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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2023-022

Ukraine : Reconstruction post guerre à la mode BlackRock

Par Branko Marcetic, traduction par Jocelyne Le Boulicaut

lundi 20 février 2023, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Ukraine : Reconstruction post guerre à la mode BlackRock

Le 29 Janvier 2023 par Branko Marcetic

Branko Marcetic est un des rédacteurs de Jacobin, il est aussi l’auteur de Yesterday’s Man : The Case Against Joe Biden (L’homme du passé, le dossier contre Joe Biden, NdT). Il vit à Chicago, dans l’Illinois.

Des sauveteurs ukrainiens fouillent un bâtiment résidentiel endommagé le 29 janvier 2023, après un bombardement russe à Kherson, dans le sud de l’Ukraine, dans le cadre de l’invasion russe de l’Ukraine (Genya Savilov / AFP via Getty Images)

Les grandes entreprises se lèchent déjà les babines à la perspective de la reconstruction d’après-guerre de l’Ukraine. Les vautours néocoloniaux, de BlackRock à l’UE, sont en train de jauger l’Ukraine en vue d’un découpage après la fin de la guerre. Au menu : déréglementation, privatisation et « efficacité fiscale », tout cela a peut-être déjà commencé.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, l’invasion qui fait actuellement souffrir des millions d’Ukrainiens ne verra probablement pas la fin de leurs épreuves. Cela est dû au fait que ces derniers mois, on se frotte les mains à l’idée de la manne économique que pourrait représenter la reconstruction du pays après la guerre.

En novembre, l’année dernière, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a signé un protocole d’accord avec BlackRock. Selon celui-ci, le Financial Markets Advisory (FMA) de la société - une unité de conseil spéciale créée après le crash de 2008 pour travailler avec les gouvernements en crise - sera chargé de conseiller le ministère ukrainien de l’économie quant à la conception d’une feuille de route concernant la reconstruction du pays déchiré par la guerre.

Le président de l’Ukraine, Volodymyr Zelensky, et le président-directeur général de BlackRock, le plus grand gestionnaire d’investissements au monde, Larry Fink, ont discuté des possibilités d’attirer des investissements publics et privés en Ukraine (Source : President of Ukraine/Volodymir Zelensky/ Official website)

Selon BlackRock, l’accord a pour « objectif de faire en sorte que les investisseurs publics et privés se saisissent des occasions de participer à la reconstruction et au redressement futurs de l’économie ukrainienne ».

Les responsables ukrainiens ont été plus explicites, le communiqué de presse du ministère indiquant qu’il « se tournerait principalement vers des capitaux privés ». .

L’accord formalise une série d’entretiens menés en septembre 2022 entre Zelensky et le président-directeur général de BlackRock, Larry Fink, au cours desquels le président de l’Ukraine a souligné que l’Ukraine devait « être un pays attractif pour les investisseurs » et qu’il était « important pour moi qu’une structure comme celle-ci soit une réussite pour toutes les parties concernées ».

Selon un communiqué du bureau du président, dès la fin de 2022, BlackRock conseillait déjà le gouvernement ukrainien « depuis plusieurs mois ». Tous deux avaient convenu de se concentrer sur le fait de « coordonner les efforts de tous les investisseurs et participants éventuels » à la reconstruction de l’Ukraine, et de « diriger les investissements vers les secteurs les plus pertinents et les plus porteurs de l’économie ukrainienne ».

Investissements de BlackRock en Europe (Alexia Barakou)

L’histoire de BlackRock FMA a tout pour inquiéter. Selon une enquête menée par Investigate Europesur les activités de celle-ci en Europe , BlackRock est « un conseiller des États en matière de privatisation » et « se consacre très activement à contrer toute tentative de renforcement de la réglementation » en Europe.

La société a tiré profit du krach financier de 2008 - dû à des titres hypothécaires risqués que Fink avait lui-même créés - pour accroître son pouvoir et son influence sur les décideurs politiques, laissant dans son sillage une traînée de conflits d’intérêts et de trafic d’influence.

Aux États-Unis, elle a été particulièrement controversée pour avoir dirigé le programme d’achat d’obligations de la Réserve fédérale pendant la pandémie, dont près de la moitié a fini par être achetée par les propres fonds de BlackRock .

L’Ukraine s’ouvre déjà aux investissements. En décembre, l’année dernière, alors que Kiev et BlackRock étaient engagés dans leurs discussions depuis plusieurs mois, le parlement ukrainien a adopté une législation soutenue par les promoteurs immobiliers qui était bloquée avant la guerre, déréglementant les lois en matière d’urbanisme au profit d’un secteur privé qui lorgne avec avidité sur la démolition des sites historiques.

Les habitants de l’immeuble de la grand-mère de Dmytro Perov à Kiev, construit à l’origine en 1898, ont été expulsés en 1979 - et le bâtiment est tombé en ruine (Image : Ivan Zaiets. Tous droits réservés)

Ces mesures s’ajoutent à l’attaque antérieure du Parlement contre les droits du travail acquis durant l’ère soviétique, mesures qui ont légalisé les contrats zéro-heure, affaibli le pouvoir des syndicats et supprimé les protections du travail pour 70% des salariés.

Cette modification particulière a été préconisée non pas par BlackRock, mais par le ministère britannique des affaires étrangères, sous la direction de Boris Johnson, et défendue par le parti de Zelensky, qui a déclaré que la « sur-réglementation extrême de l’emploi contredit les principes d’autorégulation du marché » et « crée des barrières bureaucratiques ... qui empêchent l’épanouissement des personnels ».

« Les étapes vers la déréglementation et la simplification du système fiscal sont des exemples des mesures qui ont non seulement résisté aux coups portés par la guerre, mais qui ont été accélérées par celle-ci », s’est réjoui The Economist dans son Suivi des réformes 2022 pour le pays .

« Avec l’engagement des populations au niveau national et international en faveur du redressement et du développement de l’Ukraine », les réformes devraient s’accélérer après la guerre, espère l’hebdomadaire, qui prévoit une déréglementation accrue, « ouvrant encore davantage la voie à l’afflux de capitaux internationaux dans l’agriculture ukrainienne ».

7 octobre 2021 : Les syndicats ukrainiens organisent une manifestation contre la réforme du droit du travail (Ukrinform / Alamy Stock Photo. Tous droits réservés)

La recette du succès, selon l’article, exigeait une plus grande privatisation des « entreprises d’État déficitaires », ce qui « réduirait les dépenses publiques ». Ce dernier volet de la privatisation, notait amèrement l’Economist, « a été mis à l’arrêt lorsque la guerre a éclaté ».

Pourtant, nul besoin pour l’Economist de s’inquiéter, car c’était là l’une des principales priorités pour une Ukraine d’après-guerre, comme l’ont demandé les bailleurs de fonds européens qui soutiennent actuellement l’économie du pays et s’engagent à le reconstruire.

En juillet dernier, une foule de représentants des grandes entreprises, tant européens qu’ukrainiens, ont assisté à la Conférence sur la reconstruction de l’Ukraine, qui est en fait la version 2022 de la Conférence annuelle sur la réforme de l’Ukraine, qui servait à évaluer les progrès du pays sur la voie néolibérale qu’exigeait son intégration à l’Occident après 2014.

Comme l’indique clairement le document d’orientation de la conférence sur la reprise économique, un État ukrainien d’après-guerre n’aura pas besoin de BlackRock pour poursuivre le type de projet dont rêvent les politiciens Républicains. Parmi les recommandations politiques figurent la « réduction des dépenses publiques », l’ « efficacité du système fiscal » et la « déréglementation ».

L’ancienne usine sidérurgique Azovstal à Mariupol. L’UE estime que les dommages causés aux seules infrastructures physiques pourraient s’élever à plus de 100 milliards d’euros (Photo : Alexander Ermochenko/Reuters)

Il conseille en outre de continuer de « réduire la taille du gouvernement » par la privatisation et d’autres réformes, de libéraliser les marchés des capitaux et de garantir la « liberté d’investissement » - un euphémisme pour dire l’ouverture des marchés - créant ainsi un « meilleur environnement d’investissement, plus convivial, pour les investissements directs européens et mondiaux ».

La vision dont ont discuté les participants est tout droit sortie des fantasmes les plus fous de Pete Buttigieg : le pays est envisagé en tant que start-up, un pays numérisé, favorable aux entreprises et écologique, bien que doté de neuf réacteurs nucléaires construits et fournis par la société américaine Westinghouse.

C’est un modèle qui va dans le sens de la vision du « pays dans un smartphone » proposée par Zelensky il y a trois ans. C’est une histoire à laquelle on est habitué quand on parle de nations en crise qui dépendent de l’aide financière des gouvernements et des institutions occidentaux, des pays qui découvrent souvent que les fonds dont ils ont désespérément besoin sont assujettis à des conditions plutôt fâcheuses.

Celles-ci prennent la forme de réformes obligatoires qui démantèlent l’implication de l’État dans l’économie et ouvrent les marchés du pays aux capitaux étrangers, aggravant ainsi l’appauvrissement et les souffrances de la population.

Lugano : Plus de 1000 personnes ont participé à la conférence de deux jours en Suisse, dont 5 chefs d’Etat et de gouvernement, 23 ministres et 16 vice-ministres. La Suisse était représentée par le président Cassis, la conseillère fédérale Sommaruga ainsi que le président du Conseil national Kälin et d’autres parlementaires. La délégation ukrainienne, forte de 90 personnes, était conduite par le Premier ministre Shmyhal et le Président du Parlement Stefanchuk, ainsi que par 7 autres ministres. Au total, 58 délégations internationales (représentants de gouvernements et d’organisations internationales) ont participé et soutenu l’Ukraine dans le lancement du processus politique de redressement (Source : Ukraine recovery conference)

C’est ce qui se passait en Ukraine bien avant l’invasion, le Fonds monétaire international et des responsables occidentaux comme le vice-président américain de l’époque, Joe Biden, faisant pression sur le gouvernement pour qu’il mette en œuvre des réformes telles que la réduction des subventions au gaz pour les ménages ukrainiens, la privatisation de milliers d’entreprises publiques et la levée du moratoire de longue date sur la vente des terres agricoles. Zelensky a réussi à faire aboutir ce dernier point grâce aux pressions financières liées à la pandémie.

La liberté des Ukrainiens de déterminer leur propre destin a été attaquée par l’accaparement des terres de style colonial par Moscou. Malheureusement, il semble probable que la fin de la guerre amènera de nouveaux assauts venant de la direction opposée, alors qu’une nouvelle armée d’investisseurs occidentaux prépare son invasion.

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