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D’après « Le Dessous des Cartes » du 12 Mars 2022, ARTE

L’or blond, le « food power » : le blé

Par Bruno Bourgeon

samedi 9 avril 2022, par JMT

L’or blond, le « food power » : le blé

Vladimir Poutine, Krasnodar, dans le sud-est de la mer d’Azov

Vladimir Poutine aime se promener dans les champs de blé de la région de Krasnodar, dans le sud-est de la mer d’Azov, l’une des régions les plus chaudes de la Russie, non loin de l’Ukraine. Il aime y être photographié en bras de chemise.

Car cette région chaude et fertile produit du blé aussi bien que les terres noires de l’Ukraine voisine. Poutine a fait du blé une arme alimentaire géopolitique, un « food power », car le blé est la base de l’alimentation des Européens. Des trois civilisations de l’alimentation : maïs, riz, blé, seule cette dernière est en expansion.

Or le blé n’est produit que par peu de pays, 85% de la production mondiale émane de 10 puissances, dont la Chine, la Russie, les USA, l’UE, le Canada. Y ajouter Ukraine, Inde et Kazakhstan. Les pays importateurs sont issus du sud du bassin méditerranéen et le Moyen-Orient. Le blé est un enjeu stratégique majeur.

Historiquement, la puissance athénienne issue de Périclès, dominatrice sur les mers, importait le blé des rives de la Mer Noire, de Syrie, et d’Egypte. L’Ukraine fut le grenier à blé de l’Empire de toutes les Russies. Le Troisième Reich s’en alla conquérir des terres à l’est pour les matières premières, la houille du Donbass et le blé d’Ukraine : ce fut l’opération Barbarossa.

Pendant la Guerre Froide, les USA deviennent exportateurs de blé mais ont besoin d’acheteurs : ce fut l’une des raisons du Plan Marshall, à la fois pour offrir une aide alimentaire aux Européens dont l’agriculture était exsangue au sortir de la Deuxième Guerre Mondiale, mais surtout pour contrecarrer les désirs expansionnistes des Soviétiques.

En France, avec le Plan Marshall et la Politique Agricole Commune, l’agriculture s’industrialisa et se réorganisa, et redevint auto-suffisante à la fin des Trente Glorieuses. En 2022, l’UE, avec l’Allemagne et la France, exporte 13 millions de t de blé, essentiellement en Afrique du Nord (Maghreb, Lybie, Egypte). Jusqu’à récemment, le marché du blé était dominé par l’Occident.

Ce n’est plus le cas. En moins de 20 ans, grâce à la richesse de la terre noire du sud-ouest de la Russie, Ukraine et Kazakhstan, ces trois états deviennent les premiers exportateurs au monde (20% des exportations). Et leurs productions pourraient augmenter avec le dégel dû au réchauffement climatique. Leurs clients sont sous leur protectorat : Syrie, Egypte, Libye, Iran, Turquie.

Pendant la guerre syrienne, les soldats russes fournissaient du pain aux Syriens. L’or blond, entre Tigre et Euphrate, Daesh en fit une arme de guerre : 12% de leur chiffre d’affaires, contre 25% au pétrole. Entre l’ Afrique du Nord et le Moyen-Orient, 30 millions de t sont importées annuellement, avec une population passée de 139 à 500 millions d’habitants entre 1961 et 2021 C’est l’importateur numéro 1 au monde.

Le blé est par conséquent un détonateur s’il vient à manquer ou si son prix explose. C’est l’exemple du printemps arabe, ou, du fait de mauvaises récoltes de 2007 à 2009, la Russie et l’Ukraine ne pouvaient plus exporter : les Sud-Méditerranéens, la faim au ventre, ont entrepris leur révolution respective.

Et, évidemment, ces trois années de moindre production sont en rapport avec une sécheresse, elle-même en rapport avec le réchauffement climatique. Aujourd’hui, l’Algérie importe son blé de Russie, la France, son fournisseur habituel, passant de 5,6 millions de t exportées à 1,85 millions de t, soit -60%. Le blé russe est de qualité et surtout bien moins dispendieux.

Enfin la Chine. Premier producteur mondial avec 130 millions de t, cela ne couvre pas ses besoins, la population de 1,3 milliard d’habitants s’occidentalisant aussi par son alimentation. Dès lors, la Chine importe 10 millions de t chaque année, chiffre en croissance, devinez d’où. D’où un rapprochement évident entre Chine et Russie.

Ceci contribue à la flambée des cours, d’autant que, retour sur les valeurs traditionnelles, voilà que la Bourse cote le blé. De fait, les tarifs à l’achat ont doublé ces dernières années. Le blé est désormais dans l’économie de marché, pour le meilleur et surtout pour le pire. N’est-ce pas là aussi l’une des raisons pour lesquelles Poutine envahit l’Ukraine ?

Bruno Bourgeon http://www.aid97400.re

D’après « Le Dessous des Cartes » du 12 Mars 2022, ARTE

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