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D’après Reporterre du 13 Octobre 2021

Greta Thunberg : « L’inaction climatique est un choix délibéré »

Par Bruno Bourgeon

vendredi 29 octobre 2021, par JMT

Greta Thunberg : « L’inaction climatique est un choix délibéré »

La militante Greta Thunberg, initiatrice des « grèves de l’école pour le climat » a été interviewée le 6 octobre 2021 dans son appartement à Stockholm, en Suède, par NBC News, Reuters et The Nation

« Aucune action pour le climat n’est trop petite », dit Greta Thunberg, interviewée chez elle, en Suède. Elle souligne l’importance du militantisme écologiste et dénonce les politiciens aux « discussions interminables qui sont rarement suivies d’actions ». Son souhait est que la crise climatique soit traitée comme une urgence. Cet article essaie de résumer la pensée de la jeune militante suédoise au travers d’une interview qu’elle a récemment donnée à Covering Climate Now.

COVERING CLIMATE NOW — À la conférence Youth4Climate le 28 septembre, en Italie, vous avez employé l’expression « bla-bla-bla » qui est devenue virale. À qui ce « bla-bla-bla » était-il adressé ?
GRETA THUNBERG — Il visait surtout les gouvernants d’aujourd’hui. J’ai repris des paroles prononcées par de nombreux dirigeants mondiaux, et il m’a paru évident que cette expression les traduisait parfaitement. Je m’adressais donc à un grand nombre de personnes. Les paroles sont utiles quand elles aboutissent à quelque chose, mais dans le contexte actuel, elles ne servent à rien. Comme nous avons pu le constater, on substitue les paroles à l’action.

Quels dirigeants comprennent la situation climatique, et dont les actions sont à l’unisson de leurs paroles ?
Personne n’est dans ce cas de figure aujourd’hui. Bien sûr, il y a beaucoup d’individus qui souhaitent en faire plus et qui essaient de faire pression de toutes les manières possibles, mais aucun dirigeant ne prend de mesures suffisantes.

Avec le Covid, la pandémie a été qualifiée d’urgence planétaire. Les gens se sont mobilisés et des milliards ont été investis. Pensez-vous que l’urgence climatique soit traitée de la même manière que l’urgence Covid ?
Objectivement – et surtout si on regarde les réactions au Covid à travers le monde –, on peut dire que la crise climatique n’est pas traitée comme une urgence. Elle ne l’est pas et ne l’a jamais été.

Si vous conseilliez un dirigeant mondial et qu’il vous demandait : « Greta, quelle est la première mesure que je devrais prendre aujourd’hui ? », que lui diriez-vous ?
Une mesure fondamentale serait de commencer à éduquer les gens sur l’urgence climatique, puis d’agir face à cette situation d’urgence. On ne pourra pas réellement changer les choses sans le soutien des populations de la planète. Mais comment avoir leur soutien alors qu’elles ne sont pas au courant de toutes les retombées du dérèglement climatique, et que leurs dirigeants ne considèrent pas la crise comme une véritable urgence ?

Pensez-vous néanmoins que les citoyens sont en avance sur leurs dirigeants, qu’ils sentent que quelque chose de grave est en train de se passer et qu’il faut agir ?
Je crois que oui, et que dans de nombreuses régions du monde, la volonté d’agir des peuples est sous-estimée. Les sondages démontrent que beaucoup plus de personnes que nous ne le pensons souhaitent réellement prendre des mesures face au dérèglement climatique. Les populations sont en avance. Mais on entend surtout les paroles de certaines personnes qui font croire que la grande majorité ne souhaite pas qu’on agisse. Ces voix occupent une place disproportionnée et on leur accorde beaucoup trop d’attention, car ce qu’ils disent n’est pas représentatif.

Quel est, selon vous, le prix à payer pour notre inaction, pour chaque jour perdu à attendre plutôt qu’à prendre des mesures globales, aussi petites ou grandes soient-elles ?
Nous constatons déjà les effets dévastateurs de l’inaction et de l’attente. Si nous continuons comme ça, la situation ne fera qu’empirer. Beaucoup plus de vies, de moyens de subsistance et d’écosystèmes seront perdus. Et un grand nombre de dommages seront irréversibles. Des populations en souffrent déjà aujourd’hui, et la situation ne fera qu’empirer et s’amplifier tant que nous choisirons d’attendre. L’inaction climatique est un choix délibéré.

La volonté d’agir en faveur du climat est surtout portée par les jeunes comme vous. Pensez-vous que les jeunes de ce monde ont un impact sur la politique climatique ?
Les jeunes ont, et ont eu, un impact important, surtout récemment. Bien sûr, nous n’avons pas le pouvoir de changer les choses, mais nous avons le pouvoir d’influencer d’autres personnes, les adultes. Parce que nous ne pouvons rien faire sans les autres. Nous avons besoin leur soutien, car nous ne sommes pas les décideurs. Nous avons besoin que tout le monde fasse pression sur les gouvernements. Il nous faut de l’aide, nous ne réussirons pas seuls. Tout le monde répète que le combat des jeunes est tellement important, mais ça ne doit pas empêcher les autres d’agir, parce que nous avons besoin d’eux. Nous avons besoin que tout le monde nous aide.

Que dire à ceux qui pensent : « En quoi mes actions peuvent-elles changer quoi que ce soit ? »
Tous les activistes ont dû passer par des moments où ils se disent : « Je ne peux rien faire, je ne peux rien changer. » C’est le cas pour moi aussi. Mais je crois qu’ensemble nous avons prouvé que ce n’est pas vrai. Lorsqu’on se rassemble pour mobiliser les gens, organiser des événements et mener des campagnes qui peuvent avoir un impact massif, ça peut tout changer, ça peut changer la perception qu’a le public de ces questions. Aucune action n’est trop petite. Comme beaucoup d’autres, j’ai commencé très modestement, en essayant tout simplement de réduire mon empreinte carbone chez moi, puis nous sommes devenus militants et sommes descendus dans la rue. Maintenant, nous formons un réseau de millions de personnes à travers le monde.

Vous avez sans doute vu la vidéo montrant la fuite d’un oléoduc au large de la côte californienne, où plus de 450.000 litres de pétrole se sont déversés dans l’océan Pacifique. Qu’en avez-vous pensé ?
Évidemment, cela devrait provoquer une prise de conscience. Mais on a vu tellement d’accidents similaires qu’on est devenus insensibles et qu’on n’a plus les bonnes réactions. Ces incidents se reproduisent tellement souvent… Bien sûr, je pense que c’est un signal clair que le modèle de notre société n’est pas durable. Dans tous les domaines. Parce que ces systèmes qui provoquent la destruction de l’environnement provoquent le dérèglement du climat. Ça démontre tout simplement la nécessité d’un changement fondamental, un changement qui serait bénéfique pour tous.

Comment expliquez-vous que les gens n’entendent pas ce signal d’alarme ?
Personne n’agit comme si nous étions en situation d’urgence. Les humains sont des animaux sociaux : on s’observe et on imite le comportement des autres. Et puisque tout le monde autour de nous se comporte comme si tout était normal, comme si tout allait bien, c’est tout à fait normal que, nous aussi, on se comporte comme si tout allait bien.

Allez-vous assister à la COP26 en personne ou à distance ? À votre avis, quelle est l’efficacité de conférences mondiales sur le climat comme celle-ci ?
Je pense y assister en personne. Ces COP ne mènent à rien à moins d’une pression publique massive. Cependant elles ont le pouvoir de changer les choses, puisque tant de personnes s’y réunissent pour trouver des « solutions ». Dans l’état actuel des choses, ça ne mène à rien, parce que ce n’est que du bla-bla : des négociations et des discours vides, des discussions interminables rarement suivies d’actions. Mais, pour nous, c’est l’occasion de mobiliser le public, d’attirer l’attention sur la crise, d’expliquer que nous sommes face à une situation d’urgence… Enfin, je pense que la COP26 sera l’occasion pour nous de mobiliser le public autour du dérèglement climatique.

Quels résultats espérez-vous ? Quel moyen de pression aimeriez-vous voir adopté ?
En l’état actuel, nous sommes très loin de ce qui est nécessaire, à mille lieues des préconisations de l’Accord de Paris et rester en dessous de 1,5 °C par rapport au niveau préindustriel. La réussite serait l’adoption d’une attitude honnête, pointer l’écart entre ce que nous disons et ce que nous faisons. C’est primordial. Pour changer les choses, on doit reconnaître la situation. Comprendre où nous en sommes. Aujourd’hui, nous cherchons des solutions concrètes et symboliques pour donner l’impression que nous faisons quelque chose, sans vraiment nous attaquer au cœur du problème. Lorsqu’il s’agit de réduire les émissions de gaz à effet de serre, on utilise toujours une comptabilité créative. Et tant que ce sera le cas, nous n’irons pas bien loin.

Vous avez exprimé votre inquiétude quant à l’absence d’une représentation équitable des pays les plus pauvres qui sont par ailleurs les plus touchés par le changement climatique.
C’est le cas à chacune de ces réunions. Il y a toujours une sous-représentation des pays les plus pauvres, ce qui est encore plus évident cette année, avec les restrictions de voyage et la mise en quarantaine de certains participants.

Les pays riches n’ont pas tenu leur promesse de soutenir les pays pauvres. L’aide pour développer une économie durable et atténuer les impacts climatiques ne leur est jamais parvenue. Qu’en pensez-vous ?
Cette trahison est très symbolique. On parle beaucoup de trahison envers les jeunes et les générations futures, mais il y a aussi la trahison des pays les plus riches envers les pays les plus pauvres – des personnes les moins touchées envers celles qui sont les plus touchées. On n’est pas seulement en train de voler l’avenir de nos enfants, on est aussi en train de priver des millions de personnes dans le monde de leur présent. En refusant de tenir leurs promesses, de rembourser leur dette historique, les pays riches montrent où ils se positionnent et quelles sont leurs priorités.

Que répondre aux personnes qui disent : « Vous savez, pour nous, changer de mode de vie, d’énergies, de véhicules, de transport, ça coûte trop cher. On va perdre des emplois, les prix vont s’envoler… » ?
Les retardataires dans la lutte contre le changement climatique ainsi que les défenseurs du statu quo ont très bien réussi à nous faire croire que ces mesures nous feraient perdre de l’argent. Évidemment, ce n’est pas le cas et, bien sûr, comme nous le savons maintenant, l’inaction nous coûtera beaucoup, beaucoup plus cher.

Selon vous, qu’est-ce que le mouvement pour le climat a réalisé de meilleur au cours des deux dernières années et demie, et en quoi s’est-il montré défaillant ?
Le mouvement pour le climat a réussi à mettre l’accent sur l’urgence climatique et l’urgence écologique et, d’une certaine manière, à changer la norme sociale et le débat autour du climat. On a l’impression que le public prend lentement conscience des enjeux et commence à saisir qu’il s’agit d’une urgence. On est loin d’être à hauteur du défi.

Vous parlez de l’importance de l’opinion publique qui est la seule à pouvoir porter les changements nécessaires, y compris lors de la COP26. Quel est le rôle des médias à cet égard ?
Jusqu’à présent, les médias n’ont pas réussi à communiquer sur la crise climatique. Ces trente dernières années, ils ont eu la lourde responsabilité de sensibiliser l’opinion à la situation d’urgence dans laquelle on se trouve, et, aujourd’hui, on peut dire qu’ils ont échoué. Il y a bien sûr un grand nombre d’organisations de presse et de journalistes qui essaient de faire pression, et j’estime qu’ils ne reçoivent pas le soutien qu’ils méritent. Avec leur pouvoir de communication, les médias peuvent changer les mentalités : ils sont sources d’espoir. Nous avons pu voir avec la pandémie du Covid, par exemple, que quand les médias ont décidé de la traiter comme une urgence, cela a changé les normes sociales du jour au lendemain. Et si les médias décidaient, avec toutes leurs ressources, de changer les choses, d’utiliser leur tribune pour le bien, alors ils pourraient toucher d’innombrables personnes en un rien de temps.

Les entreprises de combustibles fossiles ont menti à propos du changement climatique pendant quarante ans. Devraient-elles être condamnées à payer des dommages et intérêts ?
Les mesures que vous évoquez semblent raisonnables. Ces entreprises doivent être responsables. Certains disent que nous aurons besoin d’elles pendant la transition. Elles doivent être tenues responsables de tous les dommages causés. Pour les personnes dont la communauté, la santé et les moyens de survie ont été détruits par leurs actions.

On sait que l’abandon n’est pas une option pour vous, mais face à l’inertie des dirigeants malgré les manifestations et la réprobation de l’opinion publique, envisagez-vous de modifier votre stratégie ?
Je ne sais pas. On ne fait que répéter le même message comme un disque rayé, puis on descend dans la rue pour répéter ce même message parce qu’il n’a toujours pas changé. Nous devons le répéter. C’est notre seule option. Si on trouve d’autres formes de communiquer, on pourra éventuellement changer. Pour l’heure, ce n’est pas le cas.

Bruno Bourgeon http://aid97400.re
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