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D’après Alternatives Economiques du 05 Janvier 2024

Faut-il préserver ou continuer d’exploiter la forêt française ?

Par Bruno BOURGEON

lundi 29 janvier 2024, par JMT

Faut-il préserver ou continuer d’exploiter la forêt française ?

À la fois matériau et combustible, le bois peut jouer un rôle clé dans la transition écologique, à condition d’optimiser son usage sans surexploiter des forêts déjà menacées.

Après avoir rétréci pendant des siècles, la forêt française a vu sa surface doubler depuis le début du XIXe siècle, mais elle est désormais de plus en plus menacée par le réchauffement climatique. La mortalité des arbres a augmenté de 80% en dix ans selon l’IGN, et leur capacité à capter du CO2 a été divisée par deux depuis 2010.

Le puits de carbone français – majoritairement composé des forêts – s’est effondré : alors qu’il captait 58 millions de tonnes équivalent CO2 (MtCO2eq) en 2010, seulement 16,9 MtCO2eq ont été séquestrées en 2022, selon le dernier bilan de l’Observatoire Climat-Energie, piloté par le Réseau Action Climat (RAC).

Le taux d’échec des nouvelles plantations a lui aussi explosé, atteignant 38% en 2022 contre environ 20% auparavant, selon un rapport du Conseil supérieur de la forêt et du bois (CSFB), qui réunit pouvoirs publics, acteurs économiques et scientifiques.

Réservoirs de carbone et de biodiversité, les forêts sont aussi une source de matériaux et d’énergie locale et renouvelable. Mais peut-on intensifier leur exploitation tout en les préservant ? Le gouvernement pense que oui.

Dans le cadre de sa stratégie nationale bas carbone (SNBC), il compte les exploiter davantage, en augmentant à la fois la production de bois et la part de sa récolte utilisée dans des produits durables, c’est-à-dire en bois d’œuvre et en bois d’industrie.

Récolte de bois par destination en 2021, en millions de mètres cubes (Source Agreste)

Le bois d’œuvre est le bois de bonne qualité issu du tronc et transformé en sciages durables (parquets, charpentes, escaliers, palettes, cagettes…). Ce premier niveau de transformation représente l’essentiel de la valeur économique de l’arbre.

Le bois d’industrie, quant à lui, désigne du bois de moindre qualité, broyé pour fabriquer des produits à vie longue (panneaux de particules, isolant) ou courte (pâte à papier ou carton). Il se compose également des résidus de sciage issus de la récolte de bois d’œuvre.

À toutes ces étapes, de la récolte à la transformation en bois d’œuvre ou en bois d’industrie, une partie du bois est récupérée pour servir de bois-énergie, c’est-à-dire de combustible servant surtout à produire de la chaleur.

Du point de vue du climat, les produits durables en bois permettent de prolonger le stockage du CO2 capté par les arbres. L’objectif de la SNBC pour 2050 est donc de séquestrer 55 MtCO2eq par an dans les forêts et ces produits, contre une cible de 29 MtCO2eq en 2022.

En 2021, la récolte de bois en France a atteint 59millions de mètres cubes (Mm3). L’accroissement biologique de la forêt, la même année, s’est élevé à environ 90 Mm3, soit plus de 60% récoltés (contre 50% dans les années 2000).

La SNBC compte porter cette récolte à 83Mm³ en 2050. Au vu de la dégradation du puits de carbone forestier, ces objectifs, très ambitieux, pourraient cependant évoluer avec la révision en cours de la nouvelle SNBC, attendue en 2024.

L’exécutif semble en tout cas tenir à sa stratégie d’intensification de la sylviculture : planter plus, couper plus, transformer plus. Celle-ci se traduit en amont par une mesure phare du président : renouveler 10% de la forêt française en dix ans, en plantant un milliard d’arbres.

Une cible justifiée par le rapport du CSFB. Le document estime qu’environ 10% des forêts seront, à cette échéance, soit brûlées ou malades, soit vulnérables ou trop peu productives. Il vaudrait donc mieux les couper pour transformer leur bois, puis replanter.*

Derrière l’annonce d’Emmanuel Macron de renouveler 10% de la forêt française en plantant un milliard d’arbres, il y a des coupes rases. Premier gros problème. il s’agirait de procéder très largement par coupes rases, c’est-à-dire abattre toute la parcelle, même si une partie est en bonne santé et améliorable.

Ces coupes rases simplifient l’exploitation et apportent un bénéfice économique de court terme, mais les chercheurs s’accordent pour dire qu’elles ne doivent être qu’un dernier recours, car elles provoquent érosion et tassement des sols, conduisant ainsi à une destruction de la biodiversité et à de fortes émissions de carbone après la coupe.

D’autres obstacles se présentent en amont. Pour appliquer son plan, le gouvernement devra mobiliser les 3,5 millions de propriétaires privés qui détiennent les trois quarts de la forêt française. Le CSFB évalue en effet le coût du programme entre « 8 et 10 milliards d’euros, que les propriétaires ne pourront assumer seuls ».

Enfin, planter un milliard d’arbres nécessitera logiquement un milliard de plants, soit un quasi-triplement de la production actuelle, selon le CSFB. D’autant plus qu’il faudra sélectionner des espèces plus variées et résistantes au changement climatique, peu produites aujourd’hui en France.

En aval, la stratégie est tout aussi risquée. L’objectif de la SNBC de réorienter la récolte de bois vers des produits à vie longue – sciages et panneaux notamment – se heurterait à une demande intérieure trop faible pour ces produits, même dans les scénarios les plus optimistes, rappelle un rapport de l’Institut de l’Economie pour le Climat (I4CE).

Pour ses auteurs, la stratégie gouvernementale « franchit probablement les frontières du réalisme ». Surtout, les capacités de transformation de la filière bois devront changer de dimension et le marché devra s’adapter aux spécificités de la forêt française.

Les feuillus, notamment, y représentent 70% des boisements, mais sont moins rentables que les résineux, majoritaires sur le marché.Bref, si la forêt française dans son ensemble est loin d’être surexploitée aujourd’hui, intensifier son exploitation soulève de nombreuses questions écologiques et économiques.

Mais l’approche intensive du gouvernement n’est pas la seule solution. Un rapport de France Stratégie explique qu’une autre politique, extensive cette fois, permettrait « d’augmenter le stock de carbone dans la forêt en réduisant son exploitation ».

Elle consiste à prélever la ressource de façon moins intense et à laisser davantage les forêts vieillir et mourir naturellement. C’est ce que défendent certaines organisations non gouvernementales (ONG), comme Canopée ou Les Amis de la Terre, qui tablent sur un prélèvement de bois constant par rapport à aujourd’hui, mais mieux réparti.

Cette seconde option serait moins coûteuse sur le plan économique, plus favorable à la biodiversité forestière et présente un bilan carbone un peu meilleur à court et moyen termes.

En revanche, à long terme, faute d’intervention humaine, la mortalité des forêts liée au réchauffement climatique pourrait occasionner un bilan carbone légèrement négatif.

Enfin, une moindre intervention serait plus dommageable pour la filière sylvicole et ses emplois, ainsi que pour l’indépendance énergétique française, car la récolte de bois-énergie serait inférieure.

Entre gestion intensive et extensive, il existe par ailleurs des propositions intermédiaires, comme celle de l’association Solagro, qui mise dans son scenario Afterres2050 sur une augmentation des prélèvements d’environ 20 %, mieux répartis entre les massifs.

Cette hausse de la récolte permettrait, selon l’ONG, de financer l’adaptation des forêts au réchauffement climatique. Ce serait en revanche la filière bois-énergie qui en bénéficierait majoritairement en aval.

L’organisation anticipe en effet, d’une part, une progression modérée de la demande de produits durables en bois, et, d’autre part, une forte augmentation de la mortalité des forêts, qui viendrait alimenter cette filière bois-énergie.

Surtout, celle-ci se développerait non en raison du chauffage au bois, mais de la pyrogazéification, qui consiste à brûler du bois pour le transformer en biogaz. Solagro mise sur la maturité de cette technique pour remplacer une partie du gaz fossile.

Au-delà de ce débat crucial sur la gestion des forêts et sur les débouchés du bois à privilégier, les experts s’accordent pour prôner un traitement différencié des massifs forestiers de manière à préserver les plus riches en biodiversité et à exploiter en priorité ceux promis à une mort rapide.

Économiquement comme écologiquement, les forêts et leur bois sont si polyvalents qu’arbitrer entre leurs usages est complexe. Bien placer le curseur entre gestion intensive et extensive nécessite de clarifier les priorités politiques, et de jongler avec beaucoup d’incertitudes.

Bruno Bourgeon, président d’AID http://www.aid97400.re

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