AID Association Initiatives Dionysiennes

Ouv zot zié !

Accueil > Ecologie > Transports > Pourquoi les petites lignes de train sont en grand danger

D’après Alternatives Economiques du 11 Juillet 2022

Pourquoi les petites lignes de train sont en grand danger

Par Bruno BOURGEON

jeudi 22 septembre 2022, par JMT

Pourquoi les petites lignes de train sont en grand danger

TER automoteur diesel AGC X76575/76 en service dans la région Grand-Est

Entendra-t-on encore siffler le train dans de petites localités, dans quelques années ? Le gouvernement l’avait assuré… et avait dans un premier temps envoyé quelques signaux concrets. Après un quinquennat Hollande marqué par l’arrêt des trains de nuit et un désintérêt pour les petites lignes, le premier mandat Macron a constitué un tournant assez net.

Dès février 2018, Edouard Philippe avait enterré le rapport Spinetta qui proposait de fermer les lignes les moins rentables. « On ne décide pas de la fermeture de 9000 km de lignes depuis Paris sur des critères administratifs et comptables », avait affirmé celui qui était alors Premier ministre.

Le pacte ferroviaire de 2018 et la loi d’orientation des mobilités de 2019 ont ensuite prévu une progression des investissements dans le réseau déjà existant, y compris dans les petites lignes. Enfin, pendant ce premier quinquennat, le gouvernement a repris à sa charge 35 milliards d’euros de dette de SNCF de façon à apurer ses comptes et lui permettre d’investir de nouveau.

Mais si l’on ne décide pas de la fermeture de lignes depuis Paris, on peut y choisir de les laisser mourir à petit feu. La recette est bien connue : investir insuffisamment, laisser le service se détériorer, pointer le manque de fréquentation, et conclure que l’état de santé du malade empêche toute guérison. C’est exactement le scénario que craignent les défenseurs des petites lignes de train suite à la signature d’un document peu médiatique, mais déterminant.

Pour comprendre, petit rappel du fonctionnement du monde ferroviaire français. Le réseau tricolore se partage entre deux types de lignes : les non conventionnées (TGV et lignes internationales) et les conventionnées. Ces dernières sont gérées par l’Etat pour les Intercités et les trains de nuits, et par les régions pour les TER.

Leur rôle : définir le nombre de trains qui circulent sur ces lignes, leur prix, puis choisir (et rémunérer) un opérateur pour l’exploitation. L’ouverture à la concurrence n’étant qu’à ses balbutiements, il s’agit aujourd’hui quasiment partout de SNCF Voyageurs.

Voilà pour les trains. Le rail est, lui, essentiellement géré par SNCF Réseau, chargé d’entretenir et régénérer l’infrastructure. Pour cela, elle prélève des péages sur tous les trains. SNCF Voyageurs paye pour les trains qu’elle fait circuler sur les voies de TGV, l’Etat passe à la caisse pour les Intercités et les trains de nuit, et les régions pour les TER qui parcourent les lignes régionales. A cela s’ajoutent des financements directs de l’Etat, car les péages ne suffisent pas.

C’est tout l’objet du contrat de Performance Etat-SNCF Réseau, qui vient d’être entériné pour la période 2021-2030. Signé en catimini le 6 avril, à quatre jours du premier tour de l’élection présidentielle, ce contrat était attendu de longue date par les acteurs du transport. Dès l’hiver dernier, plusieurs institutions avaient formulé d’importantes réserves contre le contenu, alors en discussion. L’accord final n’a rien changé.

Principale critique : le niveau d’investissement que l’Etat accepte d’apporter pour entretenir et régénérer le réseau : 2,84 milliards d’euros/an. Avec cette somme, la France peut à peine entretenir le réseau existant, sans freiner son vieillissement. Il manquait, au moment de l’élaboration du contrat, au moins 1 milliard d’euros/an pour pouvoir réellement entretenir et moderniser le rail français.

Depuis, la situation a empiré en raison de l’inflation et de la guerre en Ukraine. Acier, fer, bois, etc., les coûts de construction, qui ont déjà connu une progression de 8,5% en 2021, devraient encore s’envoler de 11% cette année, puis de 8% en 2023 ! De quoi faire voler en éclats le budget.

Faut-il craindre le pire ? Les réunions entre spécialistes du secteur ne sont pas de nature à rassurer : avec l’inflation actuelle, SNCF Réseau n’aurait les moyens d’entretenir que les lignes UIC 1 à 4. Cette typologie internationale classe les lignes selon leur trafic : plus elles sont fréquentées, plus elles sont proches de 1.

Les « petites lignes », appelées « lignes de desserte fine du territoire » dans le jargon, sont essentiellement classées de UIC 7 à 9.Jusque-là, les spécialistes savaient que l’argent manquait pour les lignes UIC 7 à 9, mais espéraient que les lignes UIC 5 et 6 seraient préservées. Avec l’inflation, et sans aide supplémentaire de l’Etat, ce ne sera pas le cas. Ainsi, si l’on ne considère que les lignes UIC 1 à 4, le réseau ferré breton s’arrête à Rennes !

Dans ce contexte, peut-on espérer que l’Etat revoie sa copie ? Pour le moment, seules les paroles donnent de l’espoir. « Le ferroviaire est et restera la colonne vertébrale d’une mobilité propre. Nous continuerons les investissements de ces dernières années (…) pour les petites lignes », déclarait ainsi Elisabeth Borne lors de son discours de politique générale. Pour le moment, la Première ministre ne donne pas plus de gages que son prédécesseur.

Pour s’en convaincre, il suffit de revoir l’audition au Sénat de Bernard Roman, président de l’ART, autorité indépendante de l’exécutif. Venant commenter l’avis rendu par son institution sur le contrat Etat-SNCF Réseau, il critiquait début février « un simple contrat d’assainissement financier totalement dépourvu d’ambition industrielle », et déclarait même que le contrat « acte le vieillissement et la dégradation des lignes UIC 5 à 6 dans un contrat de performance qui est finalement le contraire d’un contrat de performance ! »

Difficile de faire plus clair. L’Etat, comme SNCF Réseau, ont bien conscience de la situation, comme en témoignent le timing de la signature ou encore le fait que ce contrat est introuvable sur leurs sites Internet respectifs…

Les défenseurs du train sont d’autant plus agacés par le manque de volonté de l’exécutif que nos voisins européens ont suivi une voie différente. L’Allemagne, dont le réseau est pourtant moins fatigué que le nôtre, a ainsi augmenté ses investissements ces dernières années.

Malgré un réseau plus étendu, et donc plus coûteux, elle investit actuellement 270000 euros par kilomètre de ligne de train, contre 200000 en France. De même, des pays comme l’Italie, les Pays-Bas, la Suède ou encore le Danemark ont profité de leur plan de relance post-Covid pour réinvestir fortement dans le train.

Autre motif d’agacement : la volonté de dépenser le moins possible à court terme finit par coûter plus cher à long terme. Ainsi, l’enveloppe d’investissement actuelle ne permet pas de faire les travaux de modernisation qui s’imposent en matière d’aiguillage ou de signalisation. La France compte 2200 postes d’aiguillage – dont certains ont plus d’un siècle – contre moins d’une vingtaine en Belgique. Investir permettrait ainsi de substantielles économies d’entretien.

A l’image de la question de l’aiguillage, la question du soutien public au financement de l’infrastructure est centrale. Sans elle, la fréquentation est condamnée à baisser. Que l’opérateur s’appelle SNCF, Trenitalia, Transdev ou Railcoop, si la compagnie est tenue de rouler à 50 km/heure pour des raisons de sécurité, les usagers s’en détourneront. Voilà pourquoi le débat sur l’ouverture à la concurrence est secondaire.

Pourquoi le gouvernement rechigne-t-il donc ? Peut-être parce que le contexte général autour du train est peu porteur. Malgré la prise de conscience environnementale croissante de la population, la fréquentation des trains n’a toujours pas retrouvé son étiage d’avant-Covid : en mars dernier en Europe, le trafic était < de 25% au niveau de mars 2019. Cette faible fréquentation incite les opérateurs à réduire l’offre, ce qui entraîne une baisse des péages versés aux gestionnaires, qui eux-mêmes réduisent leurs investissements.

De plus, le principal concurrent du train – la route – traverse les crises avec une facilité déconcertante. « Les prix du carburant ont progressé de 35% entre 2019 et aujourd’hui, calcule l’économiste Yves Crozet. Mais pendant ce temps, la consommation de carburant n’a baissé que de 7%. On voit bien que l’élasticité-prix est faible, et que les Français restent des consommateurs captifs en carburants ».

Autre indice qui montre la puissance du système automobile : la difficulté à recruter de nouveaux usagers du train. « Les dépenses publiques en faveur des transports en commun, et plus encore du ferroviaire, ont des rendements décroissants : vous devez investir énormément pour arriver à gagner des petites parts de marché.

En Ile-de-France, les élus ont beaucoup dépensé pour augmenter l’offre du transilien (+6% par an), avec un gain de passagers assez faible (+1 à 2% par an). De même, l’offre TGV a progressé de 30% autour des années 2010, avec une hausse de fréquentation de seulement 10-11% », poursuit-il.

Enfin, plusieurs spécialistes estiment que SNCF Réseau est une structure peu efficace et pas suffisamment outillée face au titanesque chantier de modernisation qu’il faudrait mener. La faute de SNCF Réseau, mais aussi de l’État. Une critique également formulée par l’ART dans son avis cité plus haut.

Dans ce contexte, faut-il se préparer à dire adieu aux petites lignes de train ? Pas forcément, mais la ligne de crête est étroite. Pour pouvoir les sauver, il faut tout d’abord revoir le modèle économique du rail basé sur des péages chers.

« Les péages ferroviaires sont en France les plus élevés d’Europe et sont plus de deux fois supérieurs à la moyenne européenne », rappelait ainsi Bernard Roman, président de l’ART. De quoi décourager les acteurs, notamment les régions, de faire rouler des trains dessus. Malgré ce record européen, le contrat de performance entre l’Etat et SNCF Réseau prévoit une hausse de ces péages de 3,6% chaque année. Intenable.

A ce coût de base élevé s’ajoute une autre règle défavorable à une progression de l’offre de train. « SNCF Réseau ne tient pas compte des coûts marginaux », explique ainsi un bon connaisseur du secteur. Elle facture de la façon suivante : si un train passe sur une ligne, elle facture 1. Si 10 trains passent sur cette même ligne, elle facture 10. Or, la quantité d’investissement nécessaire n’est pas 10 fois supérieure dans le second cas. Il faudrait facturer les trains supplémentaires à leur coût marginal » détaille-t-il.

En attendant une éventuelle remise en cause de ce modèle économique, le gouvernement a choisi de diviser les petites lignes en trois groupes. Le premier, qui regroupe 14 lignes, a été confié à SNCF Réseau. Le second groupe, plus important, fait l’objet de co-financement entre l’Etat, les régions et SNCF Réseau.

Dernier cas de figure : les toutes petites lignes dont l’Etat ne veut plus. Les régions pourront les garder, pourvu qu’elles les financent sur leurs fonds propres. Le feront-elles ? Elles ont déjà largement compensé le désengagement de l’Etat dans le ferroviaire depuis le début des années 2000, mais la facture commence à être salée.

Beaucoup de petites lignes vont survivre parce que le symbole de leur fermeture est inacceptable pour les élus locaux, mais ce sera un service minimum très dégradé. Car un symbole est à la fois très fort… et très fragile.

Bruno Bourgeon http://www.aid97400.re

D’après Alternatives Economiques du 11 Juillet 2022

Version imprimable :

PUBLICATIONS

* Courrier des lecteurs Zinfos974 du

* Tribune libre d’Imaz-Press Réunion du

* Courrier des lecteurs de Témoignages du

* Tribune libre de Clicanoo.re du

* Libre Expression sur Parallèle Sud du