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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2020-59

SAGEGATE : DEUXIEME EPISODE

Par Nafeez Ahmed, traduit par Jocelyne le Boulicaut

mercredi 12 août 2020, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT enseignante universitaire d’anglais retraitée pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

SAGEGATE : DEUXIEME EPISODE

L’immunité collective a été imposée au groupe consultatif scientifique du gouvernement sous le contrôle de Dominic Cummings

Le 3 juillet 2020 par Nafeez Ahmed

Enquête de Nafeez Ahmed sur la façon dont l’adoption de cette politique farfelue, qui aurait pu entraîner un demi-million de morts, a coïncidé avec la présence du controversé conseiller en chef de Boris Johnson

Groupe consultatif scientifique sur les urgences

Les procès-verbaux du Groupe consultatif scientifique sur les urgences (SAGE) du gouvernement confirment non seulement que le gouvernement n’a à aucun moment envisagé sérieusement la possibilité de supprimer le Coronavirus, mais ils jettent aussi un nouvel éclairage sur sa fascination pour l’idée d’une "immunité collective".

L’immunité collective se produit lorsque dans une population, un nombre suffisamment important de personnes sont immunisées, empêchant ainsi la transmission d’un virus. En général, elle est obtenue uniquement grâce à la vaccination, mais dans certains cas, les scientifiques s’accordent à dire qu’elle peut se construire de façon naturelle au fil du temps.

Les procès-verbaux du SAGE que j’ai étudiés fournissent des preuves circonstancielles convaincantes que, contrairement aux démentis officiels, l’immunité collective était une stratégie du gouvernement central - même si les scientifiques du SAGE étaient absolument incapables de lui trouver une justification scientifique.

Des infections asymptomatiques - Recherche de l’immunité collective

Le 13 février, le jour même où le gouvernement a voulu évaluer l’impact des fermetures d’écoles sur "l’économie au sens large", le compte-rendu du SAGE révèle qu’il a été décidé de créer un autre sous-groupe, le SPI-B (Scientific Pandemic Influenza - Behaviour = Science de la pandémie de la grippe - étude du comportement), "pour fournir des conseils en sciences du comportement via le SAGE tout au long de la séquence".

Un groupe représentatif de spécialistes du comportement de l’IPS-B a ensuite conseillé au gouvernement de se servir de l’immunité collective pour justifier une politique de "protection" des personnes âgées et vulnérables, tout en permettant au reste de la population d’être infectée par le Coronavirus.

Jusqu’à la mi-mars, les documents du SAGE confirment que le gouvernement a continué à tabler sur une "transmission soutenue" du virus au Royaume-Uni, tout en refusant de mettre en œuvre quelque mesure que ce soit susceptible d’empêcher que cela ne se produise. Le 18 février, par exemple, le procès-verbal du SAGE se termine par ces mots : "Alors qu’au Royaume Uni, la transmission est soutenue, tracer les contacts ne sert à rien".

Le gouvernement n’essayait pas d’empêcher les gens d’être infectés et de mourir, mais son but était de maintenir la situation à un niveau qui n’entraînerait pas l’effondrement du système de santé.

Le gouvernement a également montré un intérêt particulier dans la prise en compte de l’ampleur des cas asymptomatiques au Royaume-Uni - ce qui est directement pertinent pour la stratégie d’immunité collective.

Alors qu’il est bien plus facile de tracer le nombre de gens présentant des symptômes, si davantage de personnes avaient été infectées sans présenter de symptômes, cela indiquerait un degré de transmission plus élevé - donnant ainsi une indication quant à la progression de l’immunité collective. En conséquence, le procès-verbal du SAGE a appelé à des efforts pour "mieux comprendre les cas asymptomatiques" par le biais d’une "campagne de tests plus extensive des voyageurs venant du monde entier et revenant au pays".

En date du 27 février, lors d’une réunion à laquelle assistait Ben Warner conseiller de Dominic Cummings du 10 Downing Street, le SAGE a revu ses hypothèses concernant un scénario raisonnable de la pire éventualité. Il a déclaré : "80% de la population britannique pourrait être infectée, avec un taux de mortalité global de 1 % pour les personnes infectées."

Il a également ajouté que : "Seule une partie des personnes infectées présenteront des symptômes". Bien que semblant anodine, cette observation est cruciale car le gouvernement semblait croire qu’un nombre beaucoup plus important de personnes étaient infectées de manière asymptomatique, ce qui est conforme à l’espoir qu’il formait que sa stratégie irait potentiellement vers l’obtention d’une immunité collective.

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Mais il semble aussi qu’il avait accepté le fait que cela lui coûterait très cher. Les hypothèses de travail du gouvernement indiquaient que jusqu’à 500 000 personnes pourraient mourir de la COVID-19.

A peine une semaine plus tôt, les chiffres du gouvernement produits par le groupe consultatif sur les menaces de virus respiratoires nouveaux et émergents (NERVTAG) avaient avancé un chiffre encore plus mauvais, pouvant aller jusqu’à 1,3 million de morts. Ces chiffres, mis à jour par le SAGE le 27 février, montraient que le gouvernement estimait que quelque 37 % des personnes infectées seraient asymptomatiques.

En dépit des chiffres avancés par le gouvernement indiquant que celui-ci était en route vers un taux de mortalité colossal, les mesures de distanciation physique n’ont été mises en œuvre que des semaines plus tard, lorsque le gouvernement a réalisé que les capacités du NHS [service de santé du Royaume-Uni ; NdT] seraient dépassées. Le gouvernement n’essayait pas d’empêcher les gens d’être infectés et de mourir, mais tentait de maintenir la situation à un niveau qui n’entraînerait pas l’effondrement du système de santé.

Deux mois de réflexion sur l’immunité collective

Au début du mois d’avril, le Byline Times a obtenu, par une fuite, les enregistrements d’un appel confidentiel du ministère de l’intérieur dévoilant des propos de Rupert Shute, conseiller scientifique en chef adjoint, disant au personnel que "nous y serons tous exposés [à la COVID-19] à un moment donné".

Selon la "modélisation actuelle sur laquelle nous travaillons, 80 % des personnes en seront atteintes - parmi celles-ci, une grande partie ne réalisera pas qu’elle l’a", a-t-il déclaré. "Une autre partie importante aura des symptômes très, très légers. Et une toute petite partie aura une réaction très signiificative".

Ce que le SAGE décrivait comme un "pire scénario envisageable" était activement recherché par le gouvernement en tant que stratégie, deux mois après avoir été discuté pour la première fois en février. Les événements qui ont suivi ces réunions SAGE de février, sur une période particulière de trois jours, au début du mois de mars sont essentiels.

Les documents montrent que le conseiller principal du Premier ministre, Dominic Cummings, a joué un rôle direct dans les réunions du SAGE au cours desquelles une stratégie d’immunité collective a fini par déterminer l’approche du gouvernement en matière de "confinement" ou distanciation sociale.

Le 3 mars, le SAGE a enfin commencé à discuter de l’impact des "interventions comportementales et sociales potentielles sur la propagation d’une épidémie de COVID-19 au Royaume-Uni". Cependant, la seule mesure tangible qui a été proposée est "la distanciation physique pour les plus de 65 ans".

Le lendemain, un groupe de conseillers du gouvernement en sciences du comportement s’est fait l’avocat d’une stratégie visant à n’isoler que les "groupes à risque" tout en permettant au reste de la population d’acquérir une "immunité".

La fuite d’un appel du ministère de l’intérieur révèle que le gouvernement croit que "nous serons de toutes façons tous atteints de la COVID-19 Nafeez Ahmed

Au sein du SAGE, cette idée d’immunité" n’était pas fondée sur la recherche scientifique, mais a été décrite par les membres du groupe SPI-B comme une stratégie de communication vers le public pour contribuer à dissiper la confusion quant à une politique du gouvernement consistant à "ne pas avoir recours à un isolement physique à grande échelle tout en recommandant l’isolement des groupes à risque... Un des points de vue étant qu’expliquer que les membres de la communauté construisent une certaine immunité rendrait la mesure acceptable".

Le 5 mars, le procès-verbal du SAGE confirme que le gouvernement a décidé d’adopter cette approche. Cummings, Warner et David Halpern, chef de l’équipe d’analyse du comportement du Cabinet Office (connue sous le nom de "nudge unit"), étaient présents à la réunion au cours de laquelle cette décision a été prise.

Le compte rendu montre que les participants se sont mis d’accord pour recommander "l’isolement social (confinement) des personnes de plus de 65 ans ou souffrant de maladies sous-jacentes afin de retarder la propagation, de modifier le pic de l’épidémie et de réduire les taux de mortalité".

Conformément à l’avis du SPI-B relayé la veille, on a en même temps conseillé au gouvernement d’éviter d’autres mesures de distanciation physique telles que l’interdiction des grands rassemblements publics, la limitation des interactions sociales dans les espaces publics et la fermeture des écoles. Au lieu de cela, il a été convenu que l’accent serait mis uniquement sur "le confinement des patients âgés et vulnérables", bien que cette mesure commence plus tard et doive se prolonger plus longtemps".

En date du 10 mars, le SAGE avertissait le gouvernement que le pays n’avait que quatre à cinq semaines de retard par rapport à la situation en Italie. Et pourtant on a continué d’insister pour que le gouvernement ne cherche pas à supprimer le Coronavirus au motif que cela rendrait inévitable une deuxième vague.Le lendemain, Halpern a déclaré à BBC News que quand les groupes à risque "sortiront de leur confinement, [le plan est que] l’immunité collective aura été atteinte dans le reste de la population".

Tout au long de cette période, aucune preuve scientifique de l’immunité collective n’a été soumise au débat ou ratifiée par le SAGE.

La fin d’une idée irréalisable

Ce n’est que plus tard que le gouvernement a commencé à réaliser que son approche optimiste précédente avait permis au Coronavirus de devenir beaucoup plus endémique et ce à un rythme bien plus rapide que prévu - d’une manière qui pourrait submerger le NHS.

Un peu moins d’une semaine plus tard, il est apparu clairement que le gouvernement s’efforçait de suivre le rythme des événements et, soudain, les conseils du SAGE ont changé et sont allés jusqu’à demander des mesures de distanciation physique plus draconiennes, ce qui avait pourtant été précédemment jugé "inefficace".

"Sur la base des données accumulées, notamment concernant la capacité de soins intensifs du NHS, les conseils du SAGE ont évolué en matière de rapidité de mise en œuvre des interventions complémentaires", peut-on lire dans le compte-rendu du 16 mars. " le SAGE indique qu’il existe des preuves manifestes en faveur de l’introduction de mesures supplémentaires de distanciation physique le plus tôt possible". Il était également clair que le SAGE semblait particulièrement confus quant à l’efficacité de ces mesures de distanciation physique car le gouvernement n’avait pas demandé au groupe d’en faire une modélisation - jusqu’à présent.

Le procès-verbal note qu’une "analyse et une modélisation plus poussées" des fermetures potentielles d’écoles et de nombreuses autres mesures de distanciation physique sont nécessaires pour que le gouvernement puisse arrêter ses nouvelles décisions.

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Mais cela soulève une question flagrante : pourquoi cette analyse et cette modélisation n’ont-elles pas été faites beaucoup plus tôt ? Les minutes de ce procès-verbal peuvent être considérées comme un aveu non intentionnel indiquant que, jusqu’à ce moment là, la compréhension scientifique du gouvernement concernant l’efficacité des mesures de distanciation physique manquait de consistance et était insuffisamment étayée pour guider ses décisions politiques.

Il en va de même pour l’approche de l’"immunité collective", qui semble avoir continué de présenter un intérêt majeur même après le confinement. Le 26 mars - trois jours après le début du confinement - le procès-verbal de la réunion du SAGE indiquait que le gouvernement "doit également en apprendre plus sur l’immunologie et ses implications".

Au cours de cette même réunion, on l’a chargé de reporter son attention sur les "futures phases de l’épidémie" au cours desquelles le gouvernement pourrait "publier les mesures actuelles en toute sécurité et donner des conseils sur les questions à long terme". Ce n’est que vers la mi-avril que le SAGE a commencé à traiter sérieusement les données scientifiques sur l’immunité. Ce qu’il a trouvé a remis en question de manière décisive l’idée que l’"immunité collective" pouvait être une stratégie viable.

Une série de comptes rendus de réunions de cette période montrent que le SAGE a tardivement admis qu’il n’y avait "aucune preuve indiquant un niveau élevé d’immunité de la population à ce stade de la pandémie", que la durée de l’immunité n’était pas claire et que, par conséquent, l’idée de débloquer l’économie par la distribution massive de passeports d’immunité pour les personnes ayant guéri du Coronavirus était prématurée.

Fin avril, le SAGE avait enfoncé le dernier clou dans le cercueil du fantasme de l’immunité collective. Mais, au lieu d’un changement de direction positif, cela a conduit à une nouvelle phase dangereuse dans la stratégie du gouvernement.

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