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D’après Alternatives Economiques du 09 Février 2024

JO d’hiver 2030 en France : une fausse piste

Par Bruno BOURGEON

mercredi 13 mars 2024, par JMT

JO d’hiver 2030 en France : une fausse piste

Seules candidates, les Alpes françaises organiseront les Jeux olympiques d’hiver 2030. Dans une région où l’or blanc est en voie de disparition, ces JO font craindre une fuite en avant dans le modèle obsolète du « tout-ski ».

Le 27 janvier 2024 à la station de ski de Villard de Lans en Isère (PHOTO : Thibaut Durand / Hans Lucas via AFP)

C’est une victoire par forfait. La Suisse et la Suède écartées, Salt Lake City ayant maintenu sa préférence pour 2034, le Comité international olympique (CIO) est entré fin novembre en « dialogue ciblé » avec les Alpes françaises du Nord et du Sud pour les Jeux olympiques et paralympiques (JOP) d’hiver 2030, dernière candidature en lice.

Laurent Wauquiez, président de la région Auvergne Rhône-Alpes (Aura), et Renaud Muselier, son homologue de Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca), se sont félicités de cette désignation, promettant « des Jeux responsables entre neige et chalets », « sobres et économes », le tout pour un budget d’un milliard et demi d’euros.

Mais plus encore que les Jeux d’été, leurs homologues hivernaux subissent des critiques de plus en plus virulentes contre un modèle jugé dépassé, notamment en raison de la pénurie de neige.

La victoire par forfait de la France s’inscrit ainsi dans une histoire récente marquée par la pénurie de candidats, refroidis par les coûts économiques et environnementaux de cet événement.

Pierre supplémentaire dans le jardin du sport d’hiver « à l’ancienne », un rapport de la Cour des Comptes, publié début février, alerte sur le manque d’anticipation du réchauffement climatique par l’industrie des sports d’hiver et sur l’impasse du modèle du tout-ski.

« Ça ne sera pas neige et chalet, ça sera pluie et béton ! », prédit Stéphane Passeron, en bas de la petite station d’Ancelle, dans les Alpes du Sud. L’ancien coureur de ski de fond de haut niveau est également porte-parole du mouvement « No JO 2030 » et… professeur de ski.

« Je n’ai pas pu travailler hier, seulement ce matin », déplore le moniteur désabusé devant la maigre piste blanche bordée d’herbe rousse, les canons à neige et les petits sportifs qui patinent mollement.

Le thermomètre affiche 6°C, quatre de plus que la moyenne habituelle en février. Des débutants aux grands champions, plus personne n’est épargné. Deux descentes de la Coupe du monde de ski alpin, prévues à Chamonix les 2 et 3 février, ont été annulées à cause de la météo trop douce.

« Évidemment qu’il y aura de la neige dans six ans ! », rassure Jean-Luc Boch, président de l’Association nationale des maires de stations de montagne (ANMSM), qui fédère une centaine de stations. De fait, la plupart des épreuves sur neige se déroulera à haute altitude.

En s’appuyant sur plusieurs rapports, les promoteurs des stations de ski de haute montagne assurent que la neige sera au rendez-vous encore longtemps. Mais leur capacité à poursuivre leur activité dépendra beaucoup de la neige artificielle, qui consomme déjà environ 25 millions de mètres cubes d’eau par an, soit l’équivalent de la consommation en eau potable de la ville de Grenoble.

A moindre altitude, nombre de stations de moyenne montagne savent leurs jours comptés. 93% des stations alpines seraient menacées d’ici 2100. Le GIEC prédit une augmentation des températures en montagne deux fois plus rapide que dans le reste du pays, et le CIO lui-même prévoit qu’en 2040, seuls dix pays seront encore en mesure d’accueillir les JO d’hiver, contre quinze aujourd’hui.

Des températures alpines en hausse constante

Écarts des températures moyennes annuelles par rapport à la normale 1961-1990 dans les Alpes françaises, de 1900 à 2022, en °C (Source : Histalp / Météo France retraité par Agate)

Changer la règle des Jeux

Dans ce contexte, la candidature de la France dérange d’autant qu’elle n’a fait l’objet d’aucun débat. Plusieurs élus régionaux se sont étonnés de la précipitation de la candidature et de son manque de transparence.

« Ce n’était même pas dans le programme des deux présidents de région. Ce sont des ambitions personnelles », dit Eric Adamkiewicz, chercheur en science du sport et en aménagement territorial.

Il est aussi signataire d’une tribune rassemblant plusieurs ONG et 200 élus, chercheurs et sportifs, qui listent les conditions de jeux bénéfiques pour ce territoire s’étendant sur cinq départements, de Nice (Alpes-Maritimes) au Grand-Bornand (Haute-Savoie) : organiser une consultation citoyenne, garantir une alimentation électrique provenant du réseau et non de groupes électrogènes, favoriser l’enneigement naturel, renoncer à certains sponsors aux activités délétères pour l’environnement…

« Il faudrait une réflexion sur l’organisation de ces grands événements, réduire le nombre des athlètes », suggère une autre signataire, Marie Dorin, ancienne championne de biathlon.

Ayant concouru à Vancouver en 2010 et à Pyeongchang en 2018, elle regrette les milliers de kilomètres parcourus en avion au cours de sa carrière.

En 1924, 258 athlètes s’alignaient à Chamonix, contre 2 900 en 2018, et les budgets ont connu une escalade analogue, témoignant du gigantisme de ces compétitions internationales.

Pourtant, Renaud Muselier et Laurent Wauquiez le martèlent, les Jeux alpins seront« durables » : « antithèse de Sotchi ou Pékin », « avec 95% d’infrastructures déjà existantes », ce « projet de territoire » permettra « une mobilité décarbonée ».

Eric Adamkiewicz en doute : « Les délais sont trop courts. On ne peut pas doubler une voie de train en six ans. Il va forcément falloir réadapter les équipements sportifs, ça va coûter plusieurs millions et ça sera déficitaire. Et puis, faire une patinoire à Nice, c’est ubuesque ! »

Les deux versants de la montagne

Les organisateurs assurent que les financements seront privés, couverts par les bénéfices de la billetterie, le CIO et les sponsors.

Cependant, selon l’économiste du sport Wladimir Andreff, les dépassements des coûts sont systématiques et représentent en moyenne deux fois la mise initiale pour les lauréats, qui auront été tentés d’aller au-delà du cahier des charges tout en sous-évaluant les coûts.

Même si le CIO insiste sur « l’héritage » à léguer aux générations futures, les fameuses « retombées économiques » sont difficilement quantifiables, selon l’économiste, et souvent surévaluées par des cabinets de consultants.

« Pourquoi devoir passer par les JO pour améliorer la mobilité dans la vallée ? S’il y a des milliards à mettre, c’est pour trouver une reconversion aux Alpes », assène Stéphane Passeron en regardant ses petits élèves remonter dans le bus scolaire.

Ici, deux visions de l’avenir de la montagne s’affrontent. « Sans moyens financiers, on n’aura pas de développement durable. Et l’argent qu’on a vient des stations de ski », réplique ainsi Jean-Luc Boch, par ailleurs maire de La Plagne-Tarentaise.

Encouragé dans les années 1960 par les « plans neige » de l’Etat et la loi « montagne » de 1985 qui permet aux communes d’assurer l’exploitation des stations, la France s’est hissée au deuxième rang mondial du tourisme montagnard.

Ce dernier représente désormais 22,4% des nuitées touristiques en France. 10 milliards d’euros sont dépensés en station chaque hiver, d’après Domaines skiables de France, avec 30% de clients étrangers.

Depuis la fin de la crise sanitaire, le secteur enregistre même des records de chiffre d’affaires… qui résultent surtout d’une montée en gamme à destination des publics les plus aisés, laquelle masque une baisse tendancielle du nombre de skieurs « insuffisamment prise en compte par les collectivités », selon la Cour des Comptes.

Le tout-ski plutôt que l’après-ski

« Les grandes stations génèrent beaucoup de richesse, mais elle ne fait que renchérir l’immobilier, vider la région de ses habitants et défigurer les paysages », fustige Marie Dorin. Dans les hauteurs, une clientèle riche et urbaine se dispute des chalets qui atteignent des prix exorbitants et restent vides la majeure partie de l’année.

Delphine Larat, qui milite avec Stéphane Passeron, abonde : « Cette industrie du tout-ski ne bénéficie qu’à la Compagnie des Alpes, à l’ESF, à l’ANMSM, et aux ambitions électoralistes de certains. On n’a aucun autre débouché dans la région pour nos jeunes ! »

« Le modèle économique des stations de ski est durablement affecté par le changement climatique », relève pour sa part la Cour des Comptes, qui pointe « l’inadaptation croissante du patrimoine immobilier », la fragilisation « de l’équilibre financier des remontées mécaniques et de l’économie locale », et des investissements « encore trop souvent décorrélés des prévisions climatiques. »

Son rapport déplore aussi la sous-estimation de l’impact de la production de neige sur les ressources en eau, une diversification sans véritable stratégie, un soutien financier passif des collectivités, une mise en concurrence des territoires, ou encore l’apparition de friches industrielles et bientôt de friches immobilières.

Tout cela laissant craindre un « sentier de dépendance » au ski. Cette orientation est d’autant plus problématique qu’elle est largement financée par les subventions publiques – elles représentent 23 à 28 % du chiffre d’affaires des stations.

Les juges préconisent la création d’un fonds d’adaptation et une approche non-concurrentielle entre les stations.Hélas, il est peu probable que les JO 2030 aident à traiter ces enjeux et à préparer la transition vers « l’après-ski ». Ils risquent au contraire de pérenniser le modèle actuel.

Patrick Martin, le maire de Val-d’Isère, station pressentie pour l’épreuve de slalom, se veut néanmoins optimiste : « Nous sommes conscients qu’il faut se réinventer. Mais les températures fraîches en été seront bientôt des atouts. Ces Jeux seront un accélérateur pour toute la vallée ».

À sa naissance en 1968, la grand-mère de Stéphane Passeron avait cousu les anneaux olympiques sur ses langes. Lui vient de mettre pour la première fois un dossard de course à sa fille de 8 ans : « Bien sûr que j’avais les yeux qui brillaient en la regardant ! Mais elle ne connaîtra pas ce que j’ai connu, c’est fini, il faut faire le deuil. Je préfère largement qu’elle ait de l’eau au robinet ».

Bruno Bourgeon, président d’AID http://www.aid97400.re

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