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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2023-006

Accords de Minsk : où en est-on ?

Par Ted Snider, traduction par Jocelyne Le Boulicaut

vendredi 13 janvier 2023, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne.

Accords de Minsk : où en est-on ?

Le 5 décembre 2022 par Ted Snider

Volodymyr Zelenskyy, président de l’Ukraine (Shutterstock/Dmytro Larin) ; le président russe Vladimir Poutine (Harold Escalona/Shutterstock)

Ces dernières semaines, les dirigeants de Kiev et de Moscou ont affirmé que pour eux, les accords de Minsk étaient désormais lettre morte. Poutine et Zelensky sont enfin d’accord. Voilà pourquoi ce n’est pas une très bonne nouvelle. Entre les présidents russe Vladimir Poutine et ukrainien Volodymyr Zelensky, règne une amère animosité.

Un accord sur quoi que ce soit – qui serait un point de départ pour des pourparlers – est difficile à trouver. Mais pour la première fois depuis plusieurs mois cependant, les deux dirigeants se sont mis d’accord sur quelque chose. Malheureusement, cela les éloigne encore plus des négociations que ce n’est le cas aujourd’hui.

Ils semblent tous deux convaincus que l’accord de Minsk II conclu en 2015 et dont beaucoup pensaient qu’il permettrait d’avancer vers la paix dans la région, est bel et bien caduc. À un moment donné, cette horrible guerre prendra fin. Et elle devra se terminer par des négociations.

Ces dernières devront, à un moment ou à un autre, régler la question des terres situées à l’est, en proie à une lutte acharnée qui dure depuis des décennies. Zelensky a déclaré qu’une condition préalable (https://www.politico.com/news/2022/11/08/zelenskyy-talks-with-russia-possible-on-ukraines-terms-00065624) aux pourparlers était « la restauration de l’intégrité territoriale [de l’Ukraine] », autrement dit le Donbass, Kherson, Zaporijia et même la Crimée.

La Russie a déclaré que les négociations ne pouvaient se tenir que sur la base des réalités géopolitiques existantes et maintient que tout règlement négocié doit respecter l’annexion de ces mêmes régions par la Russie. C’est le principal obstacle à un règlement. Quel obstacle de taille ! Les déclarations récentes des deux dirigeants ont renforcé et accentué cet obstacle, au lieu de le dissiper ou de l’atténuer.

Le 15 novembre, s’adressant au sommet du G20 à Bali par le biais d’une vidéo, Zelensky a rejeté tout retour à l’accord de Minsk (https://www.reuters.com/world/kremlin-says-zelenskiys-no-minsk-3-comment-confirms-kyivs-unwillingness-2022-11-15/). « Nous ne permettrons pas à la Russie de temporiser, de reconstituer ses forces, puis de lancer une nouvelle vague de terreur et de déstabilisation mondiale. Il n’y aura pas de Minsk 3, dont la Russie violera les dispositions immédiatement après l’accord », a-t-il insisté.

Les accords de Minsk de 2014 et 2015 ont fourni la meilleure solution diplomatique à la crise. Négociés par la France et l’Allemagne, acceptés par l’Ukraine et la Russie, et entérinés par les États-Unis et l’ONU, ces accords visaient à rendre pacifiquement le Donbass à l’Ukraine tout en lui accordant une autonomie complète. Minsk II promettait également l’autonomie du Donbass au sein de l’Ukraine. La perspective de la neutralité et la question de l’adhésion à l’OTAN devaient être envisagées plus tard.

De gauche à droite : le président biélorusse Alexander Loukachenko, Vladimir Poutine, Angela Merkel, François Hollande et Petro Porochenko (Ukraine), lors des discussions de paix à Minsk en février 2015 (Photo prise le 11 février 2015/REUTERS/Grigory DukorTous droits réservés)

L’ancien ambassadeur des États-Unis en Union soviétique, Jack Matlock, a récemment déclaré (https://responsiblestatecraft.org/2022/10/17/on-ukraine-the-us-is-on-the-hook-to-find-a-way-out/) que « la guerre aurait pu être évitée – elle l’aurait probablement été – si l’Ukraine avait été disposée à respecter l’accord de Minsk, à reconnaître le Donbass comme une entité autonome au sein de l’Ukraine, à éviter les conseillers militaires de l’OTAN et à s’engager à ne pas entrer dans l’OTAN ».

Mais les propos de Zelensky à Bali, bien que diplomatiquement bien choisis pour son auditoire, ne reflétaient pas fidèlement l’Histoire. Ce n’est pas la Russie qui a utilisé le temps prévu par l’accord pour renforcer ses forces avant de violer l’accord. C’est l’Ukraine.

En 2019, Zelensky a été élu en grande partie parce que son programme visant à faire la paix avec la Russie et à signer l’accord de Minsk II lui a gagné le vote russophone dans le sud et l’est. Mais pour tenir sa promesse, Zelensky devait avoir le soutien des États-Unis, ce qu’il n’a pas obtenu. Abandonné et sous pression, Zelensky a refusé d’appliquer l’accord. Les États-Unis n’ont par la suite pas réussi à le ramener sur le chemin de la diplomatie.

Richard Sakwa, professeur de politique russe et européenne à l’université du Kent, a déclaré à Responsible Statecraft que « pour ce qui est de Minsk, ni les États-Unis ni l’UE n’ont exercé de pression sérieuse sur Kiev pour que l’Ukraine remplisse sa part de l’accord ». Anatol Lieven, directeur du programme Eurasie au Quincy Institute for Responsible Statecraft, partage cet avis. Bien que les États-Unis aient officiellement approuvé l’accord de Minsk, Lieven a déclaré à Responsible Statecraft qu’ils « n’ont rien fait pour pousser l’Ukraine à le mettre réellement en œuvre ».

Zelensky n’est pas le premier président ukrainien à ne pas réussir à mettre en oeuvre Minsk. En fait, il est bien possible que le président ukrainien Piotr Porochenko l’ait négocié sans avoir l’intention de l’appliquer un jour. En mai 2022, Porochenko a déclaré au Financial Times que l’Ukraine « n’avait pas du tout de forces armées » et que la « grande réussite diplomatique » des accords de Minsk était que « nous avons tenu la Russie loin de nos frontières – pas de nos frontières, mais loin d’une guerre totale ». En d’autres termes, l’accord a permis à l’Ukraine de gagner du temps pour se doter d’une armée.

Porochenko a déclaré aux médias ukrainiens et à d’autres organes de presse (https://www.indianpunchline.com/what-to-expect-in-russias-winter-offensive-in-ukraine/) que « nous avions obtenu tout ce que nous voulions. Notre objectif était, tout d’abord, de mettre fin à la menace, ou du moins de retarder la guerre – d’obtenir huit ans pour rétablir la croissance économique et créer des forces armées puissantes ».

Certains ont rétorqué que la Russie est également responsable (https://www.axios.com/2022/02/09/ukraine-minsk-accord) de l’échec de l’accord, car elle s’est dégagée de toute responsabilité en prétendant être un facilitateur de l’accord (https://www.aljazeera.com/news/2022/2/9/what-is-the-minsk-agreement-and-why-is-it-relevant-now) plutôt qu’une des parties prenantes d’un accord qui est fondamentalement entre l’Ukraine et les républiques populaires séparatistes de Louhansk et de Donetsk.

Il convient de noter que la Russie aurait également dû retirer toutes ses forces militaires du Donbass si l’Ukraine avait adopté une loi garantissant l’autonomie de la région. Étant donné que l’Ukraine n’a jamais adopté une telle loi, nous ne saurons jamais si la Russie aurait tenu sa promesse.

Peu importe qui a tué l’accord de Minsk, Poutine est d’accord avec Zelensky pour dire qu’il est bel et bien mort. Dix jours après que Zelensky a déclaré qu’il ne pouvait pas être relancé, Poutine a déclaré qu’accepter l’accord de Minsk était une erreur qu’il ne répéterait pas, suggérant qu’il n’y aurait pas de Minsk III.

Dmitry Trenin, professeur à l’École supérieure d’économie de Moscou, souligne que lorsque la Russie a annexé la Crimée en 2014, Poutine agissait « sur la base d’un mandat du parlement russe prévoyant l’utilisation de la force militaire "en Ukraine" et pas seulement en Crimée ». Mais Poutine a refusé d’annexer le Donbas et en a accepté, à la place, l’autonomie au sein de l’Ukraine dans le cadre de l’accord de Minsk.

Poutine a été sévèrement critiqué par des tenants de la ligne dure en Russie pour ne pas être allé au delà de l’annexion de la Crimée en annexant également le Donbass. Lieven a déclaré à Responsible Statecraft que les partisans de la ligne dure reprochent à Poutine d’avoir préféré croire à la promesse de l’Allemagne et de la France de garantir l’application de l’accord de Minsk.

Dans sa récente déclaration, Poutine a dit qu’il avait eu tort. « Aujourd’hui, il est devenu évident que cette réunification [du Donbass avec la Russie] aurait dû avoir lieu plus tôt ». Mais en 2014, Poutine a déclaré (http://en.kremlin.ru/events/president/transcripts/69935) qu’il « croyait que nous parviendrions à nous entendre, et que Lougansk et Donetsk seraient en mesure de se réunifier avec l’Ukraine d’une manière ou d’une autre en vertu des accords – les accords de Minsk ». Le fait que les espoirs de Poutine de voir Minsk II aboutir se soient révélés vains ne justifie en rien sa décision ultérieure de procéder à une invasion brutale de l’Ukraine.

Mais Poutine et Zelensky semblent être arrivés à la même conclusion, et ce, en vertu de raisons très différentes. Zelensky n’a pas confiance en Poutine, convaincu que ce dernier profitera du répit offert par l’accord de Minsk III pour renforcer ses forces avant de violer le traité et de terroriser l’Ukraine avec des forces renouvelées, Poutine n’a pas confiance en Zelensky qui négociera un accord sur les territoires de l’Est dans le seul but de calmer les conflits compliqués. Tous deux, quasiment simultanément, ont annoncé que le principal espoir d’une solution diplomatique à la crise était mort.

En fin de compte donc, la seule chose sur laquelle les deux dirigeants sont d’accord est la suivante : on ne voit absolument pas à quoi pourrait ressembler la voie vers un règlement négocié.

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