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D’après Alternatives Economiques du 17 Janvier 2024

Les fantasmes réactionnaires d’Emmanuel Macron

Par Bruno BOURGEON

vendredi 1er mars 2024, par JMT

Les fantasmes réactionnaires d’Emmanuel Macron

Manifestation contre la loi immigration

« La France doit rester la France ». Dans un long exercice que le chef de l’Etat affectionne tout particulièrement, seul au pupitre, ses ministres en rang d’oignon, Emmanuel Macron a déroulé l’idée qu’il se fait de « La France du bon sens, pas du tracas ».

Celles et ceux qui attendaient des annonces de grande ampleur et de « l’audace », pour reprendre sa phraséologie, en ont été pour leurs frais : à tribord, toute ! C’était le mardi 16 janvier 2024.

Est attendu l’acte 2 d’une loi croissance pour libérer (encore) les énergies de ceux « qui innovent, qui osent, qui travaillent », relever tous les seuils qui contraignent les entreprises, sans oublier une nouvelle loi sur le marché du travail pour, sans surprise, remettre la France au travail par la contrainte : serrer la vis aux chômeurs, y compris les plus âgés d’entre eux.

Pas de nouveau plan écologique non plus puisque le locataire de l’Elysée estime que ses équipes « ont déjà pris des décisions qui sont les bonnes », tout en s’auto-gratifiant de chiffres dont il est pourtant peu responsable. Mais c’est sur l’école et l’éducation que le Président s’est le plus longuement appesanti.

Dans une tonalité « C’était mieux avant », Emmanuel Macron s’est adressé à la France inquiète pour sa jeunesse rivée aux écrans. Il est allé jusqu’à avancer une analyse surprenante : c’est parce que les jeunes n’étaient pas à l’école en juin que les émeutes ont pu se propager.

Faute d’un programme solide et d’une majorité pour le voter, Emmanuel Macron préfère souffler sur les braises du « réarmement » moral : une France qui travaille, qui fait des enfants (sages) et qui se protège de l’immigration. Toute ressemblance avec des programmes déjà existants n’est pas fortuite.

1/ Education : les yeux dans le rétroviseur
Vous pensiez que les problèmes les plus urgents de l’école étaient la lutte contre les inégalités, le séparatisme social, les avantages indus des établissements privés, les classes surchargées et les professeurs non remplacés ? Vous vous fourvoyiez.

La mission première de l’éducation en général, et du système scolaire en particulier, c’est d’assurer le « réarmement civique » de la Nation. Oubliées, l’égalité des chances et autres promesses (tout aussi républicaines, pourtant) d’émancipation : l’école macronienne semble n’avoir comme perspective que de faire plier l’échine à la jeunesse en la soumettant à l’autorité du passé.

C’est d’ailleurs dans le passé que le président de la République a lui-même puisé l’essentiel de ses annonces, en fait défraîchies pour une bonne part. Le doublement des horaires d’éducation civique au collège (1 heure par semaine dès la 5e), fondée sur l’étude des « grands textes fondateurs de la Nation » ?

Déjà annoncé par Pap Ndiaye il y a quelques mois, tout comme l’expérimentation de l’uniforme (« tenue unique » dans le langage présidentiel) l’avait été par Gabriel Attal il y a quelques semaines.

Enseigner la Marseillaise au primaire ? Déjà prévu. Instaurer une remise de diplômes, qui aurait vocation à « faire des républicains en même temps que transmettre des savoirs » ? Existe depuis 2016.

Les seules mesures nouvelles concernaient l’instauration pour tous les élèves de collège, d’une pratique du théâtre et d’un enseignement d’histoire de l’art. Mais vu la pénurie d’enseignants et des délais, extrêmement courts, on se demande bien comment elles seront mises en œuvre. D’autant que le chef de l’Etat n’a pas précisé ce qui serait retiré des programmes pour ces nouveaux contenus.

Au-delà de l’école, Emmanuel Macron a étendu cette vision conservatrice à l’ensemble de l’éducation. Pour preuve, sa volonté annoncée, sans plus de précisions, de renforcer « le soutien et l’exigence envers les parents », en particulier les familles monoparentales, dans la droite ligne de leur responsabilisation annoncée par Elisabeth Borne en réponse aux émeutes de juin 2023.

De même, le président de la République a annoncé une régulation pour un « bon usage des écrans », dans les foyers comme à l’école, sur la base d’un rapport d’experts qu’il a dit avoir convoqués la semaine dernière, et qui devrait être rendu fin mars.

Bien sûr, l’effet potentiel des écrans sur le développement cognitif des enfants est un véritable sujet. Mais la conclusion semble déjà avoir été tirée puisqu’Emmanuel Macron a jugé que, lors des émeutes, « les écrans ont eu un rôle important. Il y a eu une force de mimétisme qui a conduit à un embrasement qui était totalement déraisonné ».

Une jeunesse qui se tient sage, voilà ce à quoi tient le Président avant tout, si l’on lit entre les lignes de ses propos. Une perspective qu’il a parachevée en confirmant la généralisation du Service National Universel en classe de seconde.

Largement décriée pour son cadrage d’inspiration militaire, la mesure devrait s’avérer coûteuse : environ 2,5 milliards d’euros environ.

Une manne dont aurait pourtant bien besoin l’Education nationale ainsi que les associations d’éducation populaire, qui voient fondre les aides qu’elles reçoivent dans le cadre des politiques jeunesse alors qu’elles sont sur le terrain depuis de nombreuses années.

2/ La croissance sans innover
L’histoire économique nous enseigne que la croissance peut s’obtenir avec plus de travail et plus de capital mais que la source la plus dynamique vient de leur efficacité combinée. Or, le président de la République a mis sur la table un choix de politique économique qui privilégie un mode de croissance uniquement fondé sur un plus grand volume de travail.

Si Emmanuel Macron a bien prononcé le mot d’innovation, cela n’était pas la tête de chapitre d’une politique publique spécifique. Comment accroître nos efforts de recherche, publics et surtout privés, tant nos entreprises sont en retard dans le domaine ? Comment améliorer la qualité des produits français ?

Comment améliorer les gains de productivité avec les conditions de travail : aujourd’hui, elles contribuent à la dégradation de notre efficacité productive. Pas un sujet, selon Macron. Pour le locataire de l’Elysée, l’économie française ne pourra croître qu’en additionnant le travail.

Face à la baisse de la natalité (- 6,6% en 2023 sur un an) qui met finalement notre pays dans la même configuration de vieillissement que les autres, il faut encourager les futures naissances. Il faut continuer à rogner sur les aides aux chômeurs pour les remettre au travail, il faut demander aux bénéficiaires des minima sociaux de s’activer, il faut continuer à flexibiliser le marché du travail, etc.

Bref, il faut simplement travailler plus, seule source envisagée de création de richesse. Une formule magique qu’Emmanuel Macron a exprimée fortement en nous comparant à l’Allemagne. Viser le plein-emploi est légitime. Mais la création de richesse nécessite d’être accompagnée par l’investissement des entreprises.

A ce sujet, le Président promet, encore une fois, de la simplification administrative et du protectionnisme européen car il faut « ne plus compter sur les autres puissances pour écrire notre histoire ». On doute que cela soit suffisant pour nos entrepreneurs.

Quant à la productivité globale des facteurs, l’efficacité combinée du travail et du capital, le locataire de l’Elysée n’a rien à proposer. Il reste fidèle aux idées économiques du XVIe siècle sur la force de travail passant par la population.

3/ Ecologie : tout va très bien, Madame la marquise !
« Bonsoir Monsieur le président. Depuis que vous avez créé le Haut conseil pour le climat en 2019, tous les rapports annuels ont montré que les émissions de gaz à effet de serre ne baissaient pas suffisamment vite. Comment comptez-vous atteindre les objectifs climatiques européens ? Quelle nouvelle politique écologique vous pouvez nous annoncer ce soir ? »

Emmanuel Macron a bien fait comprendre à la journaliste qui lui posait cette question impertinente qu’elle n’était pas du tout à la page : « Durant mon quinquennat précédent, on est revenu sur la trajectoire des accords de Paris. Nous avons doublé les réductions d’émissions de gaz à effet de serre. Doublé. »

Pour les années qui viennent, le HCC dit « tout à fait vrai : pour tenir nos engagements, il faut aller 2,5 fois plus vite. Et bien je constate que les chiffres pour l’année qui vient de s’écouler sont dans cette ligne ». Les émissions hexagonales ont reculé de « 2% par an entre 2018 et 2022, on est à 4,6% sur 2023. Donc ce qu’on a fait est en train de fonctionner ».

Pas de nouvelles mesures écologiques, donc, puisque des décisions « historiques » ont déjà été prises « et qu’elles sont les bonnes ». Le Président a cité le rattachement de la politique climatique sous la responsabilité du Premier ministre et la réalisation l’an dernier d’une feuille de route, la planification écologique, qu’il s’agit à présent de dérouler au niveau local.

Sauf que le chef de l’Etat ment. L’accélération de la baisse des émissions sur la période 2018-2022 est bien davantage le résultat de chocs externes (Covid puis crise de l’énergie) que celui de la politique publique. Et les objectifs climatiques nationaux n’ont été tenus que parce que les plafonds fixés ont été réhaussés au début du précédent quinquennat.

Quant aux chiffres provisoires pour l’année 2023, le Citepa, l’organisme qui les produit, a bien indiqué que cette baisse de 4,6% était, là aussi, le fait « principalement des facteurs conjoncturels ». Impossible donc de dire que « ce qu’on a fait est en train de fonctionner », puisqu’en réalité, le gouvernement n’a pas décidé ou fait voter les mesures réglementaires et fiscales qui permettraient de financer et réaliser les objectifs climatiques.

Très flou sur la biodiversité, éternelle oubliée de la politique écologique, le Président annonce qu’il va « accroître dans les prochains mois l’accompagnement des agriculteurs pour les aider à améliorer leurs pratiques ». La volonté de « mettre fin aux normes inutiles » ne manque pas non plus d’inquiéter, entre autres la restructuration en cours du système de sûreté nucléaire alors que le programme décidé autoritairement par Emmanuel Macron, en particulier sur le parc des anciens réacteurs, induit un accroissement très conséquent du risque.

4/ La grande régression idéologique
La loi immigration votée par la majorité, la droite LR et l’extrême droite RN, avait emprunté au programme de fond de l’extrême droite, ripolinant le concept lepéniste historique de « préférence nationale ». Marine Le Pen avait empoché la mise en saluant la « victoire idéologique » de son courant de pensée.

Emmanuel Macron a choisi, car il connaît le sens des mots, de pousser encore plus loin le bouchon, en reprenant le slogan « pour que la France reste la France » qu’Eric Zemmour avait affiché en grand pendant sa campagne présidentielle en 2022.

Si le président de la République précise « pour que la France demeure cette nation de bon sens, de résistance et des Lumières », on ne peut qu’interpréter cette expression comme un clin d’œil appuyé aux « croyants » dans la théorie du grand remplacement, d’autant qu’un plan de relance de la natalité était annoncé lors de la même intervention. Plutôt le grand vieillissement, non ?

Ce n’est pas le seul emprunt extrême-droitier : Emmanuel Macron promet le « réarmement moral » de la Nation à base de Marseillaise, d’uniformes et de Service national universel (SNU). Il contente aussi les adeptes du « masculinisme » en réitérant sa défense de la « présomption d’innocence » de Gérard Depardieu, accusé de viol par plusieurs femmes…

Et s’il emprunte au philosophe Auguste Comte la formule « l’ordre condition du progrès », il omet le troisième terme de l’équation du catéchisme positiviste : « L’amour ». On est loin du progressisme de Macron version 2017, qui était un mélange d’humanisme et de libéralisme.

Emmanuel Macron remue le vieux fond réactionnaire, pour, à l’évidence, tenter de vider le bassin d’idées où prospère l’extrême droite, espérant que privés d’eau, ces adversaires s’assècheront. Mais on ne préempte pas impunément la pensée des autres : on finit par leur ressembler. Que Dieu nous préserve de telles vilenies !

Bruno Bourgeon, président d’AID http://www.aid97400.re

D’après Alternatives Economiques du 17 Janvier 2024 https://www.alternatives-economiques.fr/ecole-ecologie-economie-fantasmes-reactionnaires-demmanuel-macron/00109365

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