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Adaptation du scénario national de L’institut Momentum

Un scenario post-effondrement : La Réunion en 2050

par Dr Bruno Bourgeon, président d’AID

lundi 28 mai 2018, par JMT

Au cours de la trentaine d’années qui nous séparent de la moitié du présent siècle, les dérèglements écologiques inéluctables qui nous attendent constitueront la cause principale des évolutions du monde. L’économique n’est plus déterminante, c’est l’écologique qui devient facteur explicatif premier des phénomènes.

Ce bouleversement est inédit dans l’histoire de l’Humanité, inadaptée à de telles ruptures. Les signes avant-coureurs en sont pourtant perceptibles depuis les débuts de la révolution thermo-industrielle il y a deux siècles et plus encore depuis la fin de la seconde guerre mondiale. « Anthropocène » est le mot retenu par les scientifiques qui considèrent que ce bouleversement systémique est d’origine humaine.

Après l’Holocène, époque interglaciaire engagée il y a 11 700 ans, s’ouvre ainsi une nouvelle époque géologique au cours de laquelle les impacts des activités humaines deviennent les principales forces biogéochimiques du système-Terre, plus que les grands cycles naturels de l’eau, du carbone, de l’oxygène, de l’azote, du phosphore, du soufre et des métaux.

Et « Grande Accélération » désigne la période dans laquelle nous sommes entrés depuis 1945, pour signifier que ce bouleversement planétaire multiforme s’accélère depuis plus de soixante-dix ans. Ces constats sont issus de nombreux articles, études et rapports internationaux – tels ceux du GIEC préparatoires aux COP – qui ne cessent d’examiner les limites que l’écosphère ne doit pas dépasser si l’on veut éviter des catastrophes qui rendraient la
Terre inhabitable.

Un scenario post-effondrement : La Réunion en 2050

Introduction

Au cours de la trentaine d’années qui nous séparent de la moitié du présent siècle, les dérèglements écologiques inéluctables qui nous attendent constitueront la cause principale des évolutions du monde. L’économique n’est plus déterminante, c’est l’écologique qui devient facteur explicatif premier des phénomènes.

Ce bouleversement est inédit dans l’histoire de l’Humanité, inadaptée à de telles ruptures. Les signes avant-coureurs en sont pourtant perceptibles depuis les débuts de la révolution thermo-industrielle il y a deux siècles et plus encore depuis la fin de la seconde guerre mondiale. « Anthropocène » est le mot retenu par les scientifiques qui considèrent que ce bouleversement systémique est d’origine humaine.

Après l’Holocène, époque interglaciaire engagée il y a 11 700 ans, s’ouvre ainsi une nouvelle époque géologique au cours de laquelle les impacts des activités humaines deviennent les principales forces biogéochimiques du système-Terre, plus que les grands cycles naturels de l’eau, du carbone, de l’oxygène, de l’azote, du phosphore, du soufre et des métaux.

Et « Grande Accélération » désigne la période dans laquelle nous sommes entrés depuis 1945, pour signifier que ce bouleversement planétaire multiforme s’accélère depuis plus de soixante-dix ans. Ces constats sont issus de nombreux articles, études et rapports internationaux – tels ceux du GIEC préparatoires aux COP – qui ne cessent d’examiner les limites que l’écosphère ne doit pas dépasser si l’on veut éviter des catastrophes qui rendraient la Terre inhabitable.

Malgré ces alertes répétées, la progression vers le dépassement de ces limites continue, notamment dans l’érosion de la biodiversité, le dérèglement climatique, les perturbations des cycles de l’azote et du phosphore, quatre domaines déjà dépassés. Une période de ruptures s’annonce.

Ces ruptures semblent échapper à toute action humaine en vue de les éviter ou, au moins, d’en réduire les conséquences désastreuses. En outre, la croyance en une technoscience incite à penser que ce que les technologies sales ont engendré pourrait être réparé par des technologies propres.

Mais il est des continuités qui s’opposent à ces ruptures : ce sont les continuités sociales fondées sur la recherche incessante d’une vie décente, sur la lutte historique pour l’émancipation, non seulement contre la domination et les dégâts du productivisme mais aussi pour une vie meilleure.

Certaines continuités s’annoncent ainsi au prix de l’abandon du mode de vie extravagant et inique des deux milliards d’habitants les plus énergivores de la planète. À cet abandon, personne n’est disposé, malgré les signes avant-coureurs des catastrophes évoquées. Que l’on soit misérable à Johannesburg, pauvre à Brasilia, ou même cadre moyen à Nanterre, le magnétisme télévisé de la vie dorée et obscène des riches produit des images de surconsommation présentées comme le bonheur, voire la jouissance.

La face cachée de cette exhibition est, bien sûr, la dégradation du système-Terre, ainsi que la croissance des inégalités socio-économiques, jusqu’aux ruptures à venir. Pour l’instant, les appels à la sobriété n’ont aucun retentissement.

Il faudra attendre que les dirigeants souffrent de ces ruptures dans leur chair même, que les détériorations des milieux et les inégalités sociales aient franchi les seuils de l’invivable, et que les recommandations des écologistes résonnent comme autant d’issues et de promesses, pour que des réorientations considérables des modes de vie puissent avoir lieu.

Voici des études : « Scénario de transition énergétique » (Greenpeace, 2015), « Vers une mobilité sobre en CO2 » (SNCF, 2015), Afterres 2050 (Solagro, 2016), négaWatt (2017), « Paris change d’ère – Vers la neutralité carbone en 2050 » (elioth, egis conseil, Quattrolibri, Mana, 2017), « Un mix électrique 100%EnR en 2050 » (ADEME, 2017).

Le point commun à toutes ces études est leur caractère sectoriel. Ils vont très loin dans leurs thématiques respectives, toutes choses étant égales par ailleurs. La croyance induite par cette locution adverbiale est illusoire. De même que le silence ou le laconisme de ces études sur des possibilités de ruptures, voire d’effondrement, dans l’ordre socio-écologique ; leur gradualisme se marie avec la foi en la production industrielle, le progrès high tech et, pour la plupart, les marchés.

Partons plutôt d’un cadre global et de son évolution vers le pire pour préparer à une résilience et une soutenabilité dans les décennies à venir. Quelques questions sont fondamentales pour articuler un scénario à l’horizon 2050. Ces questions relèvent de la démographie, de la gouvernance, de la géographie, de l’agro-alimentaire, de l’énergie et de la mobilité.

Chapitre 1a : La démographie

Tous les deux ans, l’ONU publie ses projections démographiques. En juillet 2017, nous serons 9,8 milliards d’habitants en 2050 et 11,2 milliards en 2100, contre 7,5 milliards aujourd’hui. La Réunion stagnera à un peu moins d’un million d’habitants, dès lors que la population aura compris que la croissance démographique n’est pas viable. Ces projections modélisées restent incertaines, d’autres projections sont plus pessimistes sur la population mondiale, comme celle du Club de Rome, selon le scenario « business as usual ».

Chapitre 1b : La gouvernance

Devant l’impuissance des états à trouver une solution démocratique aux désastres écologiques et sociaux des années 2020, les Français et les Européens entreprirent, au cours des années 2030, une réforme considérable des institutions que l’on peut résumer par « une France fédérale dans une Europe fédérale ».

En effet, les grandes structures de domination et de contrôle, que sont aujourd’hui encore les entreprises transnationales et les appareils administratifs au service du libéral-productivisme mondialisé, n’auront cessé de décliner au cours du second quart du XXIème siècle suite au franchissement de leurs seuils respectifs de contre-productivité, selon le vocable de Ivan Illich.

Autrement dit, en investissant toujours dans les mêmes moyens qui avaient permis leur essor, ces structures (Google, Monsanto, Total, Carrefour, l’Union européenne, l’éducation nationale, etc.) auront fini par obtenir des résultats inverses à leurs objectifs : le coût marginal d’une complexité croissante devint négatif.

Plus on se mondialisait, plus on diversifiait les rôles sociaux, plus on consommait d’énergie, et plus les coûts devenaient prohibitifs tandis que les bénéfices diminuaient.

La décomplexification aura eu lieu pendant une dizaine d’années après les échecs traumatisants des Jeux Olympiques à Paris en 2024, la hausse définitive du cours du baril de pétrole au-delà des 200 $ et la faillite d’Air France peu après, enfin la ruine agronomique du modèle de la PAC consécutive à une longue canicule et à la raréfaction des pollinisateurs.

Le contrôle de la société par une élite aura diminué, de même que la stratification sociale et la spécialisation économique des personnes, jusqu’à une fragmentation politique en territoires moins vastes.

Des mouvements participatifs de citoyens permirent l’élaboration et la lutte pour une sorte de municipalisme écologique. De cette effervescence longue émergea une nouvelle constitution pour la France – tout le pouvoir aux bios régions ! – une relocalisation économique et sociale, et de nouvelles élections territoriales qui auront porté au pouvoir une nouvelle génération d’idéalistes audacieux et généreux.

Pendant ce temps, les décisions des gouvernements nationaux et des instances européennes seront passées au second plan. Même les pouvoirs régaliens de fiscalité et de sécurité auront été exercés plus par les nouvelles instances (bio) régionales que par les administrations centrales émoussées.

Une bio région est définie par une combinaison de facteurs tels que la géologie, le relief, l’hydrographie, le microclimat, l’occupation du sol, les terroirs, les matériaux de construction, l’architecture, les bassins de vie et d’emploi. Ainsi, les bio régions retrouveront des relations de proximité fondées sur l’approvisionnement alimentaire, aujourd’hui assuré plutôt par des cargos de fruits sud-africains ou des avions légumiers sino-australiens.

Le système infernal des transports contemporains éloigne la ville de sa campagne nourricière au profit d’un résidentiel dont plus du tiers des habitants passe plus de trois heures par jour à aller travailler dans l’agglomération, puis à en revenir le soir (en 2018, la simple moyenne est déjà supérieure à une heure et demi ; elle était inférieure à une heure en 1976).

Cependant, la durée du nomadisme quotidien sera beaucoup réduite en 2050, à cause de l’immense reconversion des emplois du secteur tertiaire vers le secteur primaire, et de l’offre rétrécie en moyens de transport.

Chapitre 2 : L’énergie

La fourniture continue d’énergie 365 j/an dépend d’infrastructures dimensionnées afin de toujours satisfaire la demande même pendant les épisodes de pic de consommation.

Le cas de l’électricité est archétypique de cette disponibilité permanente. Depuis un siècle, dans les pays industrialisés, chacun s’est habitué à cet accès ininterrompu parce que l’abondance des énergies fossiles permettait ce confort, au prix d’un extractivisme éhonté et d’une pollution croissante de l’atmosphère. Cette époque est révolue.

D’un côté, les sources d’énergies fossiles à bas coût d’extraction, sont en déclin. D’un autre côté, les énergies renouvelables, qui furent les seules sources d’énergie utilisées par l’humanité depuis des millénaires avant la révolution thermo-industrielle, les nouvelles technologies de captage et de conversion qu’elles suscitent ne parviendront pas à éliminer leurs deux tares intrinsèques : leur dispersion et leur intermittence.

En outre, malgré une forte croissance actuelle des investissements et des réalisations dans ce domaine, il est vraisemblable que ces sources ne produisent jamais une quantité d’énergie aussi considérable que celle des fossiles qu’elles remplaceraient, et n’atteignent jamais non plus les retours sur investissements énergétiques qu’affichaient les fossiles au XXe siècle.

Autrement dit, en 2050, le 100% de renouvelables – qui adviendra de toute façon à cause de la déplétion terminale des fossiles et de la faillite du nucléaire – ce 100% fournira beaucoup moins d’énergie qu’aujourd’hui et sera soumis à l’intermittence.

Dans le secteur électrique, l’hypothèse renverse la philosophie d’adaptation permanente de l’offre à la demande : en 2050, le 100% renouvelables ne sera réalisé qu’en adaptant la demande à l’offre, donc en acceptant des pénuries occasionnelles et sectorielles.

En effet, si l’on peut plus ou moins prévoir les variations diurnes et saisonnières de l’ensoleillement, il est impossible de prévoir le passage d’un nuage au-dessus d’un champ de panneaux photovoltaïques. Les diminutions d’apport énergétique peuvent être très brusques et, parfois, de grande ampleur.

De même pour l’éolien, plus volatile que le solaire. En moyenne annuelle, et selon leur site, les éoliennes produisent entre 10% et 45% de leur capacité-crête, soit le double du photovoltaïque qui produit de 5% à 30%. Mais le vent est encore plus instable que le soleil : il change à chaque seconde. En Californie, une ferme éolienne peut distribuer une puissance de 0 à 600 Mégawatts par jour.

Idéalement, donc, les renouvelables seraient utilisées quand elles sont disponibles. Or on ne peut ajuster la demande à l’offre tout le temps. Il existe des activités électriques qu’il est impossible d’interrompre ou de remettre à plus tard. Par exemple, l’alimentation des hôpitaux et des foyers domestiques le soir, ou les industries des papiers-cartons, de la chimie et de la sidérurgie. Dans d’autres secteurs industriels, seule la vitesse de production serait ralentie.

De toute façon, une certaine quantité continuelle de courant sera assurée en base par l’hydraulique et de cogénération sur méthanisation ou sur machine à vapeur. En outre, pour des activités telles que le froid ou les processus contrôlés par ordinateur, des compléments ponctuels peuvent être fournis par les batteries et accumulateurs, par l’air comprimé, rechargés en période d’abondance d’électricité renouvelable.

Dans le secteur des transports, quelques trains et tramways seront disponibles en traction électrique issus d’éolien la nuit (trains de marchandises) ou de solaire photovoltaïque le jour par des allées de panneaux le long des voies ou au-dessus des caténaires. Et puis, de temps à autre, les trains ne rouleront pas, faute de courant suffisant.

D’ailleurs, une directive européenne sur l’hibernation aura été adoptée et transcrite en droit réunionnais : d’avril à octobre, les horaires de travail quotidien commenceront une heure plus tard et se termineront une heure plus tôt. C’est le bio mimétisme adapté aux corps sociaux.

Chapitre 3 : L’agro-alimentaire

La disponibilité d’énergie et d’aliments sont les deux premières priorités de tout territoire habité. Examinons si la région Réunion est capable de nourrir sa population à partir de son territoire en pratiquant uniquement l’agriculture biologique.

Un raisonnement global sur la région nous indique que non, si l’on s’en tient aux surfaces actuellement disponibles, à l’agencement trop carné des rations alimentaires, et aux méthodes énergivores et polluantes de l’agriculture contemporaine, ou à l’accaparement de la sole agricole par une monoculture non nourricière, la canne à sucre.

Cependant, des changements radicaux permettront de réaliser l’autosuffisance de La Réunion en nourriture à l’horizon 2050, en supposant une modification drastique des comportements alimentaires : moins de pain et de viande, plus de légumes et de fruits.

Du côté de la demande en énergie alimentaire, nous supposerons que chaque Réunionnais dispose, en moyenne, de 2 500 calories par jour (en fait, plutôt 3 000 pour les actifs manuels, et 2 000 pour les autres), soit environ 900 000 calories par personne et par an. Du côté de l’offre agroalimentaire, estimons la surface agricole utile actuelle de La Réunion à 60000 ha, soit 0,075 ha = 750 m2 par habitant.

Aujourd’hui, en agriculture biologique, une rotation céréales-pois produit environ 6 millions de calories par hectare et par an, soit 600 000 calories par habitant et par an, ou encore environ 1650 calories par jour pour chaque habitant. Ce qui est insuffisant. En outre, cette estimation ne tient pas compte des variations de production selon les années, dues aux aléas climatiques, aux pestes végétales ou aux maladies des plantes. Non plus qu’une partie de la surface agricole utile peut être dédiée à l’élevage pour la viande, le lait ou la traction animale.

Si l’on ajoute environ dix pour cent de perte de récolte, stockage, transport et autres opérations entre la fourche et la fourchette, le bilan – purement calorifique – se dégrade encore. Et plus encore, si l’on veut équilibrer la composition des repas sur une semaine en présentant plus de variété, plus de goût, plus de couleur.

Mais une autre agriculture est possible ! A l’instar des Amérindiens, Australiens ou Japonais, le modèle agrobiologique du futur est l’association maïs-haricots-courges (les « trois sœurs », le milpa mexicain) complétée par la permaculture maraîchère, sur des petites fermes.

Tout d’abord, sous l’angle de la soutenabilité énergétique, ce modèle ne réclame aucun intrant extérieur en amont et possède une efficacité dix fois supérieure (oui, dix fois) à l’agriculture productiviste de grande surface en aval : une calorie investie dans ce système restitue une vingtaine de calories alimentaires, tandis que le retour énergétique n’est que de deux calories dans le productivisme.

Sous l’angle des coûts, ce modèle agrobiologique revient moins cher au consommateur si, dans le modèle productiviste, on prend en compte les subventions aux agriculteurs (aujourd’hui, dix milliards par an pour la France), les externalités négatives désormais patentes comme l’érosion des sols, la contamination de l’eau et de l’air, et le déclin de la biodiversité, ainsi que les maladies provoquées chez les agriculteurs eux-mêmes et chez les consommateurs de cette malbouffe.

Sous l’angle de l’emploi enfin, ce modèle permet de créer un emploi pour 1000 m2 en permaculture et deux par hectare en association des trois sœurs.

Philosophiquement, ce modèle contient aussi une reconnaissance nouvelle de la symbolique agricole dans nos vies. L’image du travail agricole est très dégradée. Cette dévalorisation cessera avec l’essor du modèle agrobiologique, et surtout, avec la création massive d’emplois dans ce secteur.

Chapitre 4 : La mobilité

Au début, les regroupements humains s’établirent en bord de mer ou le long des fleuves. Puis, au dix-neuvième siècle, le charbon et le rail permirent l’édification de villes éloignées des ports. Enfin, au siècle dernier, le pétrole, les voitures et les camions favorisèrent une considérable extension banlieusarde.

La lutte contre le dérèglement climatique et le pic de production de pétrole conduisent certains à croire que l’on pourrait continuer cette expansion automobile en changeant simplement de carburants.

Ainsi, le Royaume-Uni et la France se fixent comme objectif l’arrêt de la vente de voitures à moteur thermique à l’horizon 2040. Les constructeurs prétendent pouvoir tenir l’objectif par l’arrivée des moteurs électriques, hybrides ou à hydrogène. Cet objectif est illusoire. Quelques éléments de réflexion sur la bêtise que constituerait la transition des véhicules thermiques vers les véhicules électriques – hydrogène ou batteries, peu importe – auront fini par convaincre les décideurs après 2025, lorsqu’il devint certain que l’offre électrique serait faible en 2050.

L’hydrogène est très cher à produire, très cher à transporter, très cher à stocker (dans les véhicules), très cher à convertir en électricité et très dangereux à manipuler. Exit l’hydrogène, sauf si on l’utilise différemment. Voir la start-up réunionnaise NEWS.

Restent les batteries, rechargeables bien sûr. La question devient alors celle des infrastructures. Dans ces domaines les chiffres sensibles sont ceux qui concernent les pointes de la demande et non les moyennes.

La moyenne de la demande n’a aucune pertinence : ce qui est nécessaire est que l’offre satisfasse les demandes de pointe. C’est-à-dire, en ce qui concerne l’électricité, la montée en charge entre 06h00 et 09h00 le matin et le pic du soir entre 18h00 et 20h00.

Si vous ajoutez la recharge de batteries pour voitures électriques à la courbe actuelle de demande d’électricité quotidienne, il faudrait doubler la production électrique réunionnaise pour satisfaire ces pointes pour un parc de bientôt 500000 véhicules. Ceci est de la folie. Exit les véhicules électriques.

En revanche la Réunion est particulièrement bien adaptée aux petits véhicules à moteur à air comprimé : parcours faibles, dénivelés importants, climatisation gratuite, rechargement par panneaux solaires et compresseur au domicile avec réserve supplémentaire d’air comprimé et possibilité de stocker ainsi de l’énergie pour viser l’autonomie électrique individuelle,

Nous ne parlerons pas plus longuement de l’aviation qui se sera éteinte pour toujours. Aucun carburant ne pourra faire perdurer la civilisation thermo-industrielle, la mondialisation intensive des échanges, la mobilité à longue distance et à bon marché pour la moitié riche de l’humanité actuelle.

Pourtant, en 2050, subsisteront quelques véhicules de secours et de sécurité motorisés en diesel, rustiques, à faible taux de compression et alimentés par maints hectolitres d’huiles végétales brutes (moins canne à sucre que maïs, éventuellement algocarburants), ainsi que quelques tracteurs et tractopelles du même type.

Dans les années trente de ce siècle, les autorités régionales auront donc décidé de réserver la faible fourniture d’électricité aux tramways vicinaux. D’ailleurs, ces trains serviront autant au transport de marchandises qu’à celui des voyageurs, beaucoup moins nombreux que les migrants pendulaires actuels.

En effet, la reconversion massive des Réunionnais en maraîchers NIMA (non issus du milieu agricole) pour une partie de leur temps, aura réduit la mobilité contrainte domicile-travail. D’autre part, les gares verront leurs halls comme marchés couverts permanents pour l’alimentation en produits frais.

Néanmoins, les moyens de mobilité du futur sont plutôt à envisager du côté de la marche à pied, de la bicyclette et de la traction animale, de la voile et des embarcations à rames. La géométrie et les performances des bicyclettes ont peu changé depuis un siècle et, s’il est bien entretenu, un vélo peut durer très longtemps, à condition de disposer d’une réserve de pneus et de chambres à air.

De même que dans certains autres domaines, il faudra anticiper dès aujourd’hui la fabrication massive de bicyclettes afin d’en disposer en 2050. En effet, bien que simple d’apparence, le vélo requiert des matériaux industriels tels que l’aluminium et le caoutchouc. Comme la marche, le vélo fait uniquement appel à l’énergie musculaire, et, à dépense énergétique égale, il est deux fois plus efficace et trois fois plus rapide.

En outre, le vélo est un engin multi-usages : équipé d’une caisse à l’avant ou d’une remorque à l’arrière, il peut transporter des charges ; à quatre roues, il se transforme en tracteur à pédales capable de semer, déchaumer, faner, andainer, tirer et autres tâches réclamant peu de puissance ; en station fixe et branché à une courroie, il peut actionner une petite batteuse à grains, une cardeuse de fibres, un extracteur de jus, une pompe à eau, un broyeur, un petit lave-linge, un mélangeur…

Privés de nombreux tracteurs, mais épris de puissance, nous ferons de nouveau appel à la traction animale. Plutôt que sur les bœufs, les chevaux de trait, plus rapides, plus forts et plus résistants, seront utilisés.

Parier ainsi entraîne, ici aussi, une préparation bien en amont pour un bénéfice en aval, principalement une possibilité de production agricole en faveur des chevaux (un quart des terres cultivées), une fabrication de harnachements spécifiques (harnais, colliers de travail, courroies, sangles…) et de différents types de chariots, des espaces pour leur habitat et, bien sûr, un nombre conséquent de chevaux aptes à l’attelage. Toute une sellerie, une maréchalerie et des infrastructures à créer. Ces considérations prophétiques s’appliquent à la voile et aux embarcations à rames.

Moins de transports donc, mais, paradoxalement, plus de mobilité. Il faut, en effet, imaginer ce que sera une Réunion avec un exode urbain de la zone dense vers les campagnes. En outre, une fois établie en quelque partie rurale, une famille idéale consacrera la moitié de son temps à la permaculture, l’autre moitié à échanger localement produits et services avec ses voisins villageois, et la troisième moitié à faire l’aller-retour vers les villes pour assister à un spectacle.

Ces deux perspectives – 1 million d’habitants à La Réunion et des activités commerciales et citoyennes locales – esquissent un nouveau genre de mobilité, tant spatiale que sociale.

La voiture comme outil hégémonique de la mobilité libre, démesurément martelée par la propagande publicitaire, aura été vaincue par la congestion et la pollution insupportables des agglomérations au risque de la santé, la réaction des populations face aux épisodes violents du dérèglement climatique, le renchérissement soudain du prix des carburants due à la raréfaction du pétrole, et la volonté des instances politiques de changer de paradigme de mobilité.

Imaginer les chaussées d’une ville débarrassée de tout véhicule particulier et occupée par la diversité des piétons, poussettes, vélos, fiacres et tramways aura été d’autant plus facile à réaliser que les villes se seront progressivement dépeuplées.

Dr Bruno Bourgeon, président d’AID, D’après l’Institut Momentum, version intégrale sur www.aid97400.re

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PUBLICATION MEDIAS LOCAUX

* Courrier des lecteurs dans Zinfos974 du

* Courrier des lecteurs d’Imaz Press Réunion du

* Page 2 dans Le Quotidien du 31/05/2018 (Première partie : Introduction, Chapitres 1a et 1b)

* Page 2 dans Le Quotidien du 01/06/2018 (Deuxième partie : Chapitres 2 et 3)

* Page 2 dans Le Quotidien du 04/06/2018 (Troisième partie : Chapitre 4)

Paysages résilients : Approche systémique de la ville post-effondrement

30 mars 2018 par Pierre Lacroix, séminaire du 16 mars 2018

Changements climatiques, chaînes d’approvisionnements en flux-tendu, pollution, crise des intrants et des énergies, disparition de l’agriculture familiale, déconnexion urbain-rural… Nous semblons être face à une masse d’enjeux complexes, insolubles, interconnectés et difficiles à appréhender. Et si l’on considérait tous ces facteurs ensemble, et pas isolément ? Une approche systémique de l’accélération des crises environnementales, sociales et économiques permet de dégager une certitude : notre avenir n’est pas linéaire. Une hypothèse désormais réaliste est celle d’un effondrement systémique global dans les prochaines années. Des solutions existent, mais il faut encore les mettre en réseau, imaginer leur mise en œuvre à grande échelle. C’est pourquoi mes réflexions visent à dessiner, littéralement, un système complet post-effondrement, pour mettre en marche nos imaginaires et penser d’ores et déjà la résilience. Je m’attaque à la question, tellement importante : « à quoi pourraient ressembler nos paysages, après l’effondrement du système industriel ? »

Pour tenter d’y répondre, j’ai développé une bande dessinée qui propose d’emballer un tel système d’une trame narrative. Lors d’un itinéraire fictif en territoire résilient, le lecteur est emmené dans une visite guidée en territoire résilient, où des solutions locales travaillent, en paysage urbain comme rural, à reconstruire la sécurité alimentaire. Cette immersion en quatre dimensions dans le futur permet d’en avoir une compréhension globale et intuitive. Ces paysages sont les phénotypes d’un modèle systémique développé dans un mémoire de fin d’études : Paysages résilients. Approche systémique du territoire post-effondrement.

Il y a beaucoup d’outils qui permettent de penser la ville de demain. Certains projets urbains socialement ou écologiquement innovants, des lieux de partage, de culture, ou même les friches et les espaces à usage informel ou ponctuel, me semblent être des points-clé de la ville. Souvent, ils ne sont même pas reconnus par la ville elle-même mais ils me donnent l’impression d’être des émergences de la ville de demain.

Par contre, penser la ville de demain dans sa totalité est une autre affaire. On connaît des images de la ville écologique et high-tech à la Vincent Callebaut, ou les smart cities qu’on nous présente de plus en plus souvent comme étant notre seul avenir possible et souhaitable. Ces visions ne tiennent pas compte du socle physique sur lequel sont fondées nos villes. Comment imaginer une ville globale, construite sur la ville d’aujourd’hui avec les initiatives locales de demain ? Et comment relier ces initiatives pour que cette ville fasse système ?

Les villes, points de concentration de la consommation de ressources, sont en première ligne face aux risques liés à l’approvisionnement, de par leur haute dépendance à leur hinterland et à l’énergie. Un effondrement pourrait fortement ébranler et remettre en cause leur fonctionnement : on peut raisonnablement considérer que sans pétrole, les environs directs des villes ne parviendront pas à alimenter celles-ci, surtout pour les plus grandes et les plus denses d’entre elles. De fait, la question de la taille est cruciale pour la sécurité alimentaire d’une ville : au-delà d’une certaine taille et densité, les réseaux deviennent extrêmement complexes et la ville est contrainte de perdre en résilience. Ce phénomène de stade critique dans la taille d’un système est similaire à celui de tout organisme vivant.

Enfin, si l’on considère que les grandes villes sont fragiles et difficiles à approvisionner, contrairement à de petites entités plus résilientes, on peut conclure qu’elles connaîtraient probablement une désurbanisation partielle au profit des campagnes, au profit d’entités urbaines plus petites. Ces entités seraient plus résilientes, alors que les espaces ainsi libérés en ville libèrent une série de niches creuses (friches, bureaux vides, voies de communication, etc.) qui peuvent être exploités par la population restante (par exemple en développant l’agriculture urbaine pour améliorer la sécurité alimentaire). En outre, les infrastructures en place (excédentaires en cas de désurbanisation) pourraient servir dans un premier temps de matières premières de réemploi.

J’imagine donc la ville de demain comme une entité qui, arrivée aux limites de sa complexité et de sa productivité, se réinvente. Dans un contexte de descente énergétique, la ville subit des chocs. La toile dont elle fait partie se brise pour partie, et elle doit s’y adapter. Les initiatives locales y fleurissent alors que l’ordre et la productivité s’effondrent. La ville de demain est un rude désordre où il fait bon vivre.

La ville post-effondrement pourrait être avant tout constituée d’un tissu urbain discontinu. Certaines zones, vidées par un exode urbain massif ou jugées trop inhospitalières ou mal approvisionnées, y constituent autant de dents creuses où le milieu artificiel est en déprise. L’on peut y voit des décharges, des ruines, mais aussi des espaces dégagés pour y développer des micro-projets d’agriculture urbaine. C’est en en effet là, au milieu d’une ville en ruine, que se rebâtit une résilience locale, au plus près des habitants. Entre déprise et reprise, la ville se reconstruit sur elle-même, en un large chantier permanent où s’établissent des projets éphémères.

Les infrastructures vieillissent et tombent en ruine. Les voitures individuelles ont disparu, libérant l’espace public de leur bruit, leurs odeurs, leur encombrement. Les mobilités qui les remplacent se partagent des rues sans qu’on mode prenne l’ascendant sur un autre. Le paysage urbain, en mutation progressive, s’apprécie lors de trajets à pied, à vélo, en charrette, en tram, toujours à vitesse modérée sur un sol irrégulier et dégradé.

La rue est un espace de passage mais aussi de vie, de travail, de commerce, de sociabilité. On y voit des marchés, des matières premières, des étalages, mais aussi une végétation spontanée qui s’incruste dans les interstices d’une ville qui n’est plus bétonnée. Les arbres y ont un rôle prépondérant, grâce aux nombreux services qu’ils rendent. Il n’est pas rare de passer dans une rue végétalisée, via un chemin central à l’ombre d’arbres fruitiers et entouré de petites parcelles potagères desservant les commerces et habitations. Dans ce réseau-là de rues, on chemine et on flâne. Sinon, l’on emprunte des avenues plus larges et praticables, où circule un charroi plus important.

D’un point de vue de la sécurité alimentaire ou énergétique par exemple, on peut supposer que la taille et la population des villes sera directement dépendante des capacités de production et d’acheminement de son hinterland, ou de sa « biorégion ». La ville y est fortement liée pour son approvisionnement.

Un enjeu majeur est l’utilisation des sols de la ceinture urbaine. Or ces terres sont généralement couvertes d’un habitat pavillonnaire (urban sprawl) : un ensemble de maisons individuelles, généralement à quatre façades et jardin, issu de l’étalement urbain résidentiel (souvent en tentacules le long des axes de circulation et dans la périphérie des villes, donc des surfaces gagnées souvent au détriment des exploitations agricoles ou des zones naturelles).

Ce type d’habitat dépend des centres d’activités économiques des villes proches, et compose souvent des quartiers-dortoirs : la densité urbaine y est en effet très faible, avec peu de services, ce qui en fait des zones peu habitées et peu souvent peu conviviales. La voiture est à la fois une cause et une conséquence de l’existence de l’habitat pavillonnaire, qui pourrait subir particulièrement un effondrement, mais aussi y contribuer.

Une des solutions envisageables serait de reconvertir l’habitat pavillonnaire en zone d’agriculture urbaine intensive : puisque ces habitats sont généralement proches des villes, dans une ceinture censée nourrir ces dernières, et comprennent une densité moyenne d’habitat, une agriculture intensive en main d’œuvre et peu intensive en intrants et énergie y serait appropriée. La permaculture, par exemple, semble toute indiquée. Transformés en lieux de production et non plus de dépendance, les habitats pavillonnaires contribueraient ainsi à améliorer la sécurité alimentaire des villes en jouant un rôle important dans le métabolisme urbain par une production en circuits courts.

Aux territoires ruraux, il incombe de produire de l’énergie pour leur propre approvisionnement et celui des villes. Il en va de même pour la production alimentaire. Relever ce double défi, sans pétrole, sous-tend une refonte totale des systèmes d’approvisionnement, où la diversité des sources joue un rôle crucial.

Un effondrement est donc à la fois un bouleversement total de nos modes de vie, notre mobilité, nos paysages… Et une merveilleuse opportunité de recréer un nouveau système, à échelle naturelle.

Pierre Lacroix

Pierre Lacroix est architecte paysagiste. Sensible depuis toujours à des notions de décroissance et d’écologie radicale, c’est à la fin de son Master en architecture du paysage (Gembloux Agro-Bio Tech & Université Libre de Bruxelles, Belgique), qu’il met en pratique son approche semi-sensible et semi-technique du territoire pour parler de collapsologie et de Transition. Ce mémoire de fin d’études intitulé “Paysages Résilients. Approche systémique du territoire post-effondrement” et partiellement réalisé en BD, est un outil de communication remarqué. Aujourd’hui, Pierre travaille sur plusieurs projets de recherche-action au Centre d’Écologie Urbaine asbl à Bruxelles, pour mettre en pratique ces idées de résilience en milieu urbain.

LIENS

* Institut Momentum - L’anthropocène et ses issues

VIDEOS

* Philippe Bihouix : Le mensonge de la croissance verte ?

* Philippe Bihouix, "Le mirage des voitures électriques", France Inter, septembre 2017

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