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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2021-28

Quel sera l’effet du décret "Buy American" de Joe Biden ?

Par The Economist, traduit par Jocelyne le Boulicaut

jeudi 4 mars 2021, par JMT

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Quel sera l’effet du décret "Buy American" (achetez américain) de Joe Biden ?

Washington 26 janvier 2021 The Economist https://www.economist.com/finance-and-economics/2021/01/26/what-effect-will-joe-bidens-buy-american-order-have

Travailleur US

Dans la pratique, il se peut qu’il n’ait pas beaucoup d’effet sur les partenaires commerciaux

Les dollars des contribuables américains devraient être dépensés pour des biens américains fabriqués par des travailleurs américains et avec des pièces fabriquées aux États-Unis. Voilà ce que déclare le président Joe Biden, nouvellement installé à la Maison Blanche.

Le 25 janvier, il a signé un décret visant à mettre entre les mains des Américains une plus grande partie des 600 milliards de dollars de dépenses fédérales annuelles en matière de marchés publics. Cet ordre était d’esprit protectionniste : davantage de pièces faites maison signifie moins de pièces étrangères. Mais les engagements internationaux de l’Amérique impliquent également que les mesures de M.Biden pourraient ne pas avoir beaucoup d’effet.

Les efforts des États-Unis pour restreindre l’accès aux marchés publics remontent à près de 100 ans. En 1933, Herbert Hoover a signé le Buy American Act (BAA) [loi fédérale américaine qui impose l’achat de biens produits sur le territoire américain pour les achats directs effectués par le gouvernement américain,NdT], qui vise à créer des emplois américains en limitant la façon dont les achats fédéraux directs sont effectués.

Cette loi stipule que les agences doivent préférer les soumissionnaires nationaux pour les contrats basés aux États-Unis qui sont d’une valeur supérieure à 10 000 dollars, à condition qu’au moins 50 % des biens concernés soient faits maison et (pour les grandes entreprises) que leur coût ne dépasse pas de plus de 6 % l’alternative étrangère la moins chère.

Plus récemment, le président Donald Trump a signé jusqu’à dix décrets pour tenter d’évincer les fournisseurs étrangers. En conséquence, à partir du 22 février, pour bénéficier du statut privilégié, les produits sidérurgiques devront être fabriqués nationalement à hauteur de 95 %. D’autres biens devront être faits maison à hauteur de 55 % au moins. Et l’avantage tarifaire augmentera, allant jusqu’à 20 %.

M.Biden pourrait accepter ces nouveaux seuils ou les relever encore plus. Il veut également s’assurer que les productions éligibles soutiennent réellement les emplois américains (bien que l’on ne sache pas très bien comment il pourrait arriver à le savoir). Les entreprises qui demandent des dérogations verront leurs demandes rendues publiques.

Les agences rechercheront des petites entreprises pour combler les manques. Et les autorités examineront la liste des produits qui seraient considérés comme exemptés du BAA en raison de leur indisponibilité en quantités suffisantes en Amérique, ce qui inclut les équipements de protection individuelle, le tungstène et le venin de cobra.

En campagne électorale en septembre dernier, le candidat Joe Biden défendait la doctrine de « Buy American ». Pour l’Europe, il s’agit de protectionnisme américain. — © Patrick Semansky/AP

Qu’est-ce que cela implique pour les entreprises ? Les entrepreneurs se sont lassés des promesses d’éviction des fournisseurs étrangers. Jimmy Christianson, de l’Associated General Contractors of America (AGC), affirme que, à moins que quelque chose ne se passe sur le terrain, ses membres « s’en fichent plutôt ». Si certains souhaitent que les changements de M.Trump aillent plus loin, d’autres sont loin d’être ravis.

Un représentant de Netzsch Pumps North America, par exemple, s’est plaint de la difficulté à trouver des composants faits maison, ce qui ferait augmenter les prix. Avec seulement 30 % de leur activité destinés aux marchés publics, cette charge supplémentaire « va certainement tuer notre capacité à être compétitifs sur les marchés en dehors des États-Unis. »

Les modifications apportées par M. Biden au processus de dérogation semblent compliquées, estime Jean Grier, expert en marchés publics. M. Christianson fait remarquer qu’elles pourraient avoir un « impact négatif » sur le nombre de licences accordées.

Si le gouvernement fédéral cherche à canaliser rapidement des fonds vers des produits pour lesquels il n’existe pas de chaînes d’approvisionnement en Amérique, un processus de dérogation qui serait bloqué pourrait retarder les projets. C’est ce qui s’est passé en 2009, explique Brian Turmail, également de l’AGC, lorsque les États se sont vu demander de dépenser des dollars fédéraux pour les infrastructures hydrauliques américaines, alors que certains des composants n’étaient pas disponibles.

Les partenaires commerciaux de l’Amérique pourrait considérer tout cela comme une forme de snobisme. Dans la pratique, cependant, les changements de règles n’affectent peut-être pas beaucoup les gros contrats. Les marchés d’une valeur supérieure à 182 000 dollars sont ouverts aux 20 autres membres de l’Accord sur les marchés publics (AMP), qui comprend l’Australie, le Canada, l’Union européenne et le Japon, ainsi qu’aux membres d’autres accords commerciaux.

Le Government Accountability Office a estimé qu’en 2014-15, environ 5 milliards de dollars sur les 291 milliards de dollars de dépenses fédérales, en matière de marchés publics évalués, sont allés à des entreprises appartenant aux six principaux pays fournisseurs. Selon une autre estimation, la valeur des importations (y compris les composants) serait plus élevée, atteignant 9 %. Sans modifications législatives – notamment celles apportées par l’AMP – il sera difficile de priver les étrangers de leur part dans les marchés publics fédéraux.

M.Biden a déclaré qu’il souhaitait travailler avec les partenaires commerciaux pour « moderniser les règles du commerce international, y compris celles relatives aux marchés publics ». Mais cela aussi sera difficile : lorsqu’en novembre, l’administration Trump a voulu soustraire certains produits médicaux de l’AMP, elle a été fustigée par la Grande-Bretagne, la Suisse et l’UE.

Quitter l’AMP, avertit Mme Grier, pourrait priver l’Amérique de marchés publics de services à l’étranger. Certains partenaires commerciaux craignent que M.Biden, lassé de modifier les règles relatives aux dépenses fédérales, n’impose des conditions trop strictes sur la manière dont les États dépensent les fonds de relance, ce qui ne relève pas de l’AMP. Cela pourrait cependant créer des problèmes en interrompant les chaînes d’approvisionnement.

Le « Buy American » de Biden n’est pas forcément mauvais, il est nécessaire (pour US politics and policy, © Matt Kenyon)

Après avoir exclu le Canada des dépenses de relance en 2009, par exemple, la production nord-américaine intégrée a amené l’administration Obama à faire une exception. Tenir des propos protectionnistes pendant une campagne électorale est facile. Les mettre en pratique est une autre affaire.

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