AID Association Initiatives Dionysiennes

Ouv zot zié !

Accueil > Politique > Tous contre Google ou Google contre tous ?

Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2023-127

Tous contre Google ou Google contre tous ?

Par Lynn Parramore, traduction par Jocelyne Le Boulicaut

jeudi 30 novembre 2023, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Tous contre Google ou Google contre tous ?

Le 28 septembre 2023 par Lynn Parramore

Lynn Parramore est Analyste principale de recherche à l’INET

Le géant de la technologie est sur la sellette, mais le "combat sera rude", prévient l’expert antitrust Mark Glick.

Tous contre Google : Les grandes entreprises technologiques devront-elles rendre des comptes ? Comme le savent tous les observateurs dans le secteur des technologies, le plus grand procès fédéral antitrust du XXIe siècle est actuellement en cours et vise la branche du moteur de recherche de Google.

Un deuxième procès impliquant l’entreprise, cette fois concernant l’affichage de la publicité, est prévu pour l’année prochaine. Google est sur la sellette, mais jusqu’à présent, a réussi à échapper à la plupart des efforts visant à limiter son pouvoir.

Au cœur des deux affaires on trouve la domination de Google dans le monde de la recherche sur l’internet et de la publicité numérique, laquelle détermine la manière dont presque tout le monde consomme et interagit avec les contenus en ligne.

Le gouvernement américain affirme que l’entreprise utilise des stratégies illégales pour rester au sommet, en évinçant ses concurrents du marché et en traitant les consommateurs de manière déloyale.

Dans la plainte relative au secteur de la recherche (https://www.justice.gov/opa/pr/justice-department-sues-monopolist-google-violating-antitrust-laws), le gouvernement fédéral et un groupement de procureurs généraux des États accusent Google d’avoir construit un monopole progressivement, en payant pour des accords exclusifs avec des fabricants de matériel et des fournisseurs de logiciels comme Apple, Samsung et Mozilla, ce qui lui permet d’apparaître automatiquement comme le moteur de recherche par défaut lorsque les utilisateurs veulent effectuer une recherche sur le web.

Il s’agit là d’un avantage considérable, car la plupart des consommateurs acceptent ce paramétrage par défaut. En outre, la plainte précise qu’il est compliqué pour les utilisateurs de modifier celui-ci.

Et comme la qualité du moteur de recherche dépend de son degré d’utilisation, ces accords excluent la possibilité pour Google d’être concurrencé par un nouvel entrant, même si ce dernier offre des avantages en matière de protection de la vie privée, comme DuckDuckGo.

Il en résulte, selon la plainte, que les clients sont bloqués et que la concurrence est exclue. Google encourt des amendes et même une restructuration si le gouvernement l’emporte.Une victoire n’est en aucun cas acquise.

En 1998, Microsoft a été reconnu coupable d’avoir violé les lois sur la concurrence en intégrant son système d’exploitation à son navigateur, de sorte que les consommateurs étaient contraints d’acheter l’ensemble de ses logiciels.

Le gouvernement a gagné cette fois-là. Néanmoins, Microsoft n’a pas été contraint de proposer un choix de paramètres par défaut pour le navigateur, sauf en Europe. Dans le climat antitrust actuel, sera-t-il vraiment possible de maîtriser Google et d’obtenir un véritable choix pour le consommateur ? Les experts en doutent.

L’expert antitrust Mark Glick, de l’université de l’Utah estime que si nous voulons une économie prospère et équitable, nous ne pouvons pas nous passer d’une législation antitrust solide.

Selon lui, les États-Unis se sont fourvoyés dans les années 1980, lorsque les politiques publiques ont pris un virage radical en faveur des intérêts des grandes entreprises.

Nécessité d’une législation anti-trust

Les économistes antitrust qui ont adopté la norme du bien-être du consommateur dans le cadre des attaques contre les réglementations héritées du New Deal ainsi que la manière progressiste dont la Cour suprême a abordé la question la montée du phénomène de concentration aux États-Unis ont joué un rôle dans ce changement.

Selon Glick, il reste à voir si la politique antitrust actuelle est réellement en mesure de rétablir l’équilibre entre les grandes entreprises et toutes les autres. (Voir : Pourquoi les économistes devraient soutenir les objectifs populistes en matière d’antitrust et Une défense économique des objectifs multiples en matière d’antitrust

De son côté, Google estime que les gens utilisent son moteur de recherche parce qu’il est le meilleur. Lors de son entretien avec l’Institute for New Economic Thinking (INET), Glick a rejeté cette affirmation, soulignant que Google améliore son produit en payant les yeux de la tête d’autres entreprises ayant durement travaillé pour les obtenir.

« Google a commencé par acheter très cher le public d’autres entreprises, comme AOL » a-t-il déclaré. « Plus il y a de gens qui utilisent son moteur de recherche, plus la publicité a de la valeur et plus les prix que Google peut exiger sont élevés. Il ajoute : si Google était vraiment le meilleur moteur de recherche, pourquoi devrait-il payer des milliards pour ces audiences et ces entreprises ? Il n’aurait pas à payer pour avoir une position dominante, il serait adopté grâce à un marché concurrentiel ».

Si le gouvernement perd dans l’affaire du moteur de recherche, Google devra encore affronter l’année prochaine la contestation de ses pratiques en matière d’affichage publicitaire.

En janvier 2023, le ministère de la justice et les procureurs généraux de plusieurs États ont intenté une action civile antitrust contre Google pour avoir monopolisé la diffusion des annonces en ligne et évincé ses concurrents.

La plainte indique que Google utilise ses technologies publicitaires (adtech) pour dominer le marché de la publicité informatique qui utilise des technologies automatisées et des outils algorithmiques pour l’achat d’espaces publicitaires.

Selon la plainte, Google a cherché à réaliser des profits aux dépens des éditeurs en ligne, qui reçoivent moins d’argent, des annonceurs, qui doivent payer plus cher, et des consommateurs, à qui les coûts sont souvent transférés.

Google est également accusé d’orienter injustement les consommateurs vers ses propres produits. Dina Srinivasan, experte en technologie publicitaire et critique de longue date du pouvoir incontrôlé des grandes entreprises technologiques, a apporté son soutien à la plainte.

En 2020, elle a publié un article qui a fait autorité [1] expliquant comment Google domine les marchés publicitaires en adoptant des comportements qui sont en fait interdits sur les marchés financiers.

Elle a déclaré à l’INET : « Je suis heureuse que l’affaire avance. C’est la meilleure chose qui puisse arriver ».

Le PDG de Google Sundar Pichai en Juin 2022 (Anna Moneymaker | Getty Images)

Glick explique que Google a acquis son pouvoir dans le domaine de la publicité en ligne principalement en rachetant d’autres entreprises plutôt qu’au moyen de ses propres innovations.

« Ils ont commencé par acquérir DoubleClick, qui possédait le serveur publicitaire, puis ils ont acheté toute une série d’entreprises qui leur ont permis d’accroître leur contrôle » a déclaré M. Glick à l’INET.

Il fait partie des nombreuses voix qui ont mis en garde la FTC [Federal Trade Commission, Ndt] contre les dangers inhérents à la fusion DoubleClick lors de l’examen initial en 2007, mais ces avertissements ont été ignorés, dit-il : « À l’époque, la FTC estimait qu’il y aurait beaucoup de concurrents, alors elle a laissé toutes ces acquisitions successives d’adtech se faire et aujourd’hui Google contrôle toutes les étapes du processus. »

Glick est convaincu que toutes ces étapes du processus de publicité en ligne devraient être ouvertes à la concurrence. « Il faut espérer que le gouvernement sera en mesure d’ouvrir ces marchés, ce qui profitera aux éditeurs et aux annonceurs ». Le manque de clarté de la loi constitue un obstacle majeur, observe Glick.

« Les termes utilisés concernent les acquisitions qui "réduisent substantiellement la concurrence". Mais qu’est-ce que cela signifie exactement ? Si l’on continue à laisser ces entreprises faire des acquisitions, personne ne pourra jamais rivaliser.

Jusqu’à présent, chaque fois qu’une menace pèse sur sa domination, Google se contente d’acquérir l’entreprise concernée. Ou la détruit. Dans le cas d’une petite entreprise, soit on est détruit, soit on est vendu et on en tire un important profit. Qu’allez-vous choisir ? »

Lorsqu’il s’agit d’une entreprise comme Google, le monopole des moteurs de recherche et de la publicité est justement la seule chose dont le public n’a pas à s’inquiéter.

Les technologies émergentes de l’IA et, tout particulièrement ce qu’on appelle les modèles de langage de grande taille (LLM) font craindre à beaucoup que les Big Tech ne s’imposent par la force pour contrôler leur avenir.

[LLM : type de modèle d’intelligence artificielle qui est entraîné à comprendre et à générer du langage naturel ; ces modèles sont conçus pour traiter et comprendre des quantités massives de données textuelles provenant de diverses sources, NdT]

Google a déjà annoncé son intention d’améliorer son moteur de recherche grâce à l’IA. Glick redoute une situation où seuls quelques acteurs de l’IA détiendraient le contrôle total, éliminant ainsi la concurrence.

Le PDG de Google, Sundar Pichai, a souligné le besoin profond de réglementer l’IA (contrairement à l’ancien PDG, Eric Schmidt, qui disait au gouvernement de ne pas s’en mêler).

Cependant, les détracteurs s’interrogent sur le type de réglementation qu’il souhaite. « Google dit qu’il veut être réglementé, mais il faut être prudent quant à ses motivations, note Glick.

Ils ne veulent pas la fin de l’humanité, d’accord, mais vous pouvez être sûrs qu’ils veulent aussi préserver leur position dominante ». Jusqu’à présent, il semble que quiconque tente de remettre en cause cette domination s’expose à un combat de David contre Goliath.

Néanmoins, Glick voit des signes encourageants dans la volonté accrue du ministère de la justice et de la FTC de lutter contre ces puissants intérêts. « Ils ont fait preuve d’un grand courage face à l’opposition massive des conservateurs antitrust des cabinets d’avocats et des universités, des lobbyistes des grandes entreprises et des législateurs républicains.

L’ancien PDG de Google, Eric Schmidt, a demandé au gouvernement de faire marche arrière en matière de réglementation de l’IA, estimant que les politiques peuvent restreindre prématurément son développement (Lukas Schulze - Sports file for Collision via Getty Images)

Mais ils ont aussi leurs inconditionnels. « Glick espère qu’une nouvelle législation antitrust verra le jour. Mais jusqu’à présent, prévient-il : « aucune loi antitrust n’est adoptée, et trop de juges sont prêts à accepter les arguments des entreprises de la Big Tech ».

En effet, ces dernières décennies, les contraintes pesant sur les grandes entreprises ont été si peu nombreuses que certains en sont venus à considérer comme normale l’existence de monopoles dans le domaine de la technologie.

Pourtant, Glick souligne que l’histoire américaine atteste de la rapidité des changements et de la possibilité de s’attaquer avec succès aux entreprises monopolistiques : citons par exemple l’ère progressiste et le New Deal.

Glick est convaincu que les gens se lassent de ces quelques monopoles qui dominent de nombreux marchés et réalisent d’énormes profits : « Il semble qu’un changement soit en train de s’opérer ». Selon lui, les gens se rendent compte que Google complique la tâche des autres entreprises et empêche les clients d’obtenir les meilleurs services et produits.

« Il faut espérer qu’un nouveau consensus émergera et viendra soutenir les efforts de la FTC et de la justice afin d’ouvrir ces marchés, ajoute-t-il. Il se peut qu’ils perdent quelques procès, mais leur persévérance peut leur permettre de faire des progrès considérables à long terme ».

Selon Glick, le modèle de la politique antitrust devrait être le consensus politique du New Deal de Roosevelt, qui a été en vigueur de 1933 environ jusqu’au milieu des années 1970.

« Après cette période d’équilibre relatif, un mouvement est apparu pour briser ce consensus. On a vu apparaître l’école de Chicago et des groupes de réflexion conservateurs comme la Heritage Foundation. Les professeurs conservateurs des facultés de droit ont commencé à obtenir des financements ».

Glick constate qu’un autre mouvement se dessine pour remettre en cause l’idéologie du libre marché de ces dernières années : « Cela fait plaisir de voir qu’il y a des gens comme Lina Kahn, présidente de la FTC, et Jonathan Kanter, au ministère de la justice. Le président Biden a vraiment nommé les bonnes personnes ».

Perdre des procès ne correspond sans doute pas à ce que beaucoup espèrent dans les contestations actuelles contre Google, mais si Glick a raison, chaque action en justice contribue à restaurer l’équilibre de l’économie américaine. Grâce à de nouvelles affaires, les activités de l’entreprise restent sous les feux de l’actualité.

Même si Google gagne son procès concernant le moteur de recherche, son statut de leader monopolistique pourrait à terme s’avérer perdant. Et c’est une bonne chose pour tout le monde, même pour Google.

Note : [1] Les recherches de Mme Srinivasan, comme l’indique son article, ont été partiellement soutenues par l’INET.

Version imprimable :