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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2024-034

Le cheval de Troie d’Israël

Par Chris Hedges, traduction par Jocelyne Le Boulicaut

mardi 2 avril 2024, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Le cheval de Troie d’Israël

Le 19 mars 2024 Par Chris Hedges / Texte inédit de ScheerPost

Chris Hedges est journaliste. Lauréat du prix Pulitzer, il a été correspondant à l’étranger pendant 15 ans pour le New York Times, où il a occupé les postes de chef du bureau du Moyen-Orient et du bureau des Balkans. Il a auparavant travaillé à l’étranger pour le Dallas Morning News, le Christian Science Monitor et National Public Radio. Il est l’hôte de l’émission The Chris Hedges report. Il a fait partie de l’équipe qui a remporté le prix Pulitzer 2002 du reportage explicatif [Le reportage explicatif est une forme de reportage qui tente de présenter des reportages en cours d’une manière plus accessible en fournissant un contexte plus large que celui qui serait présenté dans les sources d’information traditionnelles, NdT] pour la couverture du terrorisme mondial par le New York Times, et il a reçu le prix mondial 2002 d’Amnesty International pour le journalisme sur les droits humains. Hedges, qui est titulaire d’une maîtrise en théologie de la Harvard Divinity School, est l’auteur de best-sellers comme Les fascistes américains [American Fascists : The Christian Right and the War on America] (trad. de l’anglais) ; L’Empire de l’illusion : la mort de la culture et le triomphe du spectacle [« Empire of Illusion : The End of Literacy and the Triumph of Spectacle »] et a été finaliste du National Book Critics Circle pour son livre La guerre est une force qui nous octroie du sens [« War Is a Force That Gives Us Meaning »] (trad. de l’anglais). Il rédige une chronique en ligne pour le site ScheerPost. Il a enseigné à l’université Columbia, à l’université de New York, à l’université de Princeton et à l’université de Toronto.

Le cheval de Troie d’Israël - par M. Fish

Le but du « port temporaire » construit sur la côte méditerranéenne au large de Gaza n’est pas de soulager la famine, mais plutôt de faire embarquer les Palestiniens sur des bateaux et de les contraindre à un exil permanent. Les quais d’un port permettent aux choses d’entrer. Ils permettent aux choses de sortir.

Et Israël, qui n’a aucune intention de mettre fin au siège meurtrier de Gaza, ni à sa stratégie de famine généralisée, semble avoir trouvé une solution au problème de savoir où il convient d’expulser les 2,3 millions de Palestiniens.

Si le monde arabe ne veut pas les accepter, c’est pourtant ce qui a été proposé par le secrétaire d’État Antony Blinken lors de sa première série de visites après le 7 octobre, alors les Palestiniens seront jetés à la dérive sur des bateaux.

Cela a fonctionné à Beyrouth en 1982, lorsque quelque huit mille cinq cents membres de l’Organisation de libération de la Palestine ont été envoyés par mer en Tunisie et que deux mille cinq cents autres se sont retrouvés dans d’autres États arabes. Israël s’attend à ce que la même déportation forcée par voie maritime fonctionne à Gaza.

Voilà la raison pour laquelle Israël soutient le « port temporaire » que l’administration Biden est en train de construire pour, soi-disant, acheminer nourriture et aide à Gaza - nourriture et aide dont la « distribution » sera supervisée par l’armée israélienne.

« Il faut des chauffeurs qui n’existent pas, des camions qui n’existent pas et qui alimentent un système de distribution qui n’existe pas », a déclaré au Guardian Jeremy Konyndyk, ancien haut fonctionnaire chargé des questions humanitaires au sein de l’administration Biden et aujourd’hui président du groupe de défense des droits humains pour Refugees International.

Des Palestiniens attendent le largage par avion de l’aide humanitaire à Deir al Balah, à Gaza, le 27 février 2024 (Photographie : Anadolu/Getty Images)

Ce « corridor maritime » est le cheval de Troie d’Israël, un subterfuge pour expulser les Palestiniens. Pas plus que les colis de nourriture largués depuis des avions, les petites cargaisons d’aide par voie maritime ne permettront d’atténuer la famine qui menace.

Ce n’est d’ailleurs pas le but recherché. Cinq Palestiniens ont été tués et plusieurs autres blessés lorsqu’un parachute transportant de l’aide s’est écrasé sur une foule près du camp de réfugiés de Shati, dans la ville de Gaza.

« Le fait de larguer de l’aide de cette manière relève de la propagande tape-à-l’œil plutôt que de la solidarité humanitaire, a déclaré le bureau des médias du gouvernement local de Gaza. Nous avions déjà prévenu que cela représentait une menace pour la vie des citoyens de la bande de Gaza, et c’est exactement ce qui s’est passé aujourd’hui, lorsque les colis largués ont atteint des habitants ».

Si les États-Unis ou Israël souhaitaient réellement atténuer la crise humanitaire, les milliers de camions transportant de la nourriture et de l’aide qui se trouvent actuellement coincés à la frontière sud de Gaza seraient autorisés à franchir l’un des multiples points de passage de la bande de Gaza.

Points de passage de la bande de Gaza (Graphique Sarah Wilkinson)

Ce n’est pas le cas. Le « port temporaire », tout comme les parachutages, constituent une mise en scène macabre, un moyen de dissimuler la complicité de Washington dans le génocide.

Les médias israéliens ont rapportéque la construction du port était due aux pressions exercées par les Émirats arabes unis, qui ont menacé Israël de mettre fin au corridor commercial terrestre qu’ils administrent de concert avec l’Arabie saoudite et la Jordanie, afin de contourner le blocus naval du Yémen.

Selon le Jerusalem Post, c’est le Premier ministre Benjamin Netanyahu qui a proposé à l’administration Biden de construire ce « port temporaire ».

Le ministre israélien de la défense, Yoav Gallant, qui a traité les Palestiniens d’« animaux humains » et préconisé un siège total de Gaza, y compris la coupure de l’électricité, de la nourriture, de l’eau et du carburant, a salué le plan, déclarant qu’« il est destiné à apporter directement de l’aide aux habitants et favoriser ainsi l’effondrement de la domination du Hamas à Gaza ».

« Pour quelle raison Israël, à l’origine de la famine à Gaza, soutiendrait-il l’idée d’établir un corridor maritime pour acheminer l’aide destinée à résoudre une crise qu’il a provoquée et qu’il aggrave à présent ? » écrit Tamara Nassar dans un article dans The Electronic Intifada intitulé « Quel est le but véritable du port voulu par Biden à Gaza ? ».

Cela pourrait sembler paradoxal si l’on supposait que l’objectif premier du corridor maritime est d’acheminer l’aide. Lorsqu’Israël offre un cadeau aux Palestiniens, on peut être sûr qu’il s’agit d’une pomme empoisonnée.

Le fait qu’Israël ait obtenu de l’administration Biden que ce port soit construit est un nouvel exemple de plus de la relation faussée qui existe entre Washington et Jérusalem, dans la mesure où le lobby israélien est parvenu à soudoyer les élus des deux partis au pouvoir.

Un bateau transportant de l’aide humanitaire pour Gaza quitte le port de Larnaca, à Chypre, le 12 mars 2024 (George Christophorou Xinhua News Agency)

Dans un rapport publié le 15 mars, Oxfam accuse Israël d’entraver activement les opérations d’aide à Gaza, au mépris des injonctions de la Cour internationale de justice.

Selon ce rapport 1,7 million de Palestiniens, soit 75% de la population de Gaza, sont victimes de la famine et les deux tiers des hôpitaux et plus de 80% des dispensaires de Gaza ne sont plus opérationnels. La majorité de la population, lit-on, « n’a pas accès à l’eau potable » et « les services d’assainissement ne fonctionnent pas ».

Ce que dit le rapport : Ce que nous avons observé à Gaza est plus que catastrophique, et nous avons non seulement constaté que les autorités israéliennes ont manqué à leur responsabilité consistant à faciliter et intensifier l’aide humanitaire internationale, mais ont même pris des mesures pour y faire activement obstacle et la saper.

Le contrôle d’Israël sur Gaza continue d’être caractérisé par des actions restrictives délibérées qui ont pour conséquence un dysfonctionnement grave et systémique dans l’acheminement de l’aide.

Les organisations humanitaires présentes à Gaza font état d’une aggravation de la situation depuis que la Cour internationale de justice a imposé des mesures conservatoires en raison du risque plausible de génocide, qui se caractérise par une multiplication des barrages et une intensification des restrictions et des attaques israéliennes contre le personnel humanitaire.

Israël a entretenu « une confortable illusion de réponse » à Gaza afin de pouvoir affirmer qu’il autorise l’entrée de l’aide et que la guerre est menée dans le respect des lois internationales.

Oxfam affirme qu’Israël perpétue « un système d’inspection dysfonctionnel et sous-dimensionné qui engorge l’aide, avec des procédures bureaucratiques onéreuses, répétitives et imprévisibles qui contribuent à bloquer les camions dans d’interminables files d’attente pendant 20 jours en moyenne ».

Israël rejette, , explique Oxfam, « régulièrement et arbitrairement des articles d’aide au motif qu’ils auraient un « double usage (militaire) », interdisant totalement le carburant et les générateurs pourtant d’une nécessité vitale, ainsi que d’autres articles essentiels à une réponse humanitaire significative, comme les équipements de protection et les kits de communication ».

« Une grande partie de l’aide rejetée doit passer par un système complexe d’« approbation préliminaire » ou se retrouve retenue à l’entrepôt d’El-Arich en Égypte, avec un devenir incertain ».

Israël a également « réprimé des missions humanitaires, en bouclant en grande partie le nord de la bande de Gaza et en restreignant l’accès des équipes humanitaires internationales non seulement à Gaza, mais aussi à Israël et à la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est ».

Des Palestiniens affamés transportent des sacs de farine depuis un camion d’aide dans la ville de Gaza, le 19 février 2024 [Kosay Al Nemer/Reuters].

Israël a autorisé l’entrée de 15413 camions dans la bande de Gaza au cours des 157 derniers jours de guerre. Selon Oxfam, il en aurait fallu cinq fois plus pour répondre aux stricts besoins minimums de la population de Gaza.

En février, Israël a autorisé l’entrée de 2874 camions, soit 44% de moins que le mois précédent. Avant le 7 octobre, ce sont 500 camions d’aide qui, quotidiennement entraient dans la bande de Gaza.

Les soldats israéliens ont également tué des dizaines de Palestiniens qui tentaient de recevoir l’aide arrivée par camion dans plus de deux douzaines d’incidents.

Ces attaques ont conduit au meurtre d’au moins 21 Palestiniens et en ont blessé 150 autres le 14 mars, lorsque les forces israéliennes ont tiré sur des milliers de gens dans la ville de Gaza. La même zone avait été prise pour cible par les soldats israéliens quelques heures auparavant.

« L’assaut d’Israël a pris au piège les équipes humanitaires et les partenaires des agences internationales à Gaza dans un environnement « pratiquement inhabitable », en proie aux déplacements massifs et aux privations, un environnement qui voit 75% des déchets solides s’accumuler dans des décharges improvisées, et 97% des eaux souterraines être maintenant impropres à l’utilisation humaine et où l’État israélien utilise la famine comme une arme de guerre » indique Oxfam.

Oxfam ajoute que plus aucun endroit de Gaza n’est sûr « en raison des déplacements forcés et souvent multiples de la quasi-totalité de la population, ce qui rend la distribution structurée de l’aide non viable, et sape également la capacité des agences à aider à restaurer les services publics vitaux ».

Plus de 100 Palestiniens tués et au moins 750 blessés quand Tsahal a ouvert le feu sur un groupe de gens qui attendaient des camions d’aide humanitaire. 23 février 2024 (Source Al Jazeera)

Oxfam fustige Israël qui mène des attaques « disproportionnées » et « aveugles » contre « les ressources civiles et humanitaires », comme « les installations solaires, d’eau, d’électricité et d’assainissement, les locaux des Nations unies, les hôpitaux, les routes, les convois d’aide et les entrepôts, même lorsque ces actifs sont censés faire l’objet d’une « déconfliction » après que leurs coordonnées ont été partagées à des fins de protection ».

Le ministère de la santé de Gaza a déclaré lundi qu’au moins 31726 personnes ont été tuées depuis le début de l’attaque israélienne il y a cinq mois. Ce bilan inclut au moins 81 décès au cours des dernières 24 heures, selon un communiqué du ministère, qui ajoute que 73792 personnes ont été blessées à Gaza depuis le 7 octobre.

Des milliers d’autres personnes sont portées disparues, souvent ensevelies sous les décombres. Aucune de ces stratégies israéliennes ne sera modifiée par la construction d’un « port temporaire ».

En fait, compte tenu de l’assaut terrestre imminent sur Rafah, où 1,2 million de Palestiniens déplacés sont entassés dans des villes de tentes ou campent en plein air, les tactiques d’Israël ne feront qu’empirer.

Des Palestiniens inspectent un centre de distribution d’aide géré par l’UNRWA après une frappe israélienne à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 13 mars 2024 [Mohammed Salem/Reuters].

Israël, à dessein, est en train de créer une crise humanitaire aux proportions tellement catastrophiques, avec des milliers de Palestiniens tués par des bombes, des obus, des missiles, des balles, la famine et des maladies infectieuses, que la seule option sera la mort ou la déportation.

C’est sur la jetée de ce port que se jouera le dernier acte de cette effroyable campagne génocidaire, lorsque les Palestiniens seront entassés par les soldats israéliens sur des bateaux.

Il est donc tout à fait opportun que l’administration Biden, sans laquelle ce génocide n’aurait pu être mené à bien, en facilite la construction. Si cet article vous a touché, partagez-le avec vos amis et aidez-nous à développer notre réseau !

Chris Hedges

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