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D’après Alternatives Economiques du 10 Mai 2024

L’Union européenne peut-elle être autonome sur le plan énergétique ?

Par Bruno BOURGEON

lundi 3 juin 2024, par JMT

L’Union européenne peut-elle être autonome sur le plan énergétique ?

Rencontre entre Emmanuel Macron et le chancelier allemand Olaf Scholz, le 10 octobre 2023 à Hambourg, en Allemagne. Les divisions entre Paris et Berlin sur les sujets énergétiques ont ralenti les progrès européens sur l’autonomie du continent.

L’accélération de la sortie des énergies fossiles semble être de second rang dans la campagne pour les européennes. C’est pourtant là que se jouent la sécurité et la souveraineté de l’Union.

« On aurait pu imaginer qu’avec la guerre en Ukraine et au Moyen-Orient, l’énergie serait un sujet central du débat politique en amont des européennes », regrette Michel Derdevet, président du think tank Confrontations Europe, au lendemain du discours d’Emmanuel Macron à la Sorbonne.

Selon une musique dans l’air du temps, il y est, là comme ailleurs, davantage question de défense, de sécurité et de souveraineté que de pouvoir d’achat et d’écologie. « Or l’énergie est au carrefour de tous ces enjeux », rappelle Michel Deverdet.

Ce dernier signe un plaidoyer qui appelle à réinventer sous la prochaine mandature une politique commune de l’énergie en vue de faire converger les trois objectifs que s’assigne l’UE dans ce domaine : une énergie bon marché (pour le pouvoir d’achat et la compétitivité), décarbonée (pour le climat), endogène (pour la sécurité des approvisionnements et l’autonomie stratégique).

Jusqu’ici, l’Europe n’a jamais réussi à surmonter les contradictions de ce triptyque idéal. Les choses semblaient pourtant bien parties en 2019, en dépit de l’élection d’un Parlement européen sans majorité évidente. Ou plutôt à cause de.

Le Parti populaire européen, union de partis de la droite traditionnelle et de centre droit, arrivé en tête mais sans majorité absolue, a dû passer des alliances avec les socialistes et les libéraux, principalement sur la question climatique, dans un contexte de forte attente citoyenne pour pousser les gouvernements à mettre en œuvre l’accord de Paris de 2015.

D’où, comme l’a écrit l’économiste Xavier Timbeau dans L’Economie Politique, la bonne surprise du Pacte Vert. Cet ensemble de propositions législatives lancées fin 2019 portait haut l’ambition climatique, non seulement sur la cible – la neutralité en 2050 et un durcissement conséquent des objectifs à 2030 – mais sur les politiques sectorielles à mettre en place.

Le « Green Deal » exprimait ainsi la cohérence en traitant un ensemble de sujets indissociables dans la lutte face au réchauffement : décarbonation de la production d’énergie, baisse des consommations énergétiques, révision du système agroalimentaire, protection de la biodiversité…

Les impacts du Covid puis de la guerre en Ukraine auraient pu briser cette construction. Au contraire, « le Pacte vert a été la boussole stratégique de l’UE face aux crises de ces dernières années », souligne Camille Defard, cheffe du Centre énergie de l’Institut Jacques Delors.

De nouvelles pierres ont été depuis ajoutées à l’édifice : un plan pour mettre fin à la dépendance aux fossiles russes (RePowerEU), un nouveau texte sur les matériaux critiques (Critical Raw Material Act), et un autre sur l’industrie verte (Net Zero Industry Act).

Ces trois textes ont pour commun dénominateur la sécurité et la souveraineté, registres au cœur de la campagne actuelle. Le dernier, singulièrement, répond à l’Inflation Reduction Act américain (IRA), un programme massif de subventions aux entreprises américaines initié en 2022 pour la décarbonation de l’économie outre-Atlantique.

Et aussi à la politique analogue menée de longue date par la Chine, qui a acquis une position ultradominante sur les secteurs stratégiques de la transition : panneaux solaires, batteries, raffinage des métaux critiques, véhicules électriques…

A la veille des élections de 2024, tous les textes du Pacte Vert ont été actés… sauf ceux touchant à l’agriculture et à la biodiversité. Sur ces sujets, les alliances n’ont pas résisté à l’offensive des droites dures et du lobby agro-industriel, qui ont exploité les mouvements des agriculteurs.

Bien que le verre fût au 3/4 plein et qu’il y avait dès lors matière à applaudir, ce revers ultra-médiatisé a nourri l’idée d’un « backlash » écologique généralisé en Europe.

Ce supposé retour de balancier de l’opinion place les partisans du progrès sur la défensive, poussant les responsables politiques les moins fermes dans leurs convictions et les plus opportunistes à en appeler à une « pause » dans la transition.

Ce n’est pourtant pas ce que disent les sondages. Une enquête de l’institut Jacques Delors portant sur la France, l’Allemagne et la Pologne montre une large majorité de l’ensemble des électeurs en faveur d’un renforcement de l’action climatique.

Cette attente est très majoritaire à gauche, minoritaire à l’extrême droite, et très partagée au centre et à droite. Mais cette même étude confirme combien il est difficile de construire un consensus sur une politique climatique cohérente.

Sans surprise, les « carottes » telles que les subventions à l’isolation des logements sont largement plébiscitées, tandis que les « bâtons » sont impopulaires, sauf s’il s’agit des autres : obliger les riches à se passer de jets privés ou les administrations à s’équiper de véhicules électriques.

Les mesures les plus détestées (à droite) ou les moins désirées (à gauche) sont la future taxe carbone européenne sur les carburants et combustibles fossiles, l’interdiction de la vente de véhicules thermiques neufs prévue pour 2035 et l’interdiction des chaudières à fioul et à gaz.

La crispation ambiante sur la transition bas carbone traduit ainsi moins un revirement de l’opinion sur l’urgence climatique que le fait d’être entré dans le vif du sujet. La précédente mandature a fixé un cadre législatif en phase avec l’objectif climatique, c’était le premier étage de la fusée.

« A présent, on passe au deuxième étage, celui de la mise en œuvre, avec des défis qui grandissent et des ressources insuffisantes » explique Camille Defard.

Ce qui place les Etats membres au pied du mur et les confronte à d’épineux problèmes de partage de l’effort et à des tentations dilatoires, dans un contexte de croissance faible et de contraintes budgétaires élevées.

Christophe Grudler, eurodéputé du groupe des Libéraux et membre de la commission en charge de l’énergie, exprime bien cette tension : « Il ne faut pas lever le pied sur le Pacte vert, mais le sujet maintenant, c’est de trouver la façon la plus acceptable d’atteindre ses objectifs ».

Il n’exclut pas, par exemple, que l’on fasse jouer la clause de revoyure sur la date de fin des ventes de véhicules thermiques et de reporter à 2037 si 2035 s’avérait irréaliste. Quatre moteurs devraient être mis en route pour faire décoller le deuxième étage de la fusée.

Premier moteur : l’égalisation des conditions de la concurrence internationale entre une Europe ambitieuse et des concurrents qui le sont beaucoup moins. D’où l’accent mis actuellement sur le soutien à l’industrie verte européenne et à la reconquête du marché intérieur. Aujourd’hui, c’est la double peine.

D’une part, l’Europe subit des prix de l’énergie plus élevés que ses principaux concurrents, en partie parce qu’elle s’impose un prix du carbone bien plus conséquent, ce qui pénalise ses industriels.

D’autre part, ceux-ci subissent la concurrence de la Chine et, de plus en plus des Etats-Unis, qui non seulement subventionnent fortement leurs secteurs stratégiques pour la transition bas carbone, mais protègent leurs marchés nationaux.

Pour important qu’il soit, ce thème de la reconquête industrielle occupe aujourd’hui l’essentiel de l’espace médiatique et des discours politiques autour de la transition en Europe.

Ce faisant, cette polarisation sur un sujet relativement consensuel écarte de la discussion le design des trois autres moteurs tout aussi nécessaires pour propulser le Green Deal dans la sphère du réel, mais dont l’allumage est politiquement explosif.

D’abord, la sobriété. Elle pourrait, insiste Morgan Crénès, du cabinet d’expertise et de conseil Enerdata, jouer un rôle déterminant pour la transition et soulager immédiatement le trilemme de la politique énergétique européenne : moins de dépendance géopolitique, moins d’euros au bas de la facture d’énergie, moins de CO2.

Pour l’heure, si l’Europe est en train de se passer du gaz russe (45 % de ses importations gazières en volume en 2021, 15 % en 2023), c’est surtout pour devenir plus tributaire d’autres fournisseurs, en particulier des Etats-Unis, indique Eurostat .

Sur la période 2019-2023, les importations de gaz et, d’une manière générale, d’énergies fossiles sont restées relativement stables en volume (avec une facture qui reste presque deux fois plus élevée en 2023 qu’en 2019).

Et malgré l’essor des énergies renouvelables depuis le début des années 2000, le taux de dépendance énergétique de l’UE n’a pas diminué mais fluctue entre 55% et 60%.

En mars dernier, plus de 80 organisations citoyennes et centres d’expertise, dont Enerdata, ont signé un manifeste pour placer la sobriété au cœur de la politique énergétique européenne.

« Mais ce sujet est absent du débat politique, regrette Morgan Crénès. Et quand les décideurs en parlent, c’est de manière conjoncturelle, pour faire face au pic de consommation durant un hiver difficile, ou encore pour insister sur les gestes individuels alors que c’est fondamentalement un sujet structurel et collectif ».

Le discours fleuve de Macron sur l’Europe traite de souveraineté énergétique mais n’emploie pas une seule fois le mot sobriété. Un mot également bien peu entendu chez les candidats de gauche.

Deuxième moteur : l’argent. Le débat politique des européennes laisse dans l’ombre la question à plusieurs centaines de milliards d’euros et qui détermine l’acceptabilité de la mise en œuvre du Green Deal, surtout pour ceux qui sont confrontés à l’insuffisance des aides pour rénover leur logement et sortir des carburants fossiles : qui va payer quoi ?

Troisième moteur : les émissions de CO2 par habitant de l’UE, passées de 9 tonnes à 6 tonnes de 1990 à 2022 (hors consommations importées). Il faut donc doubler l’effort sur les 30 années suivantes.

Une étude récente de l’institut pour l’économie du climat (I4CE) a confirmé cet ordre de grandeur et calculé que les investissements annuels publics et privés européens en faveur du climat, 407 milliards d’euros et 2,6 % du PIB en 2022, devaient immédiatement doubler pour atteindre les objectifs du Green Deal.

Les propositions relatives aux instruments ne manquent pas. Certaines gagnent du terrain sur la scène politique, comme l’idée de mettre à contribution les riches, de créer un fonds souverain européen abondé par une partie des recettes de la tarification du carbone ou de recourir à de l’endettement commun comme pour le plan de relance post-Covid.

Mais on ne voit pas les groupes politiques formuler de proposition articulée pour combler le déficit de financement ni, surtout, en appeler à une concertation européenne dont l’objet serait d’y parvenir.

En clair, pousser à la négociation d’un nouveau contrat social qui devrait être un contrat écologique, comme y invitent dans leur livre les économistes Emmanuel Combet et Antonin Pottier.

Quatrième moteur : le décollage du Green Deal est plombé par la guerre qui divise Etats de l’Union et leurs citoyens sur la nature du mix énergétique décarboné de demain : construire de nouvelles centrales nucléaires ou pas ?

D’un côté, les 14 pays de l’Alliance du nucléaire emmenée par la France, de l’autre, les 11 Etats du groupe des Amis des renouvelables, dont le poids lourd allemand.

L’eurodéputée Marina Mesure (La Gauche / La France insoumise), membre de la commission en charge de l’énergie le reconnaît : « On parle beaucoup de la place du nucléaire. A raison. Mais cela fait oublier les autres sujets ».

Plutôt que de laisser la construction de l’Europe de l’énergie achopper sur ce point conflictuel, où chaque Etat membre reste souverain et doit statuer démocratiquement, Michel Derdevet préconise le pragmatisme : avancer sur tous les autres chantiers européens plus « consensuels », justifiant un engagement commun : les réseaux, l’efficacité énergétique, la cybersécurité…

L’important à ses yeux est de tenir, quelles que soient les options, la trajectoire de sortie des énergies fossiles. Les chantiers ne manquent pas.

Bruno Bourgeon, président d’AID http://www.aid97400.re

D’après Alternatives Economiques du 10 Mai 2024

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