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D’après Alternatives Economiques du 16 Août 2023

Une idée, laisser la mer monter

Par Bruno BOURGEON

mercredi 11 octobre 2023, par JMT

Une idée, laisser la mer monter

Baie de Lancieux

« Debout les crabes, la mer monte ! » En moins de trois ans, la baie de Lancieux, dans les Côtes d’Armor, a changé de visage. L’usure a eu raison de l’une des digues qui borde cette côte bretonne, située entre Saint-Brieuc et Saint-Malo.

Construit à la fin du XIXe siècle, cet ouvrage avait subi des brèches et des réparations successives. En avril 2020, la digue, devenue trop fragile, a de nouveau cédé. Cette fois, elle n’a pas été colmatée.

Cette ouverture a transformé le paysage de la baie : là où s’étendaient des prairies, des prés-salés se sont développés. Le point de rupture de la digue est encore bien visible, formant un énorme affaissement de terrain, dans lequel la mer s’infiltre et se retire au gré des marées.

La métamorphose de ce site s’inscrit dans la stratégie de son propriétaire. Ici, le Conservatoire du littoral (CdL) a choisi d’adopter une « gestion souple du trait de côte ». L’idée : favoriser la renaturation du littoral, en limitant la construction ou le maintien d’ouvrages en dur, tels que les digues.

Dès le XVIe siècle, des ouvrages avaient été édifiés autour de la baie pour grignoter peu à peu des terres sur la mer. Il s’agissait d’assécher des parcelles pour les cultiver.
Lancieux n’est pas une exception : 2.840 kilomètres des côtes métropolitaines, la moitié, sont artificialisés, et refigurés par des aménagements (digues, perrés, épis…).

Les activités humaines, de l’agriculture au tourisme, se sont ainsi établies sur des zones autrefois occupées par la mer. Le CdL cherche à changer ce paradigme : « On laisse juste la mer reprendre sa place », résume Gwenal Hervouët, délégué régional adjoint du CdL.

Depuis 2017, le CdL a bénéficié de fonds européens pour expérimenter cette gestion sur dix sites pilotes en France : six sur la côte atlantique et la Manche, trois en Méditerranée et un en Guyane. Adapto – nom du programme – avait pour mission d’adapter les littoraux au changement climatique.

Ces territoires y sont en effet particulièrement exposés : le GIEC s’attend à une hausse comprise entre 15 et 30 cm du niveau moyen de la mer d’ici 2050, mais aussi une multiplication des événements extrêmes, auxquels les ouvrages actuels de protection peineront à résister.

« Ils sont de moins en moins tenables financièrement et de moins en moins efficaces », assure Virginie Duvat, professeure de géographie et membre du GIEC. Les digues, ou tout autre type de murs, nécessitent un entretien régulier et des réparations de grande ampleur lorsqu’ils subissent de violentes tempêtes.

Adapto montre que des solutions fondées sur la nature (SFN) sont possibles. A Lancieux, mais aussi dans le delta de la Leyre, en Gironde, ou dans le marais de Brouage, en Charente-Maritime, des digues restent endommagées. Sur les vieux salins d’Hyères, 600 mètres d’enrochements ont été retirés.

Près des plages des petit et grand Travers, à Montpellier, une route a été déplacée. Le CdL ne rejette toutefois pas toute solution « en dur ». Des digues restent en place, et certaines ont été reconstruites sur le rétro-littoral pour continuer de protéger les habitations et activités de l’arrière-pays.

Mais la mer a pu regagner du terrain. Les financements du programme Adapto ont également permis de financer différentes études de sols, des suivis écologiques, des simulations de submersions, ou des enquêtes de perception sociale.

Des analyses coût-bénéfice ont permis d’identifier les retombées économiques des aménagements. « Sur aucun site, la gestion souple n’apparaît complètement désavantageuse », assure le consultant Cyrus Farhangi, du cabinet Collaborative People, sollicité pour Adapto.

Bien sûr, laisser l’eau envahir les côtes peut conduire à renoncer à certaines activités, notamment agricoles, ou touristiques. Mais les pertes financières générées par la réduction, voire l’abandon de ces activités au profit d’une renaturation régulée sont, pour la société, compensées.

La raison : le coût des réfections des ouvrages. A Lancieux, la mise aux normes des digues coûterait plus de 10 millions d’€, alors qu’un scénario d’adaptation, avec des digues plus petites reculées, représente 3 millions d’€.

En outre, ces réaménagements peuvent générer de nouvelles activités : à Hyères ou dans le delta de la Leyre, les travaux de renaturation ont permis de capter des touristes. « Ces activités peuvent générer des dizaines de milliers d’euros sur 30 ans », estime Cyrus Farhangi.

Enfin, la restauration d’espaces reconnectés à la mer engendre de nombreux services écosystémiques : les paysages recréés contribuent à améliorer les écosystèmes. « Certains de ces services soutiennent de manière assez directe et palpable l’activité marchande, explique Cyrus Farhangi.

En Gironde, la remise en eau, qui permet de recréer des nourriceries de poissons, peut engendrer des gains entre 1 et 2 millions d’euros pour la pêche locale sur 30 ans ». D’autres services écosystémiques ont des impacts moins directs sur l’économie marchande.

Les zones humides qui émergent à la faveur de la gestion souple servent de barrière naturelle face au risque de submersion ; elles remplacent ainsi les ouvrages en dur, tout en évitant les dépenses qu’ils supposent.

Enfin, certains bénéfices sont immatériels, et difficilement monétisables : l’enrichissement de la biodiversité, la beauté des paysages recréés, les activités de loisirs possibles sur ces lieux… Ces zones ont par ailleurs un bon potentiel de séquestration de carbone, à l’image des forêts.

« Un hectare renaturé aurait ainsi une valeur de 1.000 à 2.000 euros par an, en termes d’atténuation des effets du changement climatique », assure Cyrus Farhangi. L’économiste s’appuie ici sur le rapport Quinet, publié en 2019, qui établit une « valeur tutélaire » du carbone, c’est-à-dire un coût par tonne d’émissions évitée.

Evaluée à 250 euros par tonne de CO2 en 2030, elle passerait à 775 euros en 2050. Les conclusions de Cyrus Farhangi se basent sur une valeur tutélaire moyenne de 400 euros, à raison d’environ 3 à 5 tonnes de CO2 évitées/an/ha de prés-salés, dunes ou roselières, en cohérence avec les conclusions des études scientifiques sur le sujet.

Reste cependant à surmonter l’immense défi des contreparties pour celles et ceux qui perdent des terres en laissant la mer monter. Sur les sites d’Adapto, la question de renoncer à des activités agricoles ou économiques s’est peu posée : le Conservatoire est majoritairement propriétaire, peu soumis à des enjeux socio-économiques.

Certaines activités agricoles ont toutefois dû être abandonnées, comme à Lancieux. Les terres étaient jusque-là exploitées en pâturage ou en élevage par des agriculteurs, liés par une convention au Conservatoire, propriétaire de ces terres. Lorsque ce dernier a décidé de ne pas réparer la digue, il a fallu chercher une solution pour compenser les pertes des éleveurs.

« Il était impossible de compenser un hectare pour un hectare, explique Gwendal Hervouët. Nous n’avons pu proposer qu’une compensation à hauteur de 25% de leurs terres ». En outre, dans cette zone désormais submersible, le Conservatoire a racheté une maison à des propriétaires privés et a aidé à reloger les locataires.

Les problématiques foncières et financières apparaissent donc au cœur d’une mise en œuvre plus étendue d’une gestion souple du trait de côte. Le rachat de terrains susceptibles d’être renaturés, le dédommagement d’exploitants agricoles ou touristiques, le relogement de propriétaires ou de locataires de biens privés…

Ces opérations préalables à une renaturation des littoraux supposent de convaincre les acteurs concernés, mais aussi de trouver des financements. Laisser la mer monter pose enfin des difficultés culturelles. Annoncer qu’on ne va pas réparer une digue est impopulaire.

« Les bénéfices associés aux solutions fondées sur la Nature (SFN) s’expriment sur le temps long, alors que les acteurs politiques prennent généralement des décisions à court terme », poursuit l’économiste, qui souligne les « aléas » de la gestion souple : « on ne reprochera jamais à un préfet de construire une digue en béton, même si celle-ci lâche.

Mais s’il fait des expérimentations avec des SFN, qui ne fonctionnent pas, sa responsabilité risque d’être engagée ». L’idée de laisser monter l’eau rencontre donc des freins politiques, culturels et financiers qui pourraient s’avérer plus résistants qu’une dune attaquée par l’océan. La pensée écologique s’oppose une fois de plus aux contraintes socio-économiques.

Bruno Bourgeon, président d’AID http://www.aid97400.re

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