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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2023-129

7 octobre, Israël savait

Par Ronen Bergman and Adam Goldman, traduction par Jocelyne Le Boulicaut

mardi 5 décembre 2023, par JMT

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7 octobre, Israël savait

Le 30 novembre 2023 par Ronen Bergman and Adam Goldman

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Ronen Bergman est rédacteur pour le New York Times Magazine, il vit à Tel Aviv. Son dernier livre est "Rise and Kill First : The Secret History of Israel’s Targeted Assassinations" (Lève-toi et commence par tuer : une histoire secrète des assassinats ciblés d’Israël, NdT), publié par Random House.

Adam Goldman s’intéresse au F.B.I. et à la sécurité nationale. Il est journaliste depuis plus de vingt ans.

Lors des attaques du 7 octobre, des hommes armés du Hamas se sont emparés d’un véhicule militaire israélien après avoir infiltré des zones du sud d’Israël. Un projet d’attaques similaires circulait parmi les dirigeants israéliens bien avant que le Hamas ne frappe (Crédit...Ahmed Zakot/Reuters)

Israël était au courant du projet d’attaque du Hamas depuis plus d’un an. Un plan détaillé de l’attaque a été analysé par le Times. Les responsables israéliens l’ont balayé d’un revers de main, le qualifiant d’idéaliste et ont fait fi des mises en garde concrètes.

Des documents, des courriels et des entretiens montrent que des responsables israéliens ont eu connaissance du plan de bataille du Hamas pour l’attaque terroriste du 7 octobre plus d’un an avant qu’elle ne se produise.

Mais les responsables de l’armée et des services de renseignement israéliens ont ignoré ce projet, le jugeant trop difficile à mettre en œuvre pour le Hamas. Ce document d’une quarantaine de pages, dont le nom de code est « Mur de Jéricho », décrit point par point, avec précision, la stratégie dévastatrice de l’attaque qui a entraîné la mort d’environ 1 200 personnes.

Le document traduit, qui a été analysé par le New York Times, ne fixe pas de date pour l’attaque, mais décrit un assaut méthodique destiné à déborder les barrages autour de la bande de Gaza, à prendre le contrôle de villes israéliennes et à prendre d’assaut des bases militaires clés, dont le quartier général d’une division.

Des Israéliens cherchent du réconfort à côté des photos des personnes tuées et capturées par les militants du Hamas le 7 octobre lors de leur violente incursion sur le site du festival de musique Nova, dans le sud d’Israël (AP Photo/Ohad Zwigenberg)

Le Hamas a suivi le plan avec une précision impressionnante. Le document prévoyait un déluge de roquettes dès le début de l’attaque, des drones pour neutraliser les caméras de sécurité, des mitrailleuses robotisées le long de la frontière, et des hommes armés affluant simultanément en masse vers Israël à bord de parapentes, de motos et à pied.

Tout cela s’est produit le 7 octobre .

Le plan précisait également de nombreux détails sur l’emplacement et l’envergure des forces militaires israéliennes, les centres de communication et autres informations sensibles, ce qui soulève des questions sur la manière dont le Hamas a pu recueillir ses renseignements et sur l’existence éventuelle de fuites au sein de l’appareil de sécurité israélien.

Le document a largement circulé parmi les dirigeants de l’armée et des services de renseignement israéliens, mais des documents et des responsables ont montré que des experts avaient estimé qu’une attaque d’une telle ampleur et d’une telle intensité excédait les capacités du Hamas.

On ne sait pas si le Premier ministre Benjamin Netanyahu ou d’autres hauts responsables politiques ont également pris connaissance de ce document. L’année dernière, peu après avoir obtenu le document, des responsables de la division militaire de Gaza de l’armée israélienne, chargée de défendre la frontière avec Gaza, ont déclaré que les intentions du Hamas n’étaient pas claires.

« Il n’est pas encore possible de déterminer si le plan a été pleinement accepté et comment il sera mis en œuvre », peut-on lire dans une évaluation militaire consultée par le Times.

Et puis, en juillet, trois mois seulement avant les attaques, une analyste expérimentée de l’unité 8200, l’agence israélienne de renseignement sur les transmissions par satellite, a fait savoir que le Hamas avait pendant une journée entière, mené un exercice d’entraînement intensif qui ressemblait à ce qui était décrit dans le plan d’action.

Israël a lancé des attaques aériennes sur Gaza, où les témoins rapportent d’importantes explosions, après que le groupe armé palestinien Hamas a tiré des milliers de rockets et envoyé des hommes armés sur le territoire israéliens samedi matin dans une attaque de très grande ampleur.

Cependant, un colonel de la division de Gaza a balayé ses inquiétudes, selon des courriels cryptés consultés par le Times. « Je réfute totalement l’idée que le scénario est imaginaire », a écrit l’analyste dans les échanges de courriels.

Selon elle, l’exercice d’entraînement du Hamas correspondait parfaitement au « projet de l’opération Mur de Jéricho ». « Il s’agit d’un plan visant à déclencher une guerre, a-t-elle ajouté. Il ne s’agit pas d’un simple raid sur un village ».

Les responsables admettent en privé que si l’armée avait pris ces avertissements au sérieux et réorienté d’importants renforts vers le sud, où le Hamas a attaqué, Israël aurait pu atténuer les attaques, voire les empêcher.

Au lieu de cela, l’armée israélienne a été prise au dépourvu face à l’afflux de terroristes en provenance de la bande de Gaza. Ce fut la journée la plus meurtrière de l’histoire d’Israël.

Les responsables israéliens de la sécurité ont déjà reconnu qu’ils n’avaient pas réussi à protéger le pays, et il est prévu que le gouvernement mette sur pied une commission chargée d’analyser les événements qui ont conduit aux attaques.

Le document sur l’opération Mur de Jéricho révèle au grand jour une cascade d’erreurs qui se sont succédé pendant des années et qui ont abouti à cette attaque que les autorités considèrent aujourd’hui comme le pire échec des services de renseignement israéliens depuis l’attaque surprise qui a conduit à la guerre israélo-arabe de 1973.

Jusqu’à 250 personnes ont été massacrées samedi en Israël dans une rave party près de la frontière avec la bande de Gaza. (Capture d’écran X)

Au fondement de tous ces échecs, existe une croyance unique et fatalement erronée selon laquelle le Hamas n’avait pas la capacité d’attaquer et n’oserait pas le faire. Selon des responsables, cette conviction était tellement ancrée dans les mentalités du gouvernement israélien, qu’ils n’ont tenu aucun compte des preuves de plus en plus nombreuses du contraire.

L’armée israélienne et l’Agence israélienne de sécurité, qui est chargée de la lutte contre le terrorisme à Gaza, se sont refusées à tout commentaire. Ces responsables n’ont pas voulu dire comment ils avaient obtenu le document sur l’opération Mur de Jéricho, mais il faisait partie de plusieurs versions de plans d’attaque collectées au fil des ans.

Un mémorandum du ministère de la Défense de 2016 consulté par le Times, par exemple, indique que « le Hamas a l’intention de faire migrer la prochaine confrontation en territoire israélien ».

Une telle attaque impliquerait très probablement une prise d’otages et « l’occupation du territoire d’une communauté israélienne (et peut-être même de plusieurs communautés) », peut-on lire dans la note. Le document sur le Mur de Jéricho, qui tire son nom des anciennes fortifications de l’actuelle Cisjordanie, est encore plus explicite.

Il décrit des attaques à la roquette destinées à détourner l’attention des soldats israéliens et à les faire se précipiter dans les bunkers, ainsi que des attaques de drones destinées à neutraliser les dispositifs de sécurité perfectionnés installés le long de la barrière frontalière séparant Israël de Gaza.

Les combattants du Hamas franchiraient alors le mur en 60 points et se lanceraient à l’assaut de la frontière israélienne. Le document commence par une citation du Coran : « Franchissez leur porte pour entrer chez eux par surprise, une fois dans les murs, la victoire vous sera acquise ».

Cette même sourate [Sourate 5, NdT]a été largement reprise par le Hamas dans ses vidéos et ses déclarations depuis le 7 octobre.

Selon l’un des principaux objectifs énoncés dans le document, il s’agissait d’envahir la base militaire israélienne de Re’im, qui abrite la division de Gaza chargée de la protection de la région.

D’autres bases placées sous le commandement de la division étaient également mentionnées. Le Hamas a atteint cet objectif le 7 octobre, en se déchaînant dans la ville de Re’im et en envahissant certaines parties de la base. L’audace du plan, selon les responsables, a contribué à sa sous-estimation.

Toutes les armées rédigent des plans qu’elles n’utilisent jamais, et les responsables israéliens ont estimé que, même si le Hamas envahissait le pays, il ne pourrait rassembler qu’une force de quelques dizaines de personnes, et non les centaines qui ont finalement attaqué.

Israël avait également mal interprété les actions du Hamas. Le groupe a négocié des autorisations permettant aux Palestiniens de travailler en Israël, ce que les responsables israéliens ont considéré comme un signe que le Hamas ne cherchait pas la guerre.

La structure de gouvernement du Hamas

Mais le Hamas préparait des plans d’attaque depuis de nombreuses années et les responsables israéliens avaient mis la main sur des versions antérieures de ces plans. Ce qui aurait pu être un coup d’éclat des services de renseignement s’est transformé en l’une des pires erreurs de calcul au cours des 75 ans d’histoire d’Israël.

En septembre 2016, le bureau du ministre de la défense a compilé un mémorandum top secret basé sur une itération beaucoup plus ancienne d’un plan d’attaque du Hamas.

Ce mémorandum, signé par le ministre de la défense de l’époque, Avigdor Lieberman, indiquait qu’une invasion et une prise d’otages « porteraient gravement atteinte au sentiment de sécurité et au moral des citoyens d’Israël ».

La note, consultée par le Times, indiquait que le Hamas avait acheté des armes sophistiquées, des brouilleurs GPS et des drones. Il indiquait également que le Hamas avait porté sa force de combat à 27 000 personnes, ayant ajouté 6 000 personnes à ses rangs en l’espace de deux ans.

Le Hamas espérait atteindre 40 000 personnes d’ici 2020, toujours selon le mémo. L’année dernière, après qu’Israël a obtenu le document concernant le Mur de Jéricho, la division militaire de Gaza a rédigé sa propre évaluation du renseignement relative à ce nouveau plan d’invasion.

Le Hamas avait « décidé de programmer un nouveau raid, sans précédent par son ampleur », ont écrit les analystes dans l’évaluation dont le Times a pris connaissance. Selon ce document, le Hamas avait l’intention de mener une action de diversion suivie d’une « manœuvre à grande échelle » dans le but de submerger la division en charge de Gaza.

Mais celle-ci a qualifié le plan de « boussole ». En d’autres termes, la division a estimé que le Hamas savait où il voulait aller, mais qu’il se trouvait encore loin du but.

Le 6 juillet 2023, l’analyste chevronnée de l’unité 8200 a écrit à un groupe d’autres experts du renseignement pour leur faire savoir que des dizaines de commandos du Hamas avaient récemment effectué des exercices d’entraînement, sous l’œil de hauts commandants du Hamas.

Au cours de l’entraînement, ils ont notamment testé la possibilité d’abattre des avions israéliens et de s’emparer d’un kibboutz et d’une base d’entraînement militaire, tuant tous les élèves-officiers.

Au cours de l’exercice, les combattants du Hamas ont utilisé cette même phrase du Coran qui figurait en haut du plan d’attaque Mur de Jéricho, a-t-elle écrit dans les échanges de courriels consultés par le Times.

L’analyste a prévenu que l’exercice correspondait étroitement au plan « Mur de Jéricho » et que le Hamas était en train de se doter des moyens nécessaires pour le mettre en œuvre.

Le colonel de la division de Gaza a reconnu le bien-fondé de l’analyse, mais a déclaré que l’exercice faisait partie d’un scénario « totalement fantaisiste » et qu’il ne constituait pas une indication de la capacité du Hamas à le mettre en œuvre.

« Bref, attendons patiemment », a écrit le colonel. Les échanges se sont poursuivis, certains collègues soutenant la conclusion initiale de l’analyste. Elle n’a pas tardé à évoquer les leçons de la guerre de 1973, au cours de laquelle les armées syrienne et égyptienne avaient pris d’assaut les défenses israéliennes.

Ces dernières se sont regroupées et ont repoussé l’invasion, mais l’échec des services de renseignement a longtemps servi de leçon aux responsables israéliens de la sécurité.

« Nous avons déjà vécu une expérience similaire il y a 50 ans sur le front sud à propos d’un scénario qui semblait imaginaire, et l’histoire peut se répéter si nous n’y prenons pas garde », a écrit l’analyste à ses collègues.

Bien que préoccupant, aucun de ces courriels ne laissait prévoir l’imminence d’une guerre. Pas plus que l’analyste n’a remis en question la conviction des responsables du renseignement israélien voulant que Yahya Sinwar, le chef du Hamas, ne soit pas intéressé par une guerre avec Israël.

Mais elle a correctement évalué que les capacités du Hamas s’étaient considérablement améliorées. L’écart entre le possible et ce qui était souhaité s’était considérablement réduit.

Cette incapacité à relier les différents éléments fait écho à un autre échec analytique survenu il y a plus de vingt ans, lorsque les autorités américaines disposaient de multiples indications indiquant que le groupe terroriste Al-Qaïda préparait un assaut.

Une commission gouvernementale a conclu que les attentats du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center et le Pentagone étaient en grande partie dus à un échec de l’analyse et à un manque d’imagination.

« L’échec des services de renseignement israéliens le 7 octobre ressemble de plus en plus à notre 11 septembre », a déclaré Ted Singer, un haut fonctionnaire de la C.I.A. depuis peu retraité qui a beaucoup travaillé au Moyen-Orient.

« La défaillance réside dans le fait que l’analyse n’a pas été capable de brosser pour les yeux des dirigeants militaires et politiques un tableau suffisamment convaincant, démontrant que le Hamas avait l’intention de lancer l’attaque au moment où il l’a fait ».

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