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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2024-035

En Afrique, la lutte contre le terrorisme engendre plus de terrorisme

Par Nick Turse, traduction par Jocelyne Le Boulicaut

jeudi 4 avril 2024, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

En Afrique, la lutte contre le terrorisme engendre plus de terrorisme

Le 12 février 2024 par Nick Turse

Nick Turse est rédacteur en chef de TomDispatch, il fait partie du Type Media Center.

Des soldats des Forces armées nigériennes s’entraînent au combat rapproché avec des conseillers des forces spéciales américaines lors de Flintlock 2018, le 13 avril 2018 à Agadez, au Niger. Flintlock est un exercice militaire et d’application de la loi intégré, annuel et dirigé par l’Afrique, qui a renforcé les forces clés des pays partenaires dans toute l’Afrique du Nord et de l’Ouest, ainsi que les forces d’opérations spéciales occidentales depuis 2005 (Photo par le sergent-chef Daniel Love)

Le terrorisme en Afrique a augmenté de 100000% depuis le début de la « guerre contre le terrorisme ».

Un nouveau rapport du ministère de la défense des Etats Unis indique que la violence sur le continent est aujourd’hui bien pire qu’à l’époque où l’armée américaine est intervenue pour « apporter son aide ».

Selon une nouvelle étude de l’Africa Center for Strategic Studies, une institution de recherche du Pentagone, le nombre de morts dus au terrorisme en Afrique a augmenté de plus de 100 000% [100 000% équivaut à 1000 fois plus, NdT] au cours de la guerre contre le terrorisme menée par les États-Unis.

Ces résultats contredisent les affirmations du Commandement américain pour l’Afrique (AFRICOM) selon lesquelles cette guerre mettrait en échec les menaces terroristes sur le continent et assurerait la sécurité et la stabilité.

Pour l’ensemble de l’Afrique, le département d’État a recensé neuf attaques terroristes en 2002 et 2003, qui ont fait 23 victimes au total.

À l’époque, les États-Unis commençaient tout juste à déployer un effort de plusieurs décennies pour fournir des milliards de dollars d’aide à la sécurité , former des milliers de militaires africains, établir des dizaines d’avant-postes, envoyer leurs propres commandos dans un large éventail de missions.

Mais aussi créer des forces supplétives, lancer des frappes de drones et même s’engager dans des combats au sol avec des militants en Afrique.

En vert, les pays où il y a une présence des forces spéciales américaines (Avec l’aimable autorisation du Mail and Guardian)

La plupart des Américains, y compris des membres du Congrès, ne prennent absolument pas conscience de l’ampleur de ces opérations, ni du peu d’effet qu’elles ont eu sur la protection des vies africaines [Des sénateurs importants déclarent qu’ils ne savaient pas que les États-Unis avaient des troupes au Niger, NdT]

L’année dernière, les décès dus à la violence islamiste militante en Afrique ont augmenté de 20%, passant de 19412 en 2022 à 23322, atteignant « un niveau record de violence meurtrière », selon l’Africa Center.

Cela représente presque une multiplication par deux du nombre de décès depuis 2021 et un bond de 101300 % depuis 2002-2003.

Depuis des décennies, les efforts des États-Unis en matière de lutte contre le terrorisme en Afrique se concentrent sur deux fronts principaux : La Somalie et le Sahel de l’Ouest de l’Afrique. L’année dernière, chacun de ces pays a connu une flambée du terrorisme.

Les forces d’opérations spéciales américaines ont été envoyées pour la première fois en Somalie en 2002, elles ont été suivies d’une aide militaire, et d’un envoi de conseillers et d’entrepreneurs privés.

Plus de 20 ans plus tard, les troupes américaines mènent toujours des opérations antiterroristes, principalement contre le groupe militant islamiste al-Shabaab.

À cette fin, Washington a fourni des milliards de dollars d’aide à la lutte contre le terrorisme, selon un rapport publié en 2023 par le projet Costs of War de l’université Brown.

Les Américains ont également mené plus de 280 frappes aériennes et raids de commando et créé de nombreuses forces supplétives pour mener des opérations militaires à bas bruit.

Département de la Défense (Adrià Fruitos)

Selon l’Africa Center, la Somalie a connu « une augmentation de 22% du nombre de décès en 2023, atteignant le chiffre record de 7 643 décès ». Cela représente une multiplication par trois du nombre de décès depuis 2020.

Les conclusions sont encore plus accablantes pour le Sahel. En 2002 et 2003, le département d’État n’a recensé que neuf attaques terroristes en Afrique. Aujourd’hui, les nations du Sahel ouest-africain sont aux prises avec des groupes terroristes qui se sont développés, ont évolué, se sont scindés et se sont reconstitués..

Sous la bannière noire du militantisme djihadiste, des hommes à moto - portant des lunettes de soleil et des turbans et armés d’AK-47 - déboulent dans les villages pour imposer leur conception rigoureuse de la charia et terroriser, agresser et tuer les civils.

Les attaques incessantes de ces djihadistes ont déstabilisé le Burkina Faso, le Mali et le Niger. « Le nombre de morts au Sahel a presque triplé par rapport aux niveaux observés en 2020 », selon le rapport du Centre pour l’Afrique.

« Les décès au Sahel représentaient 50% de tous les décès liés à l’islamisme militant signalés sur le continent en 2023 ».

Au moins 15 officiers ayant bénéficié de l’aide américaine en matière de sécurité ont été impliqués dans 12 coups d’État en Afrique de l’Ouest et dans le grand Sahara pendant la guerre contre le terrorisme.

La liste comprend des officiers du Burkina Faso (2014, 2015 et deux fois en 2022), du Tchad (2021), de la Gambie (2014), de la Guinée (2021), du Mali (2012, 2020 et 2021), de la Mauritanie (2008) et du Niger (2023).

Au moins cinq dirigeants de la junte nigérienne, par exemple, ont reçu une aide américaine, selon un fonctionnaire américain.

Ils ont à leur tour nommé cinq membres des forces de sécurité nigériennes formés aux États-Unis pour occuper les fonctions de gouverneurs de ce pays.

Ces coups d’État militaires ont compromis les objectifs américains visant à assurer la stabilité et la sécurité des Africains, mais les États-Unis ont hésité à rompre leurs liens avec ces régimes voyous.

Malgré le coup d’État nigérien, par exemple, les États-Unis continuent de maintenir des troupes en garnison et de mener des missions à partir de leur importante base de drones.

Les juntes ont également multiplié les atrocités . Citons le colonel Assimi Goïta, qui a travaillé avec les forces d’opérations spéciales américaines, participé à des exercices d’entraînement américains et fréquenté l’Université des opérations spéciales conjointes en Floride avant de renverser le gouvernement malien en 2020.

Des centaines de personnes soutenant le coup d’État au Niger se sont rassemblées à Niamey, au Niger, le 3 août 2023 (Photo : AFP via Getty Images)

Goïta s’est ensuite emparé du mandat de vice-président dans un gouvernement de transition officiellement chargé de ramener le pays vers un régime civil, avant de s’emparer à nouveau du pouvoir en 2021.

La même année, la junte de Goïta aurait autorisé le déploiement des forces mercenaires Wagner, liées à la Russie, pour combattre les militants islamistes au terme de près de vingt ans d’échec des efforts de lutte contre le terrorisme soutenus par l’Occident.

Wagner - un groupe paramilitaire fondé par feu Yevgeny Prigozhin, un ancien vendeur de hot-dogs devenu chef de guerre - a été impliqué dans des centaines de violations des droits humains aux côtés de l’armée malienne soutenue de longue date par les États-Unis, y compris un massacre en 2022 qui a tué 500 civils.

La loi américaine interdit généralement aux pays de recevoir une aide militaire à la suite d’un coup d’État, mais les États-Unis ont continué à fournir une assistance aux juntes sahéliennes.

Bien que les coups d’État de Goïta en 2020 et 2021 aient déclenché l’interdiction de certaines formes d’aide à la sécurité de la part des États-Unis, l’argent des contribuables américains a continué de financer ses forces.

Selon le Département d’État, les États-Unis ont fourni plus de 16 millions de dollars d’aide à la sécurité au Mali en 2020 et près de 5 millions de dollars en 2021.

En juillet 2023, le Bureau de lutte contre le terrorisme du département attendait l’approbation du Congrès pour transférer 2 millions de dollars supplémentaires au Mali. (Le département d’État n’a pas répondu à la demande de mise à jour du magazine en ligne Responsible Statecraft concernant ce financement).

De même, l’armée du Burkina Faso a tué de nombreux civils lors de frappes de drones l’année dernière, selon un récent rapport publié par Human Rights Watch.

Ces attaques, qui visaient des militants islamistes sur des marchés bondés et lors de funérailles, ont fait au moins 60 morts et des dizaines de blessés parmi les civils. Pendant plus d’une décennie, les États-Unis ont consacré des dizaines de millions de dollars à l’aide à la sécurité du Burkina Faso.

Selon la porte-parole Kelly Cahalan, le Commandement des États-Unis pour l’Afrique (AFRICOM) « ne fournit pas actuellement d’assistance au Burkina Faso ». Mais elle n’a pas répondu aux questions visant à clarifier ce que cela signifie exactement.

L’année dernière, le commandant de l’AFRICOM, le général Michael Langley, a admis que les États-Unis avaient continué à fournir une formation militaire aux forces burkinabé .

Ces troupes, par exemple, ont participé à Flintlock 2023, un exercice d’entraînement annuel organisé et financé par le Commandement des opérations spéciales des États-Unis en Afrique. Néanmoins, le Burkina Faso a enregistré 67% des décès liés à l’islamisme militant au Sahel (7762) en 2023, selon l’Africa Center.

Le commandement américain pour l’Afrique se targue de « contrer les menaces transnationales et les acteurs malveillants et de promouvoir la sécurité, la stabilité et la prospérité régionales » en aidant ses partenaires africains à assurer « la sécurité et la défense » de leurs populations.

Photographie prise par un témoin après l’attaque d’un marché près de Boulkessi, région de Mopti, Mali, le 18 novembre 2023 (© 2023 Private)

Le fait que les décès de civils dus à la violence des militants islamistes aient atteint des niveaux record, selon l’Africa Center, et qu’ils aient augmenté de 101300 % pendant la guerre contre le terrorisme, prouve le contraire.

L’AFRICOM a transmis les questions relatives aux conclusions du nouveau rapport de l’Africa Center au bureau du secrétaire à la défense. Le Pentagone n’a pas répondu aux questions avant la publication.

Nick Turse

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