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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2024-026

Extradition de Julian Assange : que dit le droit ?

Par Marjorie Cohn, traduction par Jocelyne Le Boulicaut

mardi 12 mars 2024, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Extradition de Julian Assange : que dit le droit ?

Le 27 février 2024 par Marjorie Cohn, TRUTHOUT

Marjorie Cohn est professeur émérite à la Thomas Jefferson School of Law, ancienne présidente de la National Lawyers Guild et membre des conseils consultatifs nationaux d’Assange Defense et de Veterans For Peace, ainsi que du bureau de l’Association internationale des juristes du parti démocrate. Elle est aussi Doyenne fondatrice de l’Académie populaire de droit international et Représentante des États-Unis au conseil consultatif continental de l’Association des juristes américains. Parmi ses ouvrages on compte Drones and Targeted Killing : Legal, Moral and Geopolitical Issues [Drones et assassinats ciblés : questions juridiques, morales et géopolitiques]. Elle est co-animatrice de l’émission de radio "Law and Disorder".

Stella Assange (centre-gauche) participe au rassemblement en faveur de Julian Assange le 21 février 2024 à Londres, Angleterre (Dave Benett / Dave Benett / Getty Images)

La justice américaine se refuse à garantir auprès des juges britanniques qu’Assange ne sera pas exécuté s’il est extradé. La loi britannique interdit l’extradition vers un pays susceptible d’appliquer la peine capitale.

Les 20 et 21 février, alors que près de 1000 partisans de Julian Assange étaient rassemblés devant le palais de justice de Londres, un panel de deux juges de la Haute Cour de justice a présidé une "audience d’autorisation".

Les avocats de Julian Assange ont demandé aux juges de les autoriser à faire appel de l’arrêté d’extradition du ministre de l’intérieur et à soulever les questions que le juge du tribunal de district avait rejetées sans examen approfondi.

Le panel de la Haute Cour, composé de Dame Victoria Sharp et du juge Jeremy Johnson, redoutait que Assange ne soit exécuté s’il était extradé vers les États-Unis, une peine proscrite au Royaume-Uni.

Même si Assange risque une peine de 175 ans de prison pour les charges retenues dans l’acte d’accusation, rien n’empêche les États-Unis d’ajouter des infractions supplémentaires qui entraîneraient la peine de mort.

L’administration Trump a inculpé Assange pour avoir dénoncé des crimes de guerre américains

Assange est accusé de 17 infractions présumées à la Loi sur l’espionnage (Espionage Act), fondées sur l’obtention, la réception, la possession et la publication d’informations relatives à la défense nationale.

Il est accusé d’avoir "recruté des sources" et "sollicité" des documents confidentiels pour avoir simplement géré le site web WikiLeaks indiquant accepter de tels documents.

Assange est également accusé de "conspiration en vue de commettre une intrusion informatique" dans l’intention de "faciliter la collecte et la transmission par [la lanceuse d’alerte Chelsea] Manning d’informations classifiées liées à la défense nationale des États-Unis".

Les avocats d’Assange ont déclaré aux juges que l’acte d’accusation se fondait sur le fait que WikiLeaks avait "révélé des actes criminels commis par le gouvernement américain à une échelle sans précédent". Assange est accusé d’avoir révélé des crimes de guerre commis par les États-Unis en Irak, en Afghanistan et à Guantánamo Bay.

L’acte d’accusation n’a absolument rien à voir avec Hillary Clinton et l’élection de 2016, ni avec les allégations suédoises d’inconduite sexuelle, qui ont été abandonnées.

Les révélations concernaient également le "Journal de guerre afghan" - soit 90000 rapports attestant que les forces de la coalition avaient fait plus de victimes civiles que l’armée américaine ne l’avait indiqué.

WikiLeaks a révélé les « War logs » [ensemble de documents et rapports (logs) des forces armées des États-Unis qui documentent le déroulement de la guerre en Irak depuis 2001, NdT] , soit 400 000 rapports de terrain faisant état de 15000 décès non déclarés de civils irakiens, ainsi que de viols, tortures et meurtres systématiques après que les forces américaines ont livré des détenus à une célèbre unité de torture irakienne.

En outre, WikiLeaks a révélé les "Guantánamo Files", 779 rapports secrets contenant les preuves montrant que 150 personnes innocentes ont été détenues à Guantánamo Bay pendant des années et que 800 hommes et garçons ont été torturés et maltraités, en violation des conventions de Genève et de la convention contre la torture ou tout autre traitement ou châtiment cruel, inhumain ou dégradant.

WikiLeaks a également révélé la fameuse « vidéo dite du meurtre collatéral » de 2007, montrant un hélicoptère d’attaque Apache de l’armée américaine prenant pour cible et tuant 11 civils non armés à Bagdad, dont deux journalistes de l’agence Reuters et un homme venu secourir les blessés. Deux enfants ont été blessés. La vidéo contient des preuves de crimes de guerre condamnés par les Conventions de Genève.

Et WikiLeaks a révélé le « Cablegate » - 251 000 câbles confidentiels du département d’État américain qui « révèlent des faits de corruption, des scandales diplomatiques et des affaires d’espionnage à une échelle internationale ».

Selon le New York Times, ces câbles révèlent « l’histoire sans fard de la façon dont le gouvernement prend ses décisions les plus importantes, celles qui coûtent le plus cher au pays en termes de vies humaines et d’argent ».

« Ce sont là les révélations les plus importantes de l’histoire en ce qui concerne le comportement criminel de l’État américain », a déclaré devant la Haute Cour l’avocat de Julian Assange, Mark Summers.

Les problèmes soulevés par l’appel d’Assange

Assange demande à la Haute Cour du Royaume-Uni d’examiner les questions relatives aux obligations conventionnelles, aux violations des droits humains et à la persécution politique.

Le traité d’extradition entre les États-Unis et le Royaume-Uni permettrait aux États-Unis de modifier ou d’ajouter des chefs d’accusation qui pourraient exposer Assange à une condamnation à la peine de mort, une peine interdite au Royaume-Uni.

En réponse à une question posée par l’un des juges, la procureure a admis que les États-Unis n’avaient pas donné l’assurance que Julian Assange ne risquerait pas la peine de mort en cas d’extradition.

L’article 4(1) du traité d’extradition ne permet pas l’extradition pour des délits politiques. L’espionnage est le délit politique par excellence, a déclaré Edward Fitzgerald, l’avocat d’Assange, au panel.

« Le principal chef d’accusation (et la caractéristique juridique déterminante) de chacune des charges qui pèsent est donc l’intention présumée d’obtenir ou de divulguer des secrets d’État américains d’une manière préjudiciable à la sécurité de l’État américain », ce qui donc en fait des délits politiques, ont écrit les avocats d’Assange.

La défense a affirmé que les États-Unis commettaient un abus de procédure en demandant l’extradition d’Assange pour un délit politique. Les États-Unis ont fait valoir que la loi britannique sur l’extradition ne prévoit pas d’exception claire pour les délits politiques.

Mais la défense a déclaré que l’exclusion des délits politiques fait partie d’une interdiction « ancestrale » que l’on retrouve dans « pratiquement tous » les traités d’extradition du Royaume-Uni.

Des militants manifestent devant l’ambassade des États-Unis à Bruxelles, le 20 février 2024 (Photo par Yves Herman/Reuters)

Elle figure dans les traités conclus par le Royaume-Uni avec « 156 pays sur 158 ». Fitzgerald a déclaré qu’on ne saurait déduire une intention délibérée d’interdire l’extradition pour des délits politiques en raison de l’absence d’une formulation explicite dans l’Extradition Act (loi sur l’extradition).

Étant donné que l’exception n’est pas spécifiquement mentionnée dans la loi, la juge de district britannique Vanessa Baraitser n’a pas vraiment envisagé la question dans son jugement à l’issue de l’audience d’extradition d’Assange.

« Ces poursuites sont motivées par [...] une intention délibérée de détruire ou empêcher la publication des preuves relatives à la capacité des États à commettre des crimes, et par conséquent de faire obstacle aux enquêtes, aux poursuites judiciaires concernant de tels crimes internationaux et aux mesures visant à les empêcher de se reproduire à l’avenir ».

L’article 7 de la Convention européenne des droits humains (CEDH) stipule que « nul ne peut être condamné pour des actions ou omissions qui, au moment où elles ont été commises, ne constituaient pas une infraction d’après le droit national ou international ».

On ne pouvait raisonnablement attendre d’Assange qu’il sache qu’il pouvait être poursuivi pour publication dans l’intérêt public, car aucun éditeur n’avait jamais été poursuivi en vertu de la Loi sur l’espionnage pour publication dans l’intérêt public auparavant.

L’article 10 de la CEDH protège la liberté d’expression, ce qui comprend le droit « de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière ».

Les informations révélées par WikiLeaks étaient vraies et Mme Manning a agi en toute bonne foi et dans l’intérêt public lorsqu’elle les a fournies à WikiLeaks.

L’extradition constituerait un "déni flagrant" du droit de M. Assange à la liberté d’expression, notamment parce qu’il pourrait se voir refuser la protection du Premier amendement de la Constitution américaine, ont fait valoir les avocats d’ Assange devant le jury.

L’article 6 de la CEDH garantit le droit à un procès équitable. Il sera très difficile pour Julian Assange d’obtenir un procès équitable s’il est extradé vers les États-Unis.

Le procureur adjoint Gordon Kromberg et l’ancien directeur de la CIA Mike Pompeo ont déclaré qu’en tant que citoyen non américain, Assange ne pouvait bénéficier du premier amendement.

Celui-ci autorise les journalistes à publier des documents obtenus illégalement par une tierce personne s’il s’agit d’une question d’intérêt public.

Le juge Johnson a exprimé ses inquiétudes quant au fait que les États-Unis n’avaient pas donné l’assurance que les ressortissants étrangers bénéficiaient de la protection du premier amendement et a demandé aux deux parties de clarifier cette question.

En outre, s’il est extradé, Assange sera traduit devant un tribunal fédéral du district Est de Virginie, où le jury sera composé de personnes ayant des liens avec les agences de sécurité nationale et les sous-traitants du gouvernement américain.

Les articles 2 et 3 de la CEDH protègent respectivement le droit à la vie et le droit de ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants.

La CIA avait prévu d’enlever et d’assassiner Assange, ce qui indique qu’il sera probablement soumis à des traitements inhumains et dégradants s’il est extradé vers les États-Unis.

« Si ces agences d’État étaient prêtes à aller jusque là alors qu’il était sous la protection d’une ambassade et se trouvait au Royaume-Uni, alors le risque de mesures extrajudiciaires ou de représailles similaires sont certaines s’il est extradé vers les États-Unis », ont écrit les avocats d’ Assange.

L’article 4, paragraphe 3, du traité d’extradition interdit l’extradition si la demande est motivée par des considérations politiques et non de bonne foi.

Les avocats d’Assange ont écrit que « ces poursuites sont motivées par des questions autres que la recherche légitime et habituelle en matière de justice pénale. Au contraire, elles sont motivées par une intention délibérée de détruire ou empêcher la publication des preuves relatives à la capacité des États à commettre des crimes, et par conséquent de faire obstacle aux enquêtes, aux poursuites judiciaires concernant de tels crimes internationaux et aux mesures visant à les empêcher de se reproduire à l’avenir ».

Un des juges du panel a demandé à la défense où elle pouvait trouver plus d’informations sur ce point. M. Summers a fait valoir que, bien que les révélations de WikiLeaks en cause dans l’acte d’accusation aient eu lieu en 2010-2011, Assange n’a été inculpé qu’en 2018-2019.

Et justement lorsque WikiLeaks a révélé en 2017 des techniques d’espionnage de la CIA, connues sous le nom de "Vault 7", qui permettaient à la CIA de mettre sur écoute les téléphones portables et les téléviseurs connectés des gens, les transformant ainsi en dispositifs d’écoute.

Ces révélations ont déclenché la fureur du directeur de la CIA de Donald Trump, Pompeo, qui a dénoncé WikiLeaks comme étant un « service de renseignement hostile et non étatique », une qualification permettant à la CIA d’agir à l’insu du Congrès.

Des responsables américains ont alors élaboré des plans pour kidnapper et/ou tuer Assange.

Le ministère de la justice a accéléré sa mise en accusation afin de faciliter les poursuites une fois qu’il aurait été envoyé aux États-Unis dans le cadre d’une restitution extraordinaire. « Ces poursuites n’ont été engagées qu’en raison de ce plan de restitution », a déclaré M. Summers.

En outre, l’extradition fondée sur les opinions politiques est interdite. En vertu du traité additionnel de 1985, le pouvoir judiciaire est habilité à déterminer si une demande d’extradition est motivée par le désir de punir la personne pour ses opinions politiques.

« Exposer la criminalité d’État est un acte/une opinion politique », a écrit l’équipe juridique de Julian Assange dans son document de procédure.

Les tribunaux du monde entier reconnaissent que les poursuites engagées pour avoir dénoncé ou contesté la criminalité généralisée au niveau étatique constituent une persécution pour des raisons d’« opinion politique ».

Le fait de dénoncer publiquement un État pour ses violations des droits humains peut également constituer « un acte de dissidence politique » / « une opinion politique ».

Comme l’a écrit son équipe de défense dans ses conclusions finales, la dénonciation des crimes contre l’humanité et l’obligation de rendre des comptes pour ceux-ci faisaient partie des opinions politiques d’Assange qui ont conduit à son inculpation, de même que sa croyance en la « transparence politique en tant que moyen » de parvenir à un « contrôle démocratique » et ses convictions anti-guerre et anti-impérialistes.

L’inculpation d’Assange après la révélation du Vault 7 par WikiLeaks en 2017, six ans après les révélations de crimes de guerre faites par WikiLeaks en 2010-2011, est une preuve supplémentaire qu’Assange a été inculpé pour ses opinions politiques.

« La révélation la plus importante depuis Abou Ghraib »

La vidéo Collateral Murder est « la révélation la plus importante depuis Abou Ghraib », a déclaré Summers aux juges. « Les câbles publiés par M. Assange ont révélé des assassinats extrajudiciaires, des renditions [ transfert d’un prisonnier d’un pays à un autre hors du cadre judiciaire, notamment hors des procédures normales d’extradition, ces transferts sont régulièrement associés à une sorte « d’externalisation » de la torture, les États-Unis faisant torturer des prisonniers dans des pays alliés tout en l’interdisant sur leur territoire, NdT], des tortures, des prisons secrètes et des assassinats par drone » . Summers a déclaré que les dossiers de Guantánamo révélaient une "action criminelle monumentale ».

Des manifestants tiennent des banderoles devant la Royal Courts of Justice à Londres, mardi 20 février 2024 (AP Photo/Kirsty Wigglesworth)

La défense a souligné que les révélations de WikiLeaks ont en fait sauvé des vies. Après la publication des preuves de l’existence de centres de torture irakiens créés par les États-Unis, le gouvernement irakien a refusé la demande du président Barack Obama d’accorder l’immunité aux troupes américaines qui avaient commis des infractions pénales et civiles dans ce pays. En conséquence, Obama a dû retirer les forces américaines d’Irak.

L’administration Obama, qui, en vertu de la Loi sur l’espionnage, a poursuivi plus de lanceurs d’alerte que toutes les administrations américaines précédentes réunies, a envisagé de poursuivre M. Assange, mais elle craignait que cela ne constitue une violation du premier amendement.

L’administration était incapable de faire la distinction entre le travail de WikiLeaks et celui du New York Times et du Guardian, qui ont également publié des documents divulgués par Chelsea Manning.

Cependant l’administration Trump a bel et bien inculpé Julian Assange. Le Royaume-Uni a arrêté Julian Assange et l’a gardé en détention à la prison de Belmarsh pendant près de cinq ans en attendant de décider s’il devait être extradé vers les États-Unis pour y être jugé.

En janvier 2021, à l’issue d’une audience de trois semaines, Mme Baraitser a refusé l’extradition après avoir constaté que la santé mentale de M. Assange était si fragile qu’il existait un « risque non négligeable » de suicide s’il était extradé vers les États-Unis en raison des conditions d’incarcération difficiles dans lesquelles il serait détenu.

En revanche, elle a rejeté toutes les autres objections juridiques soulevées par M. Assange à l’encontre de l’extradition.

Les États-Unis « garantissent » que M. Assange sera traité humainement

Après la décision de Baraitser, les États-Unis ont apporté des « garanties » diplomatiques indiquant que M. Assange serait traité humainement s’il était extradé vers les États-Unis.

L’administration Biden a assuré au tribunal que M. Assange :

(1) ne serait pas soumis à des mesures administratives spéciales onéreuses (MAS) qui le maintiendraient dans un isolement extrême et surveilleraient ses communications confidentielles avec ses avocats ;

(2) ne serait pas logé dans la tristement célèbre prison de haute sécurité ADX Florence (https://greenwald.substack.com/p/julian-assange-loses-appeal-british) dans le Colorado ;

(3) bénéficierait d’un suivi psychologique et de traitements cliniques en détention ;

et (4) pourrait purger toute peine privative de liberté en Australie.

Mais les États-Unis ont déclaré que ces assurances ne s’appliqueraient pas si M. Assange commettait un « nouvel acte » qui « répondrait au critère » des MAS. Cette éventualité non précisée serait basée sur une décision subjective des autorités pénitentiaires, sans contrôle judiciaire.

Bien que les États-Unis aient déjà trahi des assurances presque identiques par le passé, la Haute Cour les a acceptées au pied de la lettre, se déclarant convaincue que les États-Unis agissaient de bonne foi, et en décembre 2021, la Haute Cour a infirmé le refus d’extradition prononcé par Mme Baraitser.

Toutefois, dans une décision rendue en 2023, la Cour suprême du Royaume-Uni a estimé à l’unanimité que le tribunal avait le devoir indépendant de déterminer la validité des garanties, en écrivant : « Le point de vue du gouvernement sur la question de savoir s’il existe un tel risque est un élément important de cette preuve, mais la Cour est tenue d’examiner la question à la lumière de l’ensemble des éléments de preuve et de parvenir à sa propre conclusion ».

En juin 2023, un juge unique de la Haute Cour, Jonathan Swift, a rejeté la demande d’autorisation d’appel de M. Assange dans une décision sommaire de trois pages.

L’audience des 20 et 21 février visait à permettre à l’équipe juridique d’Assange de casser cette décision afin que la Haute Cour puisse examiner son appel.

Assange a expurgé les noms de ses informateurs pour les protéger

Lors de l’audience du 21 février, la procureure Clare Dobbin a déclaré aux juges que des documents dans lesquels les noms n’avaient pas été expurgés avaient été publiés, mettant ainsi les personnes concernées et les États-Unis en grand danger.

L’un des juges a demandé à Clare Dobbin s’il n’était pas exact que ces informations avaient d’abord été publiées par d’autres, ce à quoi Clare Dobbin a répondu qu’Assange était responsable d’avoir mis ces informations entre les mains d’autres personnes en premier lieu.

Plusieurs témoins ont déclaré lors de l’audience d’extradition de 2020 que M. Assange avait veillé scrupuleusement à ce que les noms soient caviardés. D’autres médias ont publié les câbles non expurgés avant WikiLeaks, sans aucune retombée fâcheuse.

John Young, de cryptome.org,a témoigné lors de l’audience d’extradition et a écrit dans un formulaire de présentation au ministère de la justice : « Cryptome a publié les câbles du département d’État décryptés et non expurgés le 1er septembre 2011, avant la publication des câbles par WikiLeaks. »

Des experts en informatique ont déclaré que la publication d’un mot de passe par les journalistes du Guardian Luke Harding et David Leigh a finalement conduit à la publication non expurgée.

De plus, lorsque le général de brigade Robert Carr a témoigné devant la cour martialequi jugeait Manning, il a assuré que personne n’avait souffert des publications de WikiLeaks.

Summers a déclaré au panel de juges que Mme Baraitser n’avait jamais cherché à mettre en balance l’intérêt public attaché aux divulgations et le fait qu’elles n’avaient causé aucun préjudice.

Toute condamnation d’Assange dissuaderait les journalistes d’investigation d’exposer des secrets d’État

En novembre 2022, le New York Times, le Guardian, Le Monde, Der Spiegel et El País ont signé une lettre ouverte commune à l’administration Biden demandant d’abandonner les poursuites engagées contre M. Assange en vertu de la Loi sur l’espionnage.

Ils ont écrit : « Publier n’est pas un crime », notant qu’Assange est le premier éditeur à être inculpé en vertu de la Loi sur l’espionnage (Espionage Act) pour avoir révélé des secrets gouvernementaux.

L’acte d’accusation sanctionnerait des comportements que les journalistes spécialisés dans la sécurité nationale adoptent couramment, notamment le fait de cultiver des sources, de communiquer confidentiellement avec elles, de leur demander des informations, de protéger leur identité contre toute divulgation et de publier des informations classifiées.

Si Assange est traduit en justice et condamné, les journalistes aux États-Unis et à l’étranger hésiteront encore davantage à publier des preuves d’actes répréhensibles commis par les gouvernements.

Aucun éditeur n’a jamais été poursuivi en vertu de la Loi sur l’espionnage pour avoir divulgué des secrets gouvernementaux. Le gouvernement américain n’a jamais poursuivi un éditeur pour avoir publié des informations classifiées, qui constituent un outil essentiel du journalisme d’investigation.

Mais plutôt que d’abandonner les poursuites engagées par Trump contre Assange et conformément à la position de l’administration Obama-Biden, Joe Biden a poursuivi avec zèle l’extradition et les poursuites.

Actuellement en attente, un projet de résolution de la Chambre des représentants réclame que les accusations portées contre M. Assange soient abandonnées

Un manifestant exprime son soutien à Julian Assange devant la Haute Cour, à Londres, le 21 février 2024 (Photo Kin Cheung Associated Press)

Le 13 décembre 2023,la résolution 934 a été déposée devant la Chambre des représentants des États-Unis par le représentant Paul A. Gosar (Républicain-Arizona), appuyée par le parrainage de membres des deux partis politiques.

Elle énoncerait « la conviction de la Chambre des représentants : les activités journalistiques en général sont protégées par le Premier amendement et les États-Unis devraient abandonner toutes les poursuites contre Julian Assange et toutes les tentatives d’extradition à son encontre ».

La résolution indique que les révélations de WikiLeaks « ont favorisé la transparence publique en révélant l’embauche d’enfants prostitués par des contractants du ministère de la défense, des tirs amis, des violations des droits humains, des meurtres de civils et le recours par les États-Unis à la guerre psychologique ».

Dans la résolution HR 934, il est précisé que les charges retenues contre M. Assange au titre de la loi sur la sécurité des systèmes d’information (CFAA Computer Fraud and Abuse Act) sont les suivantes : « en dépit du fait que le dit analyste du renseignement avait déjà accès à l’ordinateur en question, que la prétendue violation des ordinateurs du ministère de la défense était impossible et qu’il n’y avait aucune preuve que M. Assange ait eu un quelconque contact avec le dit analyste du renseignement ».

Enfin, poursuit la résolution, la condamnation de M. Assange en vertu de la Loi sur l’espionnage « créerait un précédent permettant aux États-Unis de poursuivre et d’emprisonner des journalistes pour des activités protégées par le Premier amendement, notamment l’obtention et la publication d’informations, ce qui se produit régulièrement ».

Le 14 février, je me suis joint à près de 40 professeurs de droit pour envoyer une lettre au ministère de la Justice, déclarant que les accusations portées contre M. Assange en vertu de la Loi sur l’espionnage (Espionage Act) « constituent une menace existentielle contre le Premier amendement ».

Nous avons exprimé notre inquiétude quant aux implications constitutionnelles que pourrait avoir un procès contre M. Assange « au-delà de l’Espionage Act et du journalisme lié à la sécurité nationale [pour] rendre possible les recours à des lois ambiguës et à des théories juridiques non vérifiées concernant la collecte d’informations de routine ».

À l’issue de l’audience de deux jours, le jury de la Haute Cour a fixé au 4 mars la date limite pour la présentation de nouvelles observations écrites par les parties.

Si la Cour accepte d’examiner au moins l’une des questions soulevées par M. Assange dans le cadre de l’appel, une audience plénière sera alors convoquée.

En attendant, M. Assange, qui est en mauvaise santé physique et émotionnelle, reste en prison.

Si la Haute Cour refuse son droit d’appel, M. Assange peut demander à la Cour européenne des droits humains d’examiner son cas.

Si cette dernière constate des « circonstances exceptionnelles » et un « risque imminent de préjudice irréparable », elle peut prendre des mesures provisoires, y compris un sursis à l’exécution pendant que l’affaire est en instance devant la Cour européenne.

Il existe toutefois un risque que le Royaume-Uni extrade immédiatement M. Assange vers les États-Unis avant que la Cour européenne des droits humains n’ait eu véritablement une chance de se pencher sur la requête de M. Assange.

Marjorie Cohn

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