personnes prendront la rue.

"Il y a une différence fondamentale entre enfreindre la loi et ne pas l’enfreindre. C’est une différence binaire. Lorsque vous enfreignez la loi, vous êtes beaucoup plus efficace en termes d’influence concrète et psychologique ainsi que d’intérêt médiatique. Plus la désobéissance civile est spectaculaire, mieux c’est.

C’est une histoire de chiffres. Vous voulez des gens qui bloquent les rues, alors il en faut 10 000, 20 000, 30 000. Pas besoin d’en avoir 3 millions. Il en faut assez pour que l’État décide soit de recourir à la répression à grande échelle, soit de vous inviter dans le jeu. La gageure, bien sûr, surtout au Royaume-Uni, c’est que l’État est faible. Il a été vidé de son contenu par le néolibéralisme. Ils vont se sentir dépassés.On fera partie du jeu."

Le groupe met l’accent sur ce qu’il appelle une stratégie d’organisation " antérieure à l’ère des réseaux sociaux ". Il a créé des structures décentralisées pour prendre des décisions et formuler les revendications. Des équipes sont envoyées pour donner des conférences dans les collectivités. Les personnes qui participent aux actions d’Extinction Rebellion sont absolument contraintes par le groupe à suivre un entraînement à l’ "action directe non-violente" pour ne pas céder aux provocations de la police ou de groupes hostiles.

"La plupart des récentes mobilisations de masse ont été alimentées par les réseaux sociaux", précise Hallam. "Par conséquent, elles ont été chaotiques. Ce sont des mobilisations extrêmement rapides. Les médias sociaux, c’est un peu comme l’héroïne. Il y a un flash immédiat, mais ensuite il y a une descente, comme on l’a observé. Cela devient chaotique ou violent.

Beaucoup de ces mouvements sociaux modernes mettent des trucs sur les réseaux sociaux. Le système est saturé par les trolls. Nombre d’organisations de la gauche radicale débattent des éventuels avantages.On a contourné le problème en nous adressant directement aux ’gens ordinaires’, pourrait-on dire.

On a tenu des réunions dans les mairies des villes et des villages. On parcourt le pays comme ça se faisait au XIXe siècle, pour dire : ’Salut les gars. On s’est tous fait baiser. Des gens vont mourir si l’on ne trouve pas une solution à tout ça’. La deuxième partie du discours est : Il y a moyen d’agir avec ce qu’ils appellent la désobéissance civile de masse".

Extinction Rebellion

"La discipline non-violente, comme le montre la recherche, est le meilleur moyen pour atteindre les objectifs. Ce n’est pas un constat moral. La violence détruit les mouvements. Les pays du Sud en font l’expérience depuis plusieurs décennies. La violence finit par faire tuer des gens. Elle ne mène nulle part. Autant prendre le risque et continuer avec une approche non-violente. La gauche radicale est divisée quant à l’attitude à avoir en face de la police. Ce débat ne sert qu’à justifier la violence.

Dès que vous ne communiquez pas avec la police, il y a de plus grandes chances que vous vous exposiez à la violence policière. On essaie de convaincre la police pour qu’elle arrête les gens de façon civilisée. La police métropolitaine [de Londres] est probablement l’une des forces de police les plus civilisées au monde. Ils ont une équipe de professionnels qui vont aux manifestations sociales. On communique très régulièrement avec eux.

On dit à la police : ’Voilà, on va bloquer les rues. On ne va pas s’empêcher de le faire sous prétexte que vous nous l’avez demandé’. C’est la première chose à préciser. Ça ne se discute pas. Ils savent que c’est sérieux. Ils n’essaient pas de nous en dissuader. Ce serait stupide. Ce qui les inquiète, c’est la violence et le trouble à l’ordre public. Il est dans notre intérêt, en tant qu’instigateurs de désobéissance civile,d’éviter de tels troubles, parce que ça amène le chaos."

En ce qui concerne les blocages, il ajoute : "On prend l’économie d’une ville en otage. C’est la même dynamique qu’une grève des travailleurs. On veut faire partie du jeu et avoir une place à la table des négociations. Extinction Rebellion n’a pas encore décidé vraiment de la teneur de la négociation.

On a trois exigences : les autorités doivent dire la vérité, les émissions carbone doivent tendre vers zéro d’ici 2025 - ce qui veut dire une réelle transformation de l’économie et de la société, pour ça on doit avoir une assemblée nationale qui précisera très clairement les attentes du peuple britannique.

La troisième revendication [convocation d’une assemblée nationale] vise directement à transformer la structure politique de l’économie. Il s’agit d’une forme de gouvernance démocratique, qui soit concrète et différente, basée sur le tirage au sort plutôt que sur la représentation.

Cela a eu une grande influence en Irlande et en Islande. La mutation optimale s’opérera depuis un modèle "représentatif" dévoyé vers un modèle reposant sur le tirage au sort, tout comme le droit nobiliaire a été remplacé par le droit parlementaire représentatif à la fin du XVIIe et au début du XIXe siècle.

Continuer sans rien changer, c’est la mort

"Les gens intelligents de la gauche politique se sont rendus compte qu’on est dans une situation d’urgence existentielle qui pourrait détruire la société humaine dans les dix prochaines années. C’est écrit dans les cartes. Nombre d’entre nous avons déjà fait notre deuil."

"Mais ces gens qui viennent [seulement de se réveiller], d’avoir l’illumination. Ils sont en état de choc. Ils gardent un vernis de "Ça va quand même aller". C’est là le but du Green Deal [une initiative politique du gouvernement du Royaume-Uni]. C’est une tentative pour faire comme si l’industrialisation pouvait continuer à l’identique. On pourrait encore être dans l’affluence. On pourrait tous encore avoir des emplois de qualité. C’est comme le New Deal de Roosevelt.

Mais le New Deal était fondé sur l’idée qu’on pouvait continuer à piller la nature et que ça n’entraînerait rien. C’était peut-être vrai dans les années 1930, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. C’est une question de physique et de biologie. Nous ne pouvons tout simplement pas maintenir ces niveaux de consommation. Et c’est de ça qu’ils n’ont pas tenu compte. "

"L’une des principales raisons pour lesquelles le débat sur le climat n’a pas été pris au sérieux au cours des 30 dernières années est que les personnes chargées d’informer le public sont terrorisées à l’idée de dire aux gens qu’ils ne peuvent plus avoir un mode de vie de consommation élevée. C’est un tabou. Mais comme pour toute dépendance, il y a un moment de vérité. On y est maintenant."

"Pendant 30 ans, on a connu une métaphysique politique, une réforme", ajoute-t-il. "Soit on réforme, soit on est hors jeu. Mais aujourd’hui, on rencontre deux failles structurelles d’ampleur qui se creusent de façon exponentielle : la question des inégalités et la question du climat. Beaucoup de gens - à cause de la dynamique de dépendance au sentier emprunté [en sciences sociales, le fait que les décisions passées peuvent influencer les décisions futures, NdT] - ont travaillé pendant 30 ans dans cette espèce de logique de cause perdue. Ils ont désespérément besoin de changement."

"Pendant 30 ans, ils ont misé leur argent sur la réforme. Le drame -et on peut l’observer dans l’histoire des luttes politiques des dernières centaines d’années - est qu’il y a un retournement de situation, un moment où les réformistes perdent le contrôle. Ils continuent de vivre selon les schémas d’un monde du passé. Les révolutionnaires, dont tout le monde s’accorde à dire qu’ils sont d’une naïveté ridicule, passent soudain au premier plan."

"C’est généralement un réel séisme. Ce n’est pas quelque chose de progressif. C’est une double tragédie parce que d’une part c’est un tremblement de terre et d’autre part les révolutionnaires ne sont généralement pas organisés. Je pense que c’est ce qu’il se passe actuellement. Il y a de très grandes implications pour [la résistance contre] le fascisme. A moins d’avoir une mobilisation de masse lucide à gauche, qui soit liée à la classe ouvrière, on ne pourra pas arrêter le fascisme."

Ces manifestations sont un antidote bienvenu aux marches climatiques chorégraphiées et inefficaces du passé, qui voyaient les manifestants rester consciencieusement dans les zones désignées par la police et se disperser après quelques heures. Il ne s’agit pas seulement de protester mais de mettre des bâtons dans les rouages. Le groupe a 10 principes de fonctionnement centrés sur la résistance non-violente. Ces principes sont :

Nous partageons une vision du changement en créant un monde adapté aux générations à venir.

Nous ajustons notre mission à ce qui est nécessaire, mobiliser 3,5 % de la population, seuil à atteindre pour déclencher un changement de système - en utilisant des idées telles que "momentum-driven organising" [« Momentum-driven organizing » est un concept développé dans le livre This is an uprising , co-écrit par Mark & Paul Engler. C’est un modèle d’organisation hybride qui combine la puissance explosive et à court terme des mobilisations de masse qu’il cherche à produire (type Occupy ou Nuit debout), avec la capacité à prendre des décisions collectives et à soutenir la lutte dans le temps qu’ont les structures classiques (types ONG). Ce type de mouvement est la clé de la stratégie globale d’Extinction Rebellion NdT]

Nous avons besoin d’une culture régénératrice, en créant une culture saine, résiliente et adaptable.

Nous nous remettons nous-mêmes en question, autant que ce système toxique, en sortant de nos zones de confort pour devenir des acteurs du changement.
Nous valorisons la réflexion et l’apprentissage ; en suivant des cycles d’action, de réflexion, d’apprentissage, puis de planification pour de nouvelles actions. En apprenant des autres mouvements et contextes aussi bien que de nos propres expériences.

Nous accueillons chaque personne et chacune de ses facettes en travaillant activement pour créer des espaces sécurisants et inclusifs.

Nous limitons délibérément les rapports de pouvoir en démantelant les hiérarchies de pouvoir pour une participation plus équitable.

Nous ne tenons pas de discours moralisateurs ni culpabilisants ; nous vivons dans un système toxique, mais nul ne doit être accusé en tant qu’individu.

Nous sommes un réseau non-violent ; en utilisant une stratégie et des tactiques non-violentes comme moyen le plus efficace de provoquer le changement.

Notre mouvement est fondé sur des principes d’autonomie et de décentralisation ; nous créons collectivement les structures nécessaires pour défier le pouvoir.

Toute personne qui suit ces principes et valeurs essentiels peut agir au nom d’Extinction Rebellion.

Vous pouvez visionnerici, ici et ici les interviews que j’ai faites avec Hallam, qui a été emprisonné il y a deux semaines par la police britannique dans un effort préventif pour contenir la rébellion.

Plus longtemps nous vivrons dans le déni, plus la situation se détériorera. Il n’y a pas d’issue. Les inondations, les sécheresses, les ouragans monstres, les cyclones, les vagues de chaleur extrêmes, les mauvaises récoltes, les migrations de masse et l’effondrement de la société sont désormais inévitables. C’est notre avenir. Les méthodes démocratiques pour un changement - vote, lobbying, pétitions, pédagogie et manifestations - se sont révélées être des échecs retentissants.

L’ensemble des forces économiques qui ont pris le contrôle de nos systèmes politiques et économiques nous pousseront, si rien n’est fait, vers l’extinction en faveur du profit. Il ne nous reste que la désobéissance civile non-violente et disruptive. Une rébellion.

Et si nous échouons, nous aurons au moins vaincu notre désespoir, trouvé le réconfort dans une communauté de résistance et retrouvé notre santé émotionnelle et notre dignité en combattant ceux qui ont orchestré l’écocide.

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