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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2020-50

Soulèvements : Au milieu des manifestations américaines, l’ONU tweete des platitudes

Par Dulcie Leimbach, traduit par Jocelyne le Boulicaut

vendredi 24 juillet 2020, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT enseignante universitaire d’anglais retraitée pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Soulèvements : Au milieu des manifestations américaines, l’ONU tweete des platitudes

Le 4 juin 2020 Par Dulcie Leimbach pour PassBlue

Dulcie Leimbach est la fondatrice de PassBlue. Pour PassBlue et d’autres publications, elle a fait des reportages depuis New York et l’étranger, tant en Afrique de l’Ouest (Burkina Faso, Mali et Sénégal) qu’en Europe (Écosse, Sicile, Vienne, Budapest, Kiev, Arménie et La Haye). Elle a assuré des commentaires sur les Nations Unies pour BBC World Radio et Background Briefing avec Ian Masters/KPFK Radio à Los Angeles. Auparavant, elle a été rédactrice pour la Coalition pour la Convention des Nations unies Contre la Corruption ; de 2008 à 2011, elle a été directrice des publications de l’Association des États-Unis pour les Nations Unies. Elle a également travaillé comme consultante en rédaction pour diverses agences des Nations Unies. Avant l’United Nation Association, Mme Leimbach a été rédactrice au New York Times pendant plus de 20 ans.

Cet article a d’abord été publié sur PassBlue.

Les manifestants envahissent la partie routière du pont de Brooklyn, se dirigeant du quartier de l’hôtel de ville de lower Manhattan vers Brooklyn, le 30 mai 2020. (John Penney)

Dulcie Leimbach fait état de la réponse feutrée de la plupart des dirigeants de l’ONU face au meurtre de George Floyd, à la discrimination raciale aux États-Unis, aux manifestations ou à la réponse autoritaire de Trump.

Au beau milieu des couvre-feux à New York, des marches et des manifestations permanentes, des sirènes dans les rues et des hélicoptères qui vrombissent dans les airs, le secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, n’est pas intervenu devant les médias pour s’exprimer directement et faire part de sa réaction concernant les manifestations qui éclatent dans les cinq districts et bien au-delà.

Il s’est plutôt appuyé sur ses porte-paroles pour apporter des réponses.
Alors qu’à New York, les manifestants affluent dans les rues, les autoroutes, les places et les ponts pour exprimer leur solidarité et leur indignation face à la mort de George Floyd, un Afro-Américain tué par un policier blanc à Minneapolis le 25 mai, les Nations Unies, le phare mondial de "nous, les peuples", utilisent également les médias sociaux pour parler du récent mouvement en faveur des droits civiques qui se répand dans le pays qui abrite le siège des Nations Unies.

Le siège de l’ONU, situé sur la rive de l’East River dans le centre de Manhattan, est matériellement fermé depuis la mi-mars. Mais l’ONU elle-même a été active, se prononçant sur les graves dégâts que la Covid-19 inflige partout.

Son mantra a été un appel à l’unité, empreint de pragmatisme : comment surmonter la ruine financière et sanitaire le plus rapidement possible. Pendant le confinement, la ville de New York est également devenue un lieu remarquablement calme où les colombes endeuillées règnent sur l’aube.

Mais cette aberration a changé du jour au lendemain, lorsque des dizaines de milliers de manifestants se sont rassemblés à New York et dans tout le pays pour exprimer leur colère indignée non seulement à propos du meurtre de Floyd, mais aussi de la discrimination rampante à l’encontre des Afro-Américains dans le pays, scandant des slogans comme "la vie des Noirs compte" et "je ne peux pas respirer", les derniers mots de Floyd.

L’absence de mention directe du meurtre de Floyd et de la tournure des événements ici, dans la ville, la semaine dernière et ailleurs s’étend au Conseil de sécurité de l’ONU, à l’Assemblée générale, à la mission américaine auprès de l’ONU et à d’autres délégations nationales.

Seule la haute commissaire des Nations Unies aux droits humains, Michelle Bachelet, une Chilienne en poste à Genève, en Suisse, a abordé directement la question du meurtre de Floyd.

Michelle Bachelet en 2016 lors de son second mandat à la présidence du Chili. (Suzanne Plunkett, Chatham House, Flickr)

Sur son compte Twitter bilingue, qui est suivi par près de 734 000 personnes, elle était en première ligne, le 29 mai : "De nombreuses minorités religieuses et ethniques sont gravement touchées par la #COVID19. Nous avons besoin de leadership et de principes pour #FightRacism et #HateSpeech". Son tweet du 2 juin était plus exigeant : "Nous avons tous une responsabilité pour #combattreleracisme. #COVID19 ou pas, j’appelle tout le monde à prendre position, à faire entendre sa voix et à mettre fin au racisme partout où il est présent".

Le 29 mai, elle a été citée dans un article de VOA, [Voice of America, NdT] faisant référence à Floyd, disant que c’était le dernier "d’une longue série de meurtres d’Afro-Américains non armés commis par des policiers américains et des particuliers."

"Je suis consternée de devoir ajouter le nom de George Floyd à celui de Breonna Taylor, Eric Garner, Michael Brown et de nombreux autres Afro-Américains non armés qui sont morts au fil des années aux mains de la police - ainsi que des personnes comme Ahmaud Arbery et Trayvon Martin qui ont été tuées par des citoyens armés", a-t-elle déclaré.

De retour à New York, le président de l’Assemblée générale, le Nigérian Tijjani Muhammad-Bande, n’a pas dit un mot au sujet des manifestations américaines sur son compte Twitter, où il compte près de 133 000 partisans.

Le 2 juin, il a écrit : "#droitshumains sont le fondement de la paix et de la prospérité. Il n’y a rien de plus urgent que de veiller à ce que tous les êtres humains puissent vivre dans la dignité, la justice et la paix. C’est pour cela que le travail de l’@UN est crucial".

La police de New York à l’entrée du pont de Brooklyn, près des manifestants, le 30 mai 2020. (Dulcie Leimbach)

La mission américaine à l’ONU n’a rien tweeté au sujet des manifestations ou de la discrimination raciale dans le pays, mais elle compte nombre de retweets du Secrétaire d’Etat Mike Pompeo sur les violations des droits dans le monde, comme celui-ci le 30 mai, "Le Parti communiste chinois écrase ce qui était si spécial à Hong Kong, ce qui en faisait un espace différent du reste de la Chine".

Kelly Craft, l’ambassadrice des États-Unis à l’ONU, ne cesse de retweeter Pompeo. Le 2 juin, elle s’est concentrée sur la Syrie : "Les campagnes de violence aveugle du régime Assad ont conduit à la mort de centaines de milliers de civils. Les membres de ce Conseil ne doivent pas rester silencieux. Les États-Unis ne garderont certainement pas le silence".

Craft travaille depuis sa maison du Kentucky depuis le confinement de New York. Louisville, une grande ville du nord du Kentucky, fait partie des dizaines de zones urbaines où des manifestants ont défilé dans le pays la semaine dernière.

Bien que António Guterres ait été présent à New York depuis la toute première apparition de la Covid-19 début mars, il n’a pas fait de déclaration pas plus qu’il n’est intervenu devant les médias pour transmettre quelque message personnel ou professionnel que ce soit concernant les griefs des manifestants, les tactiques violentes des policiers pendant les manifestations ou les diktats autoritaires du président des États-Unis face aux frustrations des manifestants.

Cela comprend sa marche depuis la Maison Blanche jusqu’à une église de l’autre côté de la rue le 1er juin pour y brandir une bible, ce qui a été largement photographié, alors que des manifestants pacifiques avaient essuyé des tirs de gaz lacrymogènes, été bombardés par les flash-balls de la police afin que puisse se tenir l’étrange comédie de Trump.

Le lendemain, les réponses aux protestations à Washington ont été plus militarisées encore, comme l’a tweeté une personne : "Nous sommes en train de vivre une sorte d’occupation militaire parce que c’est le seul endroit dans le pays où Trump peut faire sortir l’armée sans rencontrer de problèmes juridiques majeurs".

Le Secrétaire Général de l’ONU, António Guterres, dans un bâtiment vide du siège de l’ONU après avoir enregistré un message vidéo sur la pandémie de Covid-19, le 16 avril 2020. (UN Photo/Eskinder Debebe)

En tant que secrétaire général, Guterres a toujours hésité à critiquer les États-Unis et d’autres grandes puissances. Le 29 mai, il a pris la décision de tweeter : "Le racisme continue à être répandu dans nos sociétés. Nous devons élever nos voix contre toutes les expressions de racisme et les cas de comportement raciste. Nous devons de toute urgence démanteler les structures racistes et réformer les institutions racistes".

Le lendemain, il a fait une allusion aux médias étant agressés par la police et les officiels lors des manifestations, en tweetant : "Quand les journalistes sont attaqués, les sociétés sont attaquées. Aucune démocratie ne peut fonctionner sans liberté de la presse, et aucune société ne peut être juste sans journalistes qui enquêtent sur les infractions et disent la vérité au pouvoir".

Ce n’est que le 2 juin, après plusieurs jours - et un week-end - de manifestations continues dans les cinq districts, que António Guterres a dit quelque chose sur la ville dans laquelle il vit, en tweetant : "J’ai le cœur brisé quand je vois la violence dans les rues de notre pays hôte et de la ville qui nous abrite, New York. Les griefs doivent être entendus, mais devraient être exprimés pacifiquement - et les autorités doivent faire preuve de retenue dans leur réponse aux manifestations".

Ce message a été repris par l’ambassadeur chinois aux Nations Unies, Zhang Jun, qui s’était opposé à ce que les États-Unis et le Royaume-Uni appellent à une réunion du Conseil de sécurité des Nations Unies la semaine dernière au sujet de la nouvelle loi de sécurité nationale de la Chine à Hong Kong. Zhang a écrit : "Soutenez la voix forte de l’@ONU dans la lutte contre le racisme et la discrimination".

La mission de la Russie auprès des Nations Unies et l’ambassadeur adjoint, Dmitry Polyanskiy, ont saisi l’occasion pour répondre au message de Josep Borrel pour l’Union européenne, il est le plus haut responsable des affaires étrangères pour le continent.

Borrell, lui aussi en retard dans la discussion sur Twitter, a écrit le 2 juin : "Comme les gens aux États-Unis, nous avons été choqués et consternés par la mort de George Floyd. Nous condamnons la violence et le racisme sous toutes leurs formes et soulignons la nécessité d’une désescalade des tensions".

Polyanskiy a envoyé un message à Borrell : "Nous attendons de l’UE qu’elle condamne désormais la violence et souligne la nécessité d’une désescalade des tensions chaque fois que des manifestations ont lieu, où que ce soit, en commençant par #HongKong#protests2020#Minneapolis".

// TWEET : Tout à fait d’accord ! ?￰゚マᄏ Nous attendons de l’UE qu’elle condamne désormais la violence et souligne la nécessité d’une désescalade des tensions chaque fois que des manifestations ont lieu, où que ce soit, en commençant par #HongKong #protests2020 #Minneapolis https://twitter.com/josepborrellf/status/1267891483492958209 ...

Comme les gens aux États-Unis, nous avons été choqués et consternés par la mort de George Floyd. Nous condamnons la violence et le racisme sous toutes leurs formes et soulignons la nécessité d’une désescalade des tensions.

Lors d’un point presse à l’ONU le 29 mai, conduit par Farhan Haq, porte-parole adjoint de António Guterres, il lui a été demandé si António Guterres approuvait la "condamnation" exprimée par Bachelet sur le meurtre de Floyd.

Haq a répondu : "Eh bien, comme vous le savez, elle parle en qualité de Haut Commissaire aux droits humains, et elle est soutenue dans son travail, et je n’ai donc rien de particulier à ajouter à ce qu’elle a dit sur le cas de M. Floyd".

Stéphane Dujarric, le principal porte-parole de Antoine Guterres, a été interrogé sur les manifestations et la mort de Floyd lors d’un point presse le 1er juin. Il a donné une longue réponse : "Bien sûr. Je pense, vous savez, la situation que nous voyons aujourd’hui, nous l’avons déjà vue dans différentes parties du monde, et le message du Secrétaire Général reste le même."

" L’un d’eux est que les griefs doivent être entendus, mais qu’ils doivent être exprimés de manière pacifique et que les autorités doivent faire preuve de mesure dans leur réponse aux manifestants. Je pense qu’aux États-Unis, comme dans tout autre pays du monde, la diversité est une richesse et non une menace, mais le succès de sociétés diverses, dans n’importe quel pays, exige un investissement massif dans la cohésion sociale."

" Cela signifie qu’il faut réduire les inégalités, s’attaquer aux éventuels domaines où existe de la discrimination, renforcer la protection sociale, offrir des chances à toutes et tous. Et ces efforts, ces investissements, doivent mobiliser les gouvernements nationaux. Ils doivent mobiliser les autorités locales, le secteur privé, la société civile, les organisations confessionnelles. En un mot, la société dans son ensemble doit être mobilisée."

"Je pense que nous avons également vu, ces derniers jours, des cas de violence policière. Et encore une fois, je voudrais juste répéter ce que nous avons dit dans de nombreux autres cas où nous avons vu des violences policières, c’est que tout d’abord, les cas, évidemment, doivent faire l’objet d’une enquête."

" Nous avons toujours dit que les forces de police du monde entier doivent avoir une formation adéquate en matière de droits humains, et qu’il faut également investir dans le soutien social et psychologique des policiers afin qu’ils puissent faire leur travail correctement en termes de protection de la communauté."

Un jour plus tard, un journaliste a posé des questions concernant le secrétaire général : "Vous attendez-vous à ce que ce secrétaire général fasse des commentaires devant les caméras ? Cela serait utile à certains d’entre nous". Dujarric a répondu : "Je comprends. Si quelque chose arrive, je vous promets de vous le faire savoir."

Le compte twitter officiel des Nations Unies, qui compte 12,6 millions d’abonnés, n’a peut-être pas de voix propre, mais il rassemble les messages de personnalités de l’ONU. Un exemple récent montre à quel point l’ONU peut être décalée dans les moments difficiles.

Ce retweet récent de l’Unesco en est un exemple : "Contre la haine : l’éducation. Contre le racisme : l’éducation. Contre la discrimination : l’éducation. Construire la paix et prévenir #l’extrémismeviolent commence sur les bancs des écoles. Rejoignez notre appel à #StandUp4HumanRights et #FightRacism & all forms of intolérance ! Néanmoins, l’ONU s’est généralement manifestée au sujet de la discrimination sous toutes ses formes.

L’histoire de l’esclavage - et sa persistance dans de nombreuses régions du monde - n’a,dans le passé, pas été négligée par des moyens tels que les résolutions de l’Assemblée générale et les commentaires des officiels des Nations Unies sur la violence raciale ou autre aux États-Unis et sur la situation des Afro-Américains. Un mémorial commémorant l’époque douloureuse de l’esclavage et du commerce triangulaire est érigé sur la place devant l’entrée principale du siège à New York.

Inauguration du mémorial aux victimes de l’esclavage et de la traite des esclaves, 25 mars 2015, ONU, New York. (Photo ONU, Eskinder Debebe)

Mais lorsqu’il s’agit de critiquer les États-Unis ou d’autres grandes puissances qui contrôlent l’ONU, António Guterres s’est forgé la réputation de faire de vagues déclarations ou de laisser d’autres experts de l’ONU, depuis les responsables des droits humains, jusqu’aux responsables des réfugiés - ce n’est pas quelque chose de nouveau - commenter les plus récents problème ou conflit violant le droit international ou outrepassant les droits universels.

Lorsque Trump a interdit pour la première fois aux citoyens des pays à majorité musulmane de se rendre aux États-Unis juste après son investiture en 2017, António Guterres a été critiqué pour avoir laissé d’autres dirigeants des Nations Unies exprimer leur désaccord sur le décret de Trump tout en restant lui même dans l’ombre.

À New York, où l’ONU occupe une part importante de la surface des biens immobiliers donnés par les États-Unis, il peut sembler que l’ONU vive dans une bulle. Cela a été le cas pendant la pandémie, et ce n’est peut-être pas entièrement de sa faute.

Dans ses points presse quotidiens sur la crise, le gouverneur Andrew Cuomo n’a pas mentionné l’ONU lorsqu’il a parlé du statut de la Covid-19 dans la ville. L’ONU a travaillé avec les officiels locaux quand aux décisions concernant le télétravail et la réouverture du campus, mais la seule interaction avec le public a été le don par l’ONU de masques de protection pour la ville. Le maire Bill de Blasio était présent pour la photo, mais aucun haut fonctionnaire des Nations Unies ne s’est montré.

En 2016, l’une des histoires les plus populaires de PassBlue concernait un Afro-Américain de Baton Rouge, Louisiana, qui voulait que l’ONU prête davantage attention à ce qu’il appelait "l’hypocrisie" des États-Unis et à leur façon de traiter les Afro-Américains. Silky Slim, comme il se fait appeler, a créé cette année-là un groupe à but non lucratif, "Stop the Killing", après la mort par balle de trois policiers et d’un homme noir, Alton Sterling, qui vendait des CD dans le parking d’un dépanneur de la capitale de la Louisiane.

Ces deux épisodes et d’autres meurtres commis à l’époque concernant des Noirs et des policiers ont poussé les États-Unis à se pencher une fois de plus sur les relations raciales dans le pays. Slim a dit à PassBlue que s’il pouvait venir à l’ONU et parler devant le Conseil de Sécurité, il leur dirait de "faire en sorte que l’Amérique revoit certaines de ses lois, et mette le racisme sur la table".

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