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D’après Alternatives Economiques du 1er Juin 2023

Que sont devenus les agro-bifurqueurs d’AgroParisTech, un an après leur sédition ?

Par Bruno BOURGEON

vendredi 7 juillet 2023, par JMT

Que sont devenus les agro-bifurqueurs d’AgroParisTech, un an après leur sédition ?

Les bifurqueurs sur Médiapart

Au temps de la Grande Guerre, les déserteurs étaient fusillés. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, même symboliquement. De fait, les jeunes ingénieurs qui ont tourné le dos aux choix de carrière proposés par les grandes écoles sont loin d’être condamnés à une mort sociale.

Mieux, ils sont devenus les héros du mouvement écologiste. A l’image des étudiants rebelles de la célèbre école AgroParisTech. Le 30 avril 2022, lors de la remise de leur diplôme, ils prennent la parole pour dénoncer le modèle agro-industriel largement promu par leur école.

La vidéo de leurs discours fait le buzz, partagée plusieurs millions de fois sur les réseaux sociaux et encensée par des personnalités aussi médiatiques que Jean-Luc Mélenchon, leader de la France Insoumise ou François Gémenne, rapporteur du GIEC.

Alors courtisés de toutes parts, les jeunes diplômés sont même approchés par une maison d’édition. Un an après ce discours, malgré le succès médiatique, la désertion reste loin d’être un fleuve tranquille, entre questionnement sur l’avenir et relations parfois peu apaisées avec leur famille.

Ainsi cette jeune déserteuse profondément en désaccord avec ses parents chercheurs, pour qui le discours a été synonyme de rupture : « Cela a fini de clarifier nos positions divergentes et c’était très dur à vivre. En même temps, cela m’a aussi permis de me libérer de leurs attentes ».

À 25 ans, elle vit actuellement dans la région lyonnaise et travaille dans une petite entreprise qui accompagne les éleveurs désireux d’adopter des pratiques agroécologiques. Elle ne compte pas ses heures et vit d’un petit salaire. De quoi agacer ses proches, qui espéraient un poste plus prestigieux.

Outre la pression familiale, les agro-déserteurs ont également dû subir des attaques de la presse conservatrice, qui les a taclés de « lâches » (L’Opinion) ou « de décroissants privilégiés à la vindicte éternelle » (Le Point). Le directeur de l’école d’AgroParisTech Laurent Buisson, nommé par Emmanuel Macron en novembre 2021, n’a pas non plus retenu ses coups.

Le jour de la remise des diplômes, il est venu les féliciter pour leur dire que toutes les opinions étaient les bienvenues. Et puis quand la vidéo est devenue virale, il a pris la parole dans la presse pour les dénigrer [dans une interview donnée aux Echos Start, Laurent Buisson a qualifié le discours « d’excessif », « radical » et « un peu fataliste »].

Plus difficiles à supporter ont été les attaques venues de leurs pairs. En tant que figures médiatiques, la parole des déserteurs est désormais examinée sous toutes les coutures. Une conséquence de cette nouvelle célébrité d’autant plus difficile à supporter, qu’un frondeur estime « ne pas être complètement sorti de leur dissonance cognitive ».

Salarié à temps partiel (80%) dans une association pour l’accompagnement d’apiculteurs déjà en place dans le Dauphiné, cet ingénieur frondeur travaille au grand air, au service d’un employeur dont il partage les valeurs de solidarité et de respect du vivant.

Pour autant, le tableau n’est pas parfait : « Avec cet emploi, je suis encore de temps en temps derrière un écran », soupire le jeune homme, qui souhaite ouvrir sa propre exploitation d’abeilles d’ici quelques années.

En attendant, l’ex-étudiant multiplie les projets : s’occuper de la cinquantaine de ruches dont il est déjà propriétaire et revenir au militantisme, délaissé quelque temps à la suite du raz-de-marée médiatique.

Ancien d’Attac, il a décidé aujourd’hui de se syndiquer à Solidaires-Asso, dont il espère le rapprochement prochain avec la Confédération paysanne. En parallèle, il prévoit de rejoindre la lutte contre le projet de train à grande vitesse entre Lyon et Turin.

Une vie bien remplie, donc, que l’agro-déserteur, n’aime pas spécialement raconter. Mal à l’aise avec « la personnification de la lutte », il ne s’estime pas légitime à recevoir autant d’attention médiatique.

Un autre camarade, sans doute le plus intransigeant, le plus politisé, refuse, lui aussi, d’en dire trop sur son parcours, comme si braquer les projecteurs sur des individualités pouvait porter atteinte au message du discours, auquel il tient beaucoup.

Et d’insister : « Les médias ont tôt fait de regrouper tous les discours d’étudiants bifurqueurs dans le même sac. C’est une erreur : nous ne proposons pas, comme les autres, de revoir les formations mais pointons le fait que les grandes écoles d’ingénieurs ou de commerce sont, par essence, au service du système industriel ».

Pourquoi alors s’être engagé dans un cursus tel qu’AgroParisTech ? « À la sortie du lycée, je ne savais pas quoi faire d’autre et c’était aussi pour éviter les tensions familiales », balaie-t-il. Son diplôme en poche, il n’a pas souhaité s’installer dans un poste d’ingénieur cadre.

Il a tâtonné, pris part à des chantiers et des combats militants et s’est récemment engagé en service civique dans un atelier d’auto-réparation de vélos. Il vit chichement et parvient à joindre les deux bouts grâce « à de la débrouille, de la récup’ et de l’entraide ». Par ailleurs, le jeune homme milite à Bure contre l’enfouissement des déchets nucléaires « puisque c’est maintenant que tout se joue ».

Cet engagement écologiste, on le retrouve d’ailleurs chez une camarade, qui s’occupe d’un petit troupeau de vaches laitières sur la ZAD (zone à défendre) de Notre-Dame-des-Landes ou encore cette autre, qui écrit désormais pour la revue écologiste indépendante Silence et a rejoint le mouvement Les Soulèvements de la Terre.

La plupart des déserteurs d’AgroParisTech se sont d’ailleurs retrouvés lors de la dernière manifestation contre les « mégabassines » à Sainte-Soline. Et l’avenir ? Quelques pistes : « Faire de l’agriculture vivrière et continuer à m’investir dans des luttes, en ayant potentiellement un autre emploi à côté », assure-t-elle.

Pour cette troisième collègue, les choses ne sont pas bien arrêtées. La jeune femme, qui n’était pas sur scène mais a coécrit et filmé le discours de ses camarades, s’est essayée à la recherche dans le domaine de la biodiversité marine.

Son rôle à l’époque est d’évaluer, indicateurs chiffrés à l’appui, si la France applique correctement une directive européenne de protection des milieux marins. Un poste intéressant mais « déconnecté du terrain, avec trop de temps passé sur l’ordinateur ».

Et puis « les pollutions marines comme les algues vertes sont liées à notre système productiviste alors autant intervenir en amont » insiste-t-elle. En septembre 2022, elle plie bagage et part sur les routes de France faire du woofing (travailler quelques heures par semaine dans une exploitation agricole contre logement et nourriture, NDLR).

Pour la première fois, l’ingénieure découvre le monde paysan : « En trois ans d’études à AgroParistech, nous n’avons qu’un seul stage d’un mois sur le terrain. On n’apprend rien de la terre, nos professeurs sont des enseignants-chercheurs, pas des agriculteurs », regrette-t-elle.

Du Finistère aux Landes, elle évolue désormais de ferme en ferme et se forme sur le maraîchage, l’élevage de chèvres ainsi que les plantes aromatiques et médicinales. À terme, elle aimerait travailler pour des structures de transmission des savoirs paysans, comme les Centres d’initiative pour valoriser l’agriculture et le milieu rural (CIVAM), avant de s’installer sur une ferme collective.

Une autre a choisi un mode de vie nomade. Dès la fin des cours en septembre 2021, elle décide de partir travailler comme saisonnière à la montagne, dans les Hautes-Alpes, le temps de réfléchir à la suite : « Je souhaitais imaginer un travail qui a du sens, en lien avec mes apprentissages et d’utilité publique sans être dévorant ». Comme son amie, elle s’est frottée à la recherche.

Pendant une courte période de deux mois suivant le discours, l’agronome a été embauchée par l’université de Paris-Saclay (où est basée l’école d’AgroParisTech) pour poursuivre une étude d’anthropologie et microbiologie sur l’affinage de fromages fermiers. « Assez vite, j’ai eu envie de faire quelque chose de plus terre à terre ».

À l’été 2022, la jeune femme fuit le plateau de Saclay pour devenir ouvrière agricole dans une ferme du Pays basque, où elle s’occupe de brebis laitières. Son but ? S’installer dans une ferme collective pour y produire du pain, du fromage et des légumes.

Le projet est réfléchi avec trois de ses amis. Ses parents la soutiennent mais craignent les difficultés financières. Cela ne refroidit pas son enthousiasme : « Nous avons une chance inespérée de réinventer collectivement le travail, la subsistance, notre rapport au monde et aux autres, la vie ».

De tous les rêves d’installation des agro-déserteurs, le plus abouti reste celui de ces deux comparses. En mai 2021, les deux amis candidatent auprès de l’association Terres de lien pour obtenir une exploitation de 70 hectares dans le Tarn.

Leur idée est la suivante : monter un collectif d’une dizaine de personnes pour faire du maraîchage bio, du pain et de la bière. En septembre de la même année, leur projet est retenu. Les propriétaires, un couple de nonagénaires, semblent plus qu’heureux de voir leur patrimoine passer aux mains d’un collectif représentant, selon eux, « l’agriculture du futur ».

Même l’ancien fermier, pourtant à la retraite, se démène pour leur permettre d’acquérir plus rapidement la certification AB. Mais la machine s’enraye au moment d’acheter le domaine. Déjà frileuses à l’égard de ce projet atypique, les banques refusent définitivement de leur prêter les fonds nécessaires lorsque la guerre en Ukraine éclate.

Après moult négociations, le petit groupe s’accorde finalement avec les propriétaires pour acquérir les bâtiments grâce à un crédit-bail. Prévue pour démarrer en décembre 2022, l’activité sur place a cependant pris plusieurs mois de retard.

Assez pour se priver de la saison d’été : « On ne pourra pas vendre de tomates, qui constituent l’or rouge des agriculteurs » regrette l’un des futurs maraîchers sur l’exploitation. Le collectif assure qu’il sera néanmoins présent sur les marchés locaux dès l’automne prochain.

Mais la réserve reste de mise chez les bifurqueurs, qui, dans l’ensemble, se méfient des petites victoires à l’échelle individuelle. « Tant que le modèle de société n’aura pas profondément évolué, il n’y aura pas de satisfaction personnelle à tirer d’un mode de vie plus vertueux », résument-ils.

Bruno Bourgeon, président d’AID http://www.aid97400.re

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