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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2023-070

Philippines,nouvelle menace de guerre avec la Chine

Par Sarang Shidore, traduction par Jocelyne Le Boulicaut

mardi 27 juin 2023, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Philippines,nouvelle menace de guerre avec la Chine

Le 15 Mai 2023 par Sarang Shidore

(De gauche à droite) Le président philippin Ferdinand Marcos jr, le Premier ministre singapourien Lee Hsien Loong, le vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères thaïlandais Don Pramudwinai, le Premier ministre vietnamien Pham Minh Chinh, le président indonésien Joko Widodo et le Premier ministre laotien Sonexay Siphandone se réunissent pour une photo de famille lors du 42e sommet de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) à Labuan Bajo, le 11 mai 2023 (Photo : Mast Irham / AFP)

Les Philippines pourraient-elles servir de déclencheur à une guerre entre les États-Unis et la Chine ? La tentation de Washington d’approfondir les alliances militaires en prenant des risques, conjuguée à l’aventurisme chinois, menace la paix en Asie.

Le sommet des dirigeants de l’ANASE (Association des nations de l’Asie du Sud-Est, sigle anglais ASEAN) s’est achevé cette semaine dans la pittoresque ville balnéaire de Labuan Bajo, en Indonésie, et la crise du Myanmar a été au cœur des discussions.

La guerre civile brutale qui sévit au Myanmar est en effet le plus grand défi auquel le groupement régional, par ailleurs particulièrement couronné de succès, ait été confronté depuis la crise financière de la fin des années 1990 dans la région.

L’ANASE s’est jusqu’à présent efforcée de mettre un frein à la répression brutale de la junte, et l’attaque perpétrée avant le sommet dans l’État de Shan contre les travailleurs humanitaires du groupe n’a pas arrangé les choses.

Le sommet de l’ANASE a également appelé à « faire preuve de retenue dans la conduite d’activités qui compliqueraient ou aggraveraient les différends et affecteraient la paix et la stabilité » en mer de Chine méridionale, ce qui constitue une allusion claire aux actions agressives de la Chine dans ses revendications maritimes excessivement ambitieuses.

Toutefois, l’évolution récente de l’alliance entre les États-Unis et les Philippines complique et aggrave également la dynamique de la sécurité dans la région. Des signes inquiétants montrent que les États-Unis ont effectivement intégré les Philippines dans leur stratégie d’encerclement de la Chine.

Les directives de défense bilatérales les plus récentes publiées par le Pentagone à la suite de la récente visite du président Marcos Jr à Washington ont réaffirmé la nécessité de faire valoir, en février 2023, le traité de défense mutuelle de 1951 - l’accord qui régit l’alliance américano-philippine - en cas « d’attaque armée dans le Pacifique, pour inclure tout endroit dans la mer de Chine méridionale, contre les forces armées philippines ou américaines - y compris celles concernant les garde-côtes des deux pays -, les avions ou les navires publics ». Un engagement similaire a également été pris en 2019 par le secrétaire d’État Mike Pompeo, en poste du temps du président Trump.

Les déclarations répétées d’engagements portant sur le respect des conditions requises pour une intervention directe des États-Unis ne tiennent pas compte de la nouvelle réalité de l’équilibre des forces en mer de Chine méridionale, lequel n’a rien à voir avec celui des années 1970, époque à laquelle les batailles maritimes entre les États requérants rivaux ont commencé pour de bon.

Cette photo fournie par les garde-côtes philippins montre un laser vert de qualité militaire provenant d’un navire de garde-côtes chinois dans la mer de Chine méridionale contestée, lundi 6 février 2023. Les Philippines ont accusé lundi 13 février un navire des garde-côtes chinois d’avoir frappé un navire des garde-côtes philippins avec un laser de qualité militaire et d’avoir temporairement aveuglé une partie de son équipage dans la mer de Chine méridionale, qualifiant cette action de violation "flagrante" des droits souverains de Manille. (Garde côtière philippine via AP)

Mais la Chine n’est pas le seul État à faire valoir des revendications étendues en mer de Chine méridionale. Les revendications de Taïwan sont pratiquement identiques à celles de la Chine et le pays occupe depuis longtemps la plus grande zone de la mer de Chine méridionale, Itu Aba. Le Viêt Nam réclame activement les zones qu’il contrôle et déploie également sa propre marine militaire, comme le fait Pékin.

Lorsque les rapports de force changent aussi radicalement, les États-Unis ne devraient-ils pas, afin de refléter les nouvelles réalités en matière de puissance, s’interroger sur la nécessité de modifier progressivement les engagements pris dans le passé, à savoir les cas où ils sont prêts à intervenir directement, en mettant leurs propres troupes en danger ?

Cette question a été analysée plus avant dans une récente note de l’Institut Quincy concernant les alliances et les partenariats asiatiques. Les lignes de défense mentionnent également la « poursuite en bilatéral des exercices et des entraînements ainsi que des activités maritimes conjointes, y compris, mais sans s’y limiter, des patrouilles communes ».

De telles patrouilles américano-philippines - de leurs marines ou même de leurs garde-côtes - dans des zones maritimes où la Chine a acquis des capacités de contrôle ou un pouvoir de déni d’accès peuvent facilement constituer une provocation, même si ce n’est pas là l’intention.

Des incidents ponctuels pourraient ainsi se transformer très rapidement en une confrontation entre les États-Unis et la Chine, si des navires américains escortaient les navires philippins. Le fait que l’Australie, alliée des États-Unis, se joigne à ces patrouilles ne peut que jeter de l’huile sur le feu.

Une partie du problème vient évidemment du fait que la Chine a tenté sa chance en revendiquant des droits maritimes étendus, jugés illégaux par un tribunal international en 2016. En outre, elle a occupé certaines des zones de la mer de Chine méridionale, les a revendiquées et y a construit des installations militaires.

Pékin déploie des stratégies sub-militaires et des tactiques de zone grise pour exercer un certain pouvoir sur les îles Spratleys et leur voisinage - par exemple, en faisant récemment rayonner un laser de qualité militaire contre un navire philippin, ce qui est tout à fait déplorable.

Un incident plus grave s’est produit en 2012, au cours duquel la Chine a pris le contrôle des hauts fonds de Scarborough, mettant à mal les relations avec les Philippines. Les risques liés aux contestations entre la Chine et le Viêt Nam sont relativement limités, car le Viêt Nam jouit d’une grande autonomie stratégique et n’est l’allié d’aucune autre puissance.

Toutefois, un affrontement entre les Philippines et la Chine, avec les États-Unis (et peut-être l’Australie) directement présents sur le théâtre des opérations en tant qu’alliés, peut raisonnablement dégénérer en un conflit entre grandes puissances.

La Chine et le Viêt Nam font partie des pays dont les revendications se chevauchent dans les îles Spratleys et les eaux environnantes (Photo de l’article Reuters)

Plus dangereux encore, Washington semble utiliser les Philippines comme une voie d’accès par procuration dans le cadre de sa stratégie à l’égard de Taïwan. Comme je l’ai écrit précédemment, trois des quatre nouveaux sites militaires américains (dans le cadre de l’accord de coopération renforcée en matière de défense de 2014, ou EDCA) sont situés dans le nord de Luzon, à une distance très inconfortable du détroit de Bashi.

Ce détroit est un élément essentiel de la stratégie militaire américaine visant à cantonner la Chine à la première chaîne d’îles [La première chaîne d’îles s’étend des Kouriles à Bornéo en passant par le nord de l’archipel philippin, NdT]

Ainsi, l’emplacement de la plupart de ces nouveaux sites n’a pas grand-chose à voir avec les zones contestées de la mer de Chine méridionale. Ils ont une certaine utilité pour les secours en cas de catastrophe (c’est là l’autre justification de l’expansion de ces sites), mais celle-ci doit être mise en balance avec le risque de provoquer des tensions et des conflits sur le très dangereux foyer de tensions qu’est Taïwan.

Les États-Unis devraient certes soutenir leur allié, les Philippines, mais depuis les bases arrières, et surtout en veillant à renforcer les capacités de Manille en matière de tactiques défensives dans les zones grises et de sensibilisation au domaine maritime.

Jouer un rôle de premier plan dans la défense des intérêts et des infrastructures des Philippines en mer de Chine méridionale, et surtout utiliser les Philippines pour poursuivre une stratégie d’endiguement centrée sur Taïwan, ne fera que nous rapprocher du déclenchement d’une guerre entre grandes puissances.

Mais avant tout, Washington devrait encourager le dialogue et le rapprochement entre l’ANASE et la Chine, et soutenir de manière proactive les négociations sur le Code de conduite, qui ne progressent que très peu actuellement (bien que cela soit en partie dû aux réticences de la Chine). [Espérant desserrer l’étreinte de la Chine en mer de Chine méridionale, les pays d’Asie du Sud-est ont fini par obtenir de Pékin qu’il accepte de négocier un code de conduite des parties en mer de Chine du Sud pour remplacer l’inefficace Déclaration de conduite qui avait été adoptée le 4 novembre 2002, NdT].

L’alliance États-Unis-Philippines coexiste depuis longtemps aux côtés de l’ANASE dont l’évolution est dynamique et fructueuse. La prudence et l’ouverture de l’ANASE ne sont pas nécessairement contradictoires avec les relations ou les alliances que les États membres entretiennent avec d’autres grandes puissances.

Le Miracle de l’ASEAN

Toutefois, lorsque des puissances extérieures agissent en poussant à la confrontation, la stabilité et l’intégration régionales peuvent être sérieusement menacées.

L’Asie du Sud-Est est l’une des régions du Sud mondial qui connaît la croissance la plus rapide et elle est un partenaire commercial de plus en plus important, une Asie du Sud-Est florissante et en paix représente une formidable opportunité pour les États-Unis. Washington doit veiller à ne pas mettre en péril la stabilité et la prospérité de cette région.

ASA AIR BASE, Philippines (2 mai 2023) - Des membres de l’armée de l’air philippine s’exercent aux procédures de vérification des locaux lors d’échanges entre experts en la matière dans le cadre de l’exercice conjoint américano-philippin Cope Thunder à la base aérienne de Basa, aux Philippines, le 3 mai 2023. (Photo de l’armée de l’air américaine par l’aviateur Sebastian Romawac)

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